Je vais me faire détester. Mon rendez-vous précédent s’est prolongé, je suis très en retard pour rencontrer l’homme le plus aimé de Suisse. René Prêtre m’attend depuis bientôt vingt minutes, ce jeudi 12 mai, deux jours après avoir annoncé son départ à la retraite pour le 1er août. Le célèbre chirurgien cardiaque pédiatrique est-il patriotique? Ma liste de points d’interrogation s’allonge. Mon pas aussi. J’espère qu’il ne sera pas trop surpris par la première.
C’est une autre question qui se présente souvent à lui dans son bureau du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV): «Comment vous remercier?» Des milliers de parents — dont l’actrice Sophia Loren — et d’enfants aujourd’hui bien vivants lui vouent une gratitude infinie.
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Sans René Prêtre, leur vie serait moins belle. Ou ne serait pas. Quarante ans durant, il a réparé — en Suisse, aux États-Unis, en Égypte, au Cambodge ou encore au Mozambique — des cœurs pas plus grands que des prunes. Souvent de nouveau-nés. Sans jamais trembler. «L’ascenseur? C’est au fond à gauche, après l’accueil!»
Ma pompe tape. Je frappe. Mes excuses sont plus plates que mon électrocardiogramme. Le Jurassien doit déjà bientôt partir. On trouvera une solution, promis. Ce soir, il doit se rendre sur le plateau de la RTS. Pas de temps à perdre.
Ça fait quoi d’être Dieu quand on s’appelle Prêtre?
Ouh, mon Dieu! (Il rit) D’abord, je ne suis pas Dieu, et je ne suis pas prêtre non plus. Enfin, si, par mon nom de famille, mais pas par ordination. Plus sérieusement, je ne me suis jamais vu comme un dieu et ça me gênerait même qu’on me considère ainsi. Parce que je n’ai aucun pouvoir magique ni divin. Moi, j’utilise des connaissances scientifiques. Et ce, grâce à des individus ingénieux, qui ont su élucider les problèmes du cœur et la manière les résoudre. Je ne fais qu’appliquer ce que ces personnes intelligentes ont découvert un jour. Je ne suis qu’un exécutant.
Quelle humilité!
Il ne faut jamais se croire plus fort qu’on ne l’est. Dans tous les métiers, ceci dit. Chacun fait son job au mieux, comme il l’a appris, moi y compris. Même si, c’est vrai, les enjeux du mien sont extraordinaires: j’ai la vie de gens entre les mains. Et pas de n’importe quelles gens: ce sont des enfants dont l’horizon va s’ouvrir. Je me bats pour des décennies d’avenir. Rien n’est plus important. Et j’aime le côté artistique de mon métier, que le résultat de mes opérations soit harmonieux, beau.
En parlant de cœur et d’art, les murs de votre bureau en sont recouverts! C’est quoi, tous ces tableaux?
Ce sont, pour beaucoup, des souvenirs. (Il se retourne pour pointer les différentes œuvres du doigt et du regard) Ça, c’était la ferme de mes parents à Boncourt, où j’ai vécu. Il y a une forêt derrière. J’ai toujours aimé les forêts. Là, c’est un tableau que des enfants ont fait, certains que j’ai opérés. Ils me l’ont offert quand j’ai été élu Suisse de l’année, en 2009. À côté, c’est un cadeau que j’ai reçu de parents: deux cœurs, un rouge et un bleu, comme le sang.
Ça sent le grand fan de foot aussi et l’ancien joueur!
Oui, ça se voit aussi! Il y a la célébration de Pelé, qui vient de marquer son but en finale de la Coupe du Monde contre l’Italie en 1970. Et à côté, quatre photos un peu floues de joueurs, qu’on reconnaît par leurs attitudes. Autrement, j’ai des ballons de foot, des photos de famille, des tracteurs, qui rappellent mes origines. Et j’ai beaucoup de sculptures. Tant du Mozambique que du Cambodge. Quand je vais opérer là-bas, j’en ramène souvent une au retour.
Vous allez mettre tout ça où?
C’est la grande question! Je ne sais pas encore et ça risque de devenir un problème…
Vous avez encore deux mois pour y réfléchir. Après, ça sera la retraite. Vous allez à nouveau avoir le droit à l’erreur et redevenir comme nous autres les humains!
Vous savez, j’ai aussi le droit à l’erreur en tant que chirurgien. Et j’en ai commis quelques-unes, mais jamais par négligence, désinvolture ou fainéantise. J’ai été content qu’on me les pardonne et qu’on comprenne que ça peut aussi arriver. Souvent, ce sont de petites erreurs, qui se voient à peine ou que l’on peut encore corriger. Mais il y en a quelques-unes qui ont laissé des séquelles.
Et lorsqu’une erreur est irréparable?
Quand ça arrive, évidemment, vous êtes mal dans votre être. Vous avez infléchi le cours naturel d’une vie, mais dans la mauvaise direction.
Je voulais d’abord parler de vos succès, mais puisque vous y venez: vous avez des mauvais souvenirs?
Quelques-uns, oui. (Il fait une pause) Il y en a un, que je raconte dans mon livre, qui m’a vraiment énormément marqué. J’avais un peu forcé les parents à faire une opération qui n’était pas absolument nécessaire à ce moment-là. Et vlan! Je me suis ramassé. Je me suis senti doublement coupable: d’avoir insisté, puis de ne pas avoir réussi l’opération. Ça a été difficile pour moi.
Comment avez-vous géré ce drame?
(Il soupire) Grâce à mes proches. À mes collègues, aussi. Après l’opération, ils ont bien vu que j’étais dévasté. Ils venaient vers moi pour me dire des grosses évidences, que j’avais déjà entendues moult fois, mais qui me faisaient du bien. Du style: «Ne regarde pas l’arbre tombé, il y a une forêt derrière qui est debout». Et puis, il n’y a pas de miracle: le temps, malgré tout, atténue tous ces gros problèmes. Je ne sais plus qui disait qu’il n’y a aucune douleur que le temps n’arrive à calmer. Mais des fois, il en met, du temps, le temps… (Rires)
C’est très joliment dit. J’admire votre résilience et je sens votre émotion… Mais, gardons un œil sur la montre, il ne faut pas vous mettre en retard…
Oui, mais on ira ensemble à la gare, comme ça, vous avez encore une petite demi-heure.
Ouf, merci! Il se dit que la liste d’attente pour passer sur votre table d’opération a augmenté depuis l’annonce de votre retraite. C’est vrai?
Il y a quelques indices, oui. Hier, par exemple, quelqu’un venu de Suisse alémanique m’a dit: «Pas besoin de faire ce dernier contrôle prévu dans trois mois, je sais que je vais devoir être opéré et je veux absolument que ce soit par vous». Les gens commencent à savoir qu’il ne me reste plus que deux mois ici. Et, en plus, je dois toujours garder des plages libres. Parce qu’on a quelques nouveau-nés annoncés. C’est un peu comme la météo: on arrive à prévoir à peu près quel jour l’enfant va arriver. D’autant plus que, lorsque c’est très sérieux, on organise une césarienne en choisissant un jour bien précis. Mais c’est vrai que ça pourrait devenir compliqué, cet agenda.
Autant de plages horaires qui vont encore se remplir. Avant le vide de la retraite…
Il faut dire que je n’y ai pas trop pensé non plus. J’ai été très, très occupé, ces temps. À peine une opération terminée, je dois penser à la suivante, à celle du lendemain et ainsi de suite. Ça démarre ainsi le lundi et, tout d’un coup, c’est vendredi et j’ai l’impression qu’un seul jour est passé. Bien sûr, mes week-ends sont plus calmes, mais je ne me suis pas trop projeté dans les mois à venir.
Vous devez quand même avoir une petite idée, non?
Oui, j’ai des idées, des projets et j’ai reçu des propositions. J’aimerais trouver un bel équilibre.
Vous allez continuer à opérer?
J’opérerai toujours encore un peu, mais peut-être plus les tout-petits. En tout cas, je ne vais plus faire de «néonatal» (ndlr: opérer le cœur d’un enfant dans sa première semaine de vie). Je suis content d’en finir avec ça. Même si j’en ai eu beaucoup ces temps et que les opérations ont toutes été bien faites, c’est un gros stress.
À 65 ans, vous êtes encore au top?
Je constate que ma main ne tremble toujours pas, j’arrive à conserver une concentration extrême sur plusieurs heures, mon œil est resté d’aigle. Il n’est encore pas trop de taupe… J’aimerais bien finir comme ça, au top. Ça serait dramatique si je commençais à être moins bon sans me l’avouer tout en persévérant parce que ces enfants n’auraient plus le meilleur traitement possible.
Votre retraite, vous allez la faire où?
Je n’ai pas encore décidé non plus!
Et des projets personnels, vous en avez?
Deux ou trois, mais je n’aime pas trop les dévoiler parce que c’est toujours la même chose: sur trois projets, il n’y en a en général qu’un seul qui se réalise. Et après, on vous demande des nouvelles des deux autres! Vous avez l’impression d’être un gars qui parle mais ne fait rien. J’ai toujours été très discret à ce sujet. Mais ça bouillonne…
Revenons à votre carrière, alors. Vous arrivez à faire votre bilan en une seule phrase?
Je dirais que je suis content de ce que j’ai fait. Et je suis quelqu’un d’assez difficile. Et si vous me demandez mon vœu le plus cher, ce serait que tous ceux que j’ai opérés me survivent très longtemps. Ça, peu de chirurgiens cardiaques vous le diront. Parce que les autres s’occupent de personnes plus âgées (rires).
Un succès vous a particulièrement marqué?
Vous savez, il y en a beaucoup. Je me retrouve un peu dans la peau de ces footballeurs qui marquent des buts importants: on jubile énormément sur le moment, tout le monde est content. Puis, il y a les suivants et tous les autres. On les oublie au fur et à mesure. Ceux dont on se souvient, ce sont toujours ceux des derniers mois. On oublie que dix ans auparavant on a fait quelque chose d’extraordinaire.
Vous avez bien un exemple en tête, au moins.
Oui… Il y a peu, une famille est venue de Suisse allemande pour une échocardiographie. L’opération de l’enfant avait dû être reportée à cause du Covid. Elle devait avoir lieu la semaine suivante.
J’imagine que ça ne s’est pas passé ainsi…
Non. Tout à coup, mon collègue m’appelle. Je vais voir l’écho. Je regarde et… Bon sang! Le cœur était complètement à bout, au bord de l’arrêt. L’enfant était grisâtre: c’est mauvais signe. J’ai regardé les parents et je leur ai dit: «Vous ne pouvez pas rentrer chez vous ce soir, on doit l’opérer en urgence». Ils étaient effondrés.
Comment va l’enfant aujourd’hui?
Toute la famille est revenue hier pour un contrôle. Et tout va à nouveau très bien. Vous auriez dû voir la joie de cette maman! Elle avait pleuré avant l’opération, quand je lui avais dit qu’il fallait rester. Cette fois, elle pleurait de joie. Le mari était aussi là, très ému. Le gamin courait dans tous les coins de mon bureau, il voulait jouer avec mes tracteurs et mes ballons de foot… (Ses yeux brillent, il rit) Ça, ça fait vachement plaisir. Et j’ai reçu deux bouteilles de vin! Je vous raconte ce cas parce qu’il est tout frais. D’ailleurs, vous voyez, j’ai gardé le rapport médical sur mon bureau, pour pouvoir le regarder encore quelques jours. C’est une tellement belle histoire!
Et dans la vie, votre plus grand bonheur?
C’était la naissance de mon petit dernier, il y a un an et demi. C’était incroyable, ça. C’est quelque chose de fou. C’est tout. Ça se passe de tout commentaire. C’est une sorte d’éblouissement. Bon, je l’avais déjà vécu deux fois, cet éblouissement (ndlr: ses deux filles ont une trentaine d’années aujourd’hui)!
Son sourire grandit. Ses yeux se remplissent à nouveau d’émotion. Il coupe. «Voilà. On y va?» L’escalier de service mène aussi au taxi. «À la gare, s’il vous plaît!»
De combien de personnes avez-vous sauvé la vie dans votre carrière?
D’abord, il faut dire qu’une opération ne correspond pas nécessairement à une vie en danger qu’on est en train de sauver. Si je dis que j’ai fait 250 opérations l’an dernier, les gens, surtout les journalistes, vont dire que j’ai sauvé 250 vies. Mais je sais que ça n’est pas le cas. On a quelquefois des gens à l’article de la mort, mais souvent, on opère pour améliorer leur longévité et leur qualité de vie. C’est difficile de donner des chiffres précis.
Mes consœurs et mes confrères parlent de 6000 opérations. C’est énorme!
Oui, j’estime avoir réalisé entre 5000 et 6000 opérations. Ce qui ne veut pas dire 6000 cœurs: des fois, c’est trois interventions pour un seul enfant. Quand j’étais à Zurich, c’était toujours 6 à 8 opérations par semaine sur des enfants ou des jeunes adultes. Et je ne prenais jamais toutes mes vacances. Et puis, il y a les urgences. Et lors de nos premières missions à l’étranger avec ma fondation Le Petit Cœur, nous opérions entre 25 et 30 enfants. Trois par jour.
Opérer trois enfants par jour, ça doit être intense.
Au début, là-bas, il y avait tout à faire et on choisissait les cas faciles. Aujourd’hui, les cas faciles, ce sont les chirurgiens locaux qui les opèrent. Nous avons pu les former. Maintenant, quand nous y allons, nous n’en faisons plus que deux par jour. Et puis, là-bas, ça va vite. Un changement de salle, c’est expéditif: vous transportez l’enfant aux soins intensifs, un coup de panosse et puis, hop! au suivant! (Rires) Chez nous, il faut à chaque fois tout re-désinfecter: vous avez le temps de faire trois consultations avant de revenir au bloc!
Vous allez continuer d’aller régulièrement au Cambodge et au Mozambique?
Oui! Nous retournons d’ailleurs au Cambodge cet automne. Je vais reprendre l’humanitaire de manière plus intensive. J’y resterai plus longtemps. J’en ferai peut-être un peu moins par jour pour pouvoir profiter de ce que ces pays offrent. A Siem Reap, on est à côté des temples d’Angkor! Ces ruines sont magnifiques. Cette espèce de mélange végétal-minéral est absolument fabuleux.
Vous êtes croyant?
Euh… Oui, mais c’est une question trop complexe. Je prends mon joker pour cette fois.
Joker accordé! Vous n’êtes jamais fatigué? Combien de temps a duré votre plus longue opération?
C’est dur à dire… Certaines ont dépassé les douze heures. Même récemment.
Vous devez être crevé dans ces moments-là!
Ça va encore. Bien sûr, vous avez mal aux jambes, au dos, à la nuque… Aujourd’hui, j’ai mal ici (il se touche le bas de la nuque) parce que j’ai beaucoup opéré ces temps. C’est la nuit que ça ressort. Vous dormez et soudain vous êtes réveillé par ces douleurs. Et ça, c’est embêtant. Il faut bien boire aussi. On sort complètement desséché du bloc parce qu’il y a un flux laminaire d’air sec en continu. Il vous tire de l’eau, celui-là! Et en principe je ne sors pas du bloc pendant une opération, même dans les moments plus calmes où je pourrais le faire. Mon adrénaline est tellement haute que je n’arriverais de toute façon pas à me reposer et à me dégager l’esprit.
Comment faites-vous pour être en forme le lendemain?
Il faut dormir! Le sommeil, c’est l’un des éléments essentiels. Mais je dois dire que même lorsque je dormais peu, quand j’étais à New York, par exemple, ça marchait quand même.
Les chirurgiens sont souvent décrits comme des machines, mais aussi comme des personnes difficiles à vivre. Peu dotées d’empathie. Ce cliché, il est vrai?
Le profil du chirurgien a changé. Un temps, il ne fallait pas se poser beaucoup de questions. Il fallait être extrêmement rapide. Ces gens devaient trancher, le temps était contre eux, et on ne s’amusait pas à faire des réparations compliquées. Par exemple, on amputait si ça saignait trop! Il n’y avait pas une grande réflexion derrière. On s’orientait donc vers des profils très tranchants, un peu sanguins peut-être.
Et aujourd’hui?
Cette mentalité n’existe presque plus. Aujourd’hui, le bon chirurgien est aussi un tacticien. Quelqu’un de pondéré, de nuancé, qui a beaucoup de connaissances, et une certaine intelligence. Sommes-nous plus impatients, plus égocentriques que les autres? Peut-être, quand même.
Chez vous, on sent pourtant une grande empathie…
Mais moi, je suis dans la pédiatrie! Vous trouverez toujours des gens plus à l’écoute dans le secteur pédiatrique. Il y a un côté vocation. Vous savez par exemple que vous ne deviendrez jamais ultra-riche! En pédiatrie, vous n’avez pas de patients privés, vous travaillez dans le secteur public. En revanche, c’est intéressant. Pour moi, l’opération mythique, que je serai à jamais fier d’avoir réalisée, c’est la transplantation cardiaque pédiatrique, c’est clair. Wouah! C’est quelque chose d’extraordinaire. Comme poser un pied sur la lune.
Vous en avez fait combien, de pas sur la lune, si j’ose dire?
Des transplantations cardiaques? Entre 100 et 150, dont une bonne trentaine en pédiatrie.
Il s’arrête. «Monsieur, vous pouvez nous laisser ici, ça ira très bien. Merci!» Il prend la quittance. Premier arrêt dans un kiosque. Il fait soif. Sous une horloge, je réenclenche le dictaphone.
Nous nous trouvons dans une gare. Projetons-nous sur la voie de l’avenir. Le transhumanisme, l’immortalité, est-ce que ça fait rêver une star de la chirurgie comme vous?
Pas du tout. Je suis bien content que la vie soit comme elle est et qu’il y ait une fin. Il faut laisser sa place à d’autres! Si la vie ne se finissait pas, ça serait invivable!
À quoi ressemblera votre métier dans 50 ans?
Il va beaucoup changer, je pense. On le voit déjà: la chirurgie cardiaque adulte évolue énormément et sa place rétrécit. Les interventions deviennent moins invasives puisque vous n’ouvrez plus forcément le thorax pour changer une valve. Vous pouvez le faire en remontant par les artères ou les veines. Ces méthodes se développent très rapidement. Et ça, ce n’est pas de la chirurgie. C’est de la cardiologie interventionnelle. La chirurgie existera cependant toujours. On ne transplantera jamais un cœur avec des cathéters!
D’ailleurs, vous n’êtes pas un chirurgien comme les autres. Votre parcours est atypique, vous venez d’un milieu paysan et modeste, d’un canton périphérique, le Jura…
C’est la beauté de la Suisse! C’est vrai, il y aura toujours des disparités, il n’y a pas d’égalité parfaite. Mais ici, si vous venez d’un milieu modeste, on vous donne une vraie chance de monter les échelons. C’est ici que c’est possible, plus qu’aux Etats-Unis, par exemple. Quand on voit le coût annuel d’une inscription à l’université… Le rêve américain, ce n’est pas pour tout le monde!
Son train part dans cinq minutes. Direction le quai. Voie 5. Une gorgée d’eau et on reprend.
Si vous étiez né aux États-Unis, vous ne seriez pas devenu chirurgien?
Je ne pense pas. Outre la Suisse, il y a peut-être d’autres endroits, comme les pays scandinaves, où ça aurait été possible. Mais il y en a très peu. Et dans les pays du Sud, je vois bien que les enfants de condition modeste n’ont aucune chance! Venir au monde sur ce bout de terrain, en Suisse, aura été une chance extraordinaire!
Est-ce qu’il y a une question que je ne vous ai pas posée?
Non, je crois que vous avez fait le tour.
Fin de l’enregistrement. L’heure des remerciements, des «au revoir» et des derniers échanges aussi informels que bienveillants. Il sourit malicieusement. En fait, oui, il y a une question que je ne lui ai pas posée, me lance-t-il: «C’est: 'Quand est-ce que vous descendrez le Cervin?'»
Je ne suis pas sûr de comprendre. Pourquoi cette question?
Parce qu’un de mes buts était de l’escalader une fois. Mais je ne sais pas si je le ferai un jour. Je ne sais pas si j’aurai le courage ou le temps. Pour le faire, il faut y aller tous les week-ends, s’entraîner, remuscler un peu toute la bête. Il faut y consacrer énormément de temps et d’énergie, et je ne suis pas sûr de les avoir. Mais c’était un beau rêve.