Marie Riley raconte le deuil périnatal
«Je devais prendre une décision: mourir avec mon fils ou survivre»

Marie Riley revient pour la première fois sur la douleur incommensurable qu’elle a vécue il y a vingt ans, lors du décès de son fils âgé de trois mois. Avec courage, l’animatrice des Dicodeurs raconte le deuil périnatal, un sujet encore très tabou.
Publié: 23.01.2025 à 17:01 heures
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Dernière mise à jour: 24.01.2025 à 08:00 heures
Pour la première fois, l'animatrice des Dicodeurs Marie Riley raconte la douleur incommensurable qu'elle a vécue au décès de son fils.
Photo: DR
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Ellen De MeesterJournaliste Blick

«J’évoque souvent le décès de mon fils de manière assez frontale, mais les gens ne sont pas toujours prêts à entendre mes propos», souligne d’emblée Marie Riley. Elle ne fuit pas, ne cache rien, mais comprend que le drame qu’elle a traversé à l’âge de 19 ans peut choquer, attrister ou mettre mal à l’aise. «C’était violent, quand même», admet-elle, la mâchoire serrée.

L’animatrice des Dicodeurs (RTS) a parfois effleuré l’événement dans la presse, se passant de détails. Mais là, le timing est particulier. Enceinte de cinq mois, la Fribourgeoise de 40 ans s’apprête à accueillir son cinquième enfant. Ce sera le quatrième, côté Terre. Son premier bébé, Adam, est désormais niché dans les étoiles, après lui avoir été arraché par un destin effroyablement cruel. Il aurait dû fêter son vingtième anniversaire le 23 juillet 2024.

«Tous nos proches ont l'habitude de nous contacter à cette date, explique la Romande. Certaines années, mes enfants me demandent de lui faire un gâteau d'anniversaire. Parfois, on va au cimetière, parfois non. On s’envoie toujours un message, avec mon ex-mari, son papa.»

Si Marie Riley parle ouvertement, de ce drame, les souvenirs déchirants restent vivaces, les émotions s’agrippent au coin des paupières, menaçant de déborder, malgré la persistance insolente du soleil qui continue de se lever chaque matin. «Je pense à lui tous les jours», affirme-t-elle. Le thème du deuil, cher à son cœur, l’a d’ailleurs poussée à fonder Good Mourning, une société permettant aux personnes qui le souhaitent de laisser une trace à leurs proches après leur mort.

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«On m’a dit que tout irait bien, malgré sa malformation»

Alors, pour marquer l'anniversaire de son fils, Marie Riley a accepté de raconter la tragédie qui l’a détruite, puis forgée. Pour aider les parents concernés par le deuil périnatal ou la perte d’un enfant à se sentir moins seuls. «Ça fait longtemps que je n’ai pas évoqué ça dans les détails», constate-t-elle, avant de commencer le récit:

Marie a 19 ans, Adam était une surprise. Et cette première grossesse est loin de se dérouler de manière insouciante: au bout de trois mois, les médecins s’aperçoivent que l’embryon souffre d’une malformation au niveau ombilical: «Ses intestins se développaient en dehors du corps, explique la Fribourgeoise. Mais on m’a assuré que tout irait très bien, qu’une opération pourrait régler cela dès la naissance.»

Né par césarienne avec un peu d’avance, le bébé attire l’attention d’une horde de médecins, d’étudiants et d’experts, souhaitant étudier son cas: «Moi, je n’existais plus, on ne me considérait pas du tout, j’étais comme dépossédée, se souvient Marie. Ils ne m’ont même pas tendu mon enfant, il a dû être directement emmené aux soins intensifs. Tout ce que j’avais, c’était une minuscule photo Polaroid de lui, allongé sur une table. C’était affreux.»

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C’était une petite crevette de 2,5 kilos, recouverte d’immenses pansements
Marie Riley, animatrice
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«En arrivant auprès de lui, je saignais»

Les larmes qu’elle ne s’attendait pas à verser finissent quand même par couler. Nous faisons une petite pause, puis elle reprend courageusement: «Durant la première nuit, n’y tenant plus, j’ai quitté ma chambre pour retrouver mon bébé. Je me revois me faufiler en cachette dans les couloirs de l’hôpital de Berne. Je saignais quand je l’ai enfin reconnu, en découvrant son nom sur une étiquette. C’était une petite crevette de 2,5 kilos, recouverte d’immenses pansements. Ses intestins n’avaient pas pu être totalement réinsérés dans son abdomen, car il était trop petit. Mais il était là, je le voyais enfin.»

Après avoir été rassurée par les médecins, Marie apprend que les intestins de son fils pourront être remis en place en l'espace de quelques jours. Une seconde opération sera toutefois nécessaire, lorsqu'il aura un peu grandi, pour faire de même avec ses muscles abdominaux. «On a pu le ramener à la maison après deux mois d'hospitalisation, mais il avait encore besoin de pansements précis. C'est moi qui devais les changer, c'était très impressionnant pour une jeune fille de 19 ans.»

«Personne ne me prenait au sérieux»

Trois mois plus tard, Adam se met à vomir et refuse de manger. «Je me suis précipitée à l’hôpital de Berne, mais personne ne me prenait au sérieux, déplore Marie. J’ai poireauté une éternité dans la salle d’attente, jusqu’à me mettre à hurler que j’avais besoin d’aide.»

En arrivant, le chef de clinique, un peu agacé, la prie de faire moins de bruit: «Il m’a dit que j’étais un peu jeune pour avoir un enfant et m’a proposé de prendre en charge Adam pour que je puisse me reposer. Ils ne me prenaient toujours pas au sérieux, mais au moins des médecins allaient le voir.» Marie et son compagnon s’absentent quelques minutes pour manger quelque chose.

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Le téléphone a sonné. J’ai fait le sprint de ma vie. On a traversé les urgences en poussant tout le monde, en enfonçant des portes
Marie Riley, animatrice
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«Je savais qu’il était parti»

«Quand on est revenus, Adam était dans les bras d’un infirmier qui pleurait. Mon bébé était tout blanc, tout dur et crachait du sang. Je le revois encore. Ils l’ont emmené au bloc et, démunis, nous sommes allés nous asseoir dans le restaurant, juste en face de l’hôpital, en attendant. Mais à peine notre commande arrivée, le téléphone a sonné. J’ai fait le sprint de ma vie. On a traversé les urgences en poussant tout le monde, en enfonçant des portes.»

Lorsqu’elle atteint les soins intensifs, hors d’haleine, le monde de Marie s’écroule. «Ils étaient en train de le masser. Je leur ai ordonné d’arrêter, de le laisser tranquille, car je savais qu’il était déjà parti. Ils ne m’ont pas écoutée, m’ont obligée à me retirer dans une autre pièce depuis laquelle j’entendais tout ce qu’il se passait. C’était d’une violence effroyable. Puis, ce fut le silence total. Le professeur nous a finalement rejoints, les larmes aux yeux.»

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«Je ne voulais pas connaître le résultat de l’autopsie»

La suite s’apparente à un cauchemar horrifiant. L’organisation des obsèques, la difficulté à trouver un prêtre acceptant d’assurer une cérémonie laïque, l’église pleine à craquer, les photos d’Adam dans le journal «La Liberté» et la vue du petit cercueil trouvé in extrémis qu’elle trouvait «tellement moche». En quittant la paroisse, Marie aperçoit l’un des médecins qui avait traité Adam: «J’ai pensé que son implication personnelle signifiait qu’il avait dû y avoir une erreur quelque part.»

Pourtant, elle refuse de connaître les résultats de l’autopsie avant qu’une décennie complète ne se soit écoulée: «J’avais découvert que la limite légale pour porter plainte contre l’hôpital s’élevait à dix ans, explique-t-elle. Et je me suis promis que je n’irais pas consulter le dossier avant ce moment, car si je me mettais à rechercher le coupable, je serais foutue, j’y passerais ma vie. Et cela ne me ramènerait pas mon fils.»

Elle tient parole. Le 23 juillet 2014, dix ans plus tard, Marie découvre qu’Adam est décédé d’une septicémie: «J’ai repensé à tous ces pansements chirurgicaux que je devais changer. Si on m’avait écoutée, peut-être que cela se serait passé différemment. Mais on ne m’a jamais prise en compte, je n’existais pas pour les médecins.» Elle n’en veut pas aux équipes soignantes. «Ce sont des gens comme nous, après tout.»

Ressources et soutien pour le deuil périnatal

Si vous vivez un deuil périnatal, ne restez pas seul avec votre peine. N'hésitez jamais à demander de l'aide, du soutien et de l'écoute, à n'importe quel moment. Plusieurs associations spécialisées se tiennent à votre disposition. Vous pouvez également vous adresser directement à votre médecin traitant ou votre gynécologue, qui saura vous rediriger vers un département ou un professionnel spécialisé dans cette épreuve. 

Parmi les associations suisses à votre écoute, on trouve notamment: 

Adessia, pour toute la Suisse romande
Naîtr'Étoile, basée à Yverdon-les-Bains
Au cœur des mamans et des papas, à Fribourg
Kaly, à Genève
Vivre son deuil, dans toute la Suisse
Arc-en-Ciel, dans toute la Suisse

Si vous vivez un deuil périnatal, ne restez pas seul avec votre peine. N'hésitez jamais à demander de l'aide, du soutien et de l'écoute, à n'importe quel moment. Plusieurs associations spécialisées se tiennent à votre disposition. Vous pouvez également vous adresser directement à votre médecin traitant ou votre gynécologue, qui saura vous rediriger vers un département ou un professionnel spécialisé dans cette épreuve. 

Parmi les associations suisses à votre écoute, on trouve notamment: 

Adessia, pour toute la Suisse romande
Naîtr'Étoile, basée à Yverdon-les-Bains
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«Celle qui m’a ramenée à la vie, c’est ma maman»

Durant les premières semaines après les obsèques, la douleur est insupportable pour la jeune femme, qui vient alors aussi de perdre son papa. «J’ai arrêté le collège, je pesais quarante kilos, mon mariage a volé en éclats. Un soir, j’ai appelé mon psy pour lui dire que s’il ne m’hospitalisait pas, je me pendrais. J’ai été prise en charge pendant deux mois.»

Au cœur de cette période incroyablement obscure, elle évoque le soutien indéfectible de sa famille: «Les médicaments m’ont permis de ne pas me tuer, mais c’est ma maman qui m’a ramenée à la vie. Elle m’a dit un jour que lorsqu’on met au monde quelqu’un, on donne la mort avec. Cette phrase m’a permis de me relever, petit à petit. J’ai compris que je n’y pouvais rien, que mon enfant était juste né avec une peine de mort précoce. Et qu’il fallait que je fasse mon choix: mourir avec lui ou continuer à vivre.»

Il lui faut près de deux ans pour se reconstruire, soutenue par ses sœurs qui la «maintiennent en vie à bout de bras», suite à ses deux tentatives de suicide. «Sans ma famille, je me serais flinguée».

«L’Univers a entendu toutes mes prières»

Petit à petit, Marie reprend ses études, passe son Bac, se refait des amis et se réconcilie avec son époux de l’époque, le papa d’Adam. Cinq ans après le drame, elle tombe enceinte d’une petite fille. «J’ai prié pour que ce ne soit pas un garçon, je voulais sentir que c’était différent, se souvient-elle. Par contre, je n’ai pas eu peur lors des contrôles médicaux, je savais que tout irait bien et qu’elle naîtrait en bonne santé.»

Deux ans après, la famille accueille un petit garçon, puis un second. Marie se sépare de son époux, mais ils restent en bons termes. Aujourd’hui, elle «a refait sa vie» avec son partenaire actuel et attend son cinquième enfant avec une immense joie. «Ce qui est fou, c’est que même si personne ne m’a écoutée au moment de la mort d’Adam, l’Univers a entendu et répondu à toutes mes prières par la suite, sourit-elle. J’ai 40 ans, la carrière de mes rêves et les enfants les plus cool que j’aurais pu imaginer.»

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«Ce sera toujours lui qui a fait de moi une mère»

Lorsqu’elle évoque sa tribu, Marie Riley affirme toujours qu’elle a actuellement quatre enfants, mais qu’il lui en reste trois. «Je ne m’en suis jamais complètement remise, mais il est là, ce sera toujours lui qui a fait de moi une mère. Et c’est le message que je voudrais faire passer à tous les parents endeuillés: le décès d’un bébé ne signifie pas qu’il n’a pas existé. Il faut absolument trouver le moyen de le faire exister, c’est ce qui m’a sauvée.»

Et l’un de ces moyens, pour elle, c’est la musique: le groupe auquel appartient Marie a récemment dédié un morceau à Adam, intitulé «Mother». Au micro, elle fredonne «The world outside awaits»: le monde attend. Il attend ce cinquième bébé qui viendra bientôt. Comme un magnifique bourgeon de vie qui pousse, en plein soleil, sur une terre autrefois inondée de larmes.

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