Quel avenir pour le ski?
Une lutte pour chaque centimètre de neige dans les domaines skiables

Sans enneigement artificiel, rien ne va plus dans les régions de sports d'hiver. Mais l'eau est rare, l'électricité coûte cher et l'avenir du secteur est incertain. Retour sur la situation à Andermatt, dans le canton de Uri.
Publié: 04.12.2022 à 06:26 heures
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Dernière mise à jour: 05.12.2022 à 20:04 heures
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La neige est tombée tardivement et avec parcimonie. Même dans le massif du Gothard, région habituellement très enneigée, les nuages ont saupoudré timidement de flocons les imposants sommets et les vallées rocailleuses au cours des dernières semaines. Il n'y a jamais eu aussi peu de neige que cette année.
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Sven Zaugg

La neige est tombée tardivement et avec parcimonie. Même dans le massif du Gothard, région habituellement très enneigée, les nuages ont saupoudré timidement de flocons les imposants sommets et les vallées rocailleuses au cours des dernières semaines. Il n'y a jamais eu aussi peu de neige que cette année. Carlo Danioth, qui assure la sécurité des pistes d'Andermatt, dans le canton de Uri, depuis 35 ans, secoue la tête. «On voit encore les rochers partout comme si c'était l'automne.»

La situation d'Andermatt est symptomatique du dilemme des sports d'hiver: avec le changement climatique, les pénuries d'eau, la protection de la nature, la baisse de la fréquentation, la pénurie d'électricité, et la guerre des prix, difficile de sortir la tête de l'eau. Les pronostics sont sombres.

Et pourtant, tout devrait bientôt commencer. Le mois de décembre marque traditionnellement le début de la saison. «A Noël, tout le domaine sera ouvert», promet Ignaz Zopp, qui préside depuis janvier au domaine skiable d'Andermatt-Sedrun. Tout doit être prêt. Qu'il y ait de la neige ou non, les équipementiers sportifs et les destinations hivernales stimulent le marché le plus tôt possible.

Cela se fait notamment avec des courses de ski qui suivent de près l'été indien. Comme en Valais, où le champion olympique Didier Défago a dessiné dans la neige un parcours entre Zermatt et Cervinia. La première descente en octobre n'a pas eu lieu: le manque de neige a empêché la fête.

Un enneigement artificiel à grands frais

Christoph Marty, climatologue à l'Institut pour l'étude de la neige et des avalanches WSL à Davos, parle de fausses promesses - et d'un paradoxe: «Tout le monde veut skier à Noël et en avril, et quand la couche de neige serait la plus épaisse, plus personne n'a envie. Ce qui a pour conséquence que l'on consomme beaucoup d'énergie pour l'enneigement en novembre.»

A Andermatt, la moitié des 120 kilomètres de pistes peut être enneigée par des canons et des lances à neige. La neige artificielle est la clé du début de saison. Pour cela, il faut de l'énergie et de l'eau - l'une est chère, l'autre rare. La construction d'un kilomètre de piste enneigée coûte un million de francs. Les coûts d'exploitation de l'enneigement artificiel s'élèvent en outre, par saison, à 20'000 à 30'000 francs par kilomètre.

En raison de la hausse vertigineuse des prix de l'électricité, les coûts d'exploitation des installations et de l'enneigement ont également explosé à Andermatt, comme ailleurs: De 1,2 million à deux millions de francs par saison. Et comme l'eau est contingentée en montagne, Ignaz Zopp et son équipe doivent se montrer économes avec le précieux liquide.

«Nous ne devons pas gaspiller une seule goutte, sinon certaines pistes resteront à sec», explique Ignaz Zopp. Le timing est essentiel. Il faut que les températures restent froides, sinon le blanc artificiel produit à grands frais fondrait immédiatement. «Avec le contingentement, seul un enneigement ponctuel est possible actuellement», explique Ignaz Zopp - mais tout de même: sans enneigement, on mettrait tout de suite la clé sous la porte, ajoute-t-il. Sans eau, pas de neige, sans neige, pas de clients, pas d'argent, pas de travail.

Après réflexion, Ignaz Zopp déclare: «Bien sûr, nous reconnaissons, nous aussi, que le ski d'automne n'aura plus beaucoup de sens à l'avenir. Nous envisageons de déplacer le début de la saison d'octobre à novembre, voire décembre.» Mais rien n'est encore décidé.

«On est d'importance systémique pour la région»

Les 20 plus grandes entreprises de remontées mécaniques réalisent chaque année des investissements de plusieurs centaines de millions. Afin d'assurer l'exploitation des remontées mécaniques, de renouveler les installations existantes et d'améliorer l'efficacité de l'enneigement artificiel, Ignaz Zopp veut également investir 110 millions de francs supplémentaires dans les années à venir.

Mais toutes les remontées mécaniques ne bénéficient pas d'un investisseur financier solide. Une remontée mécanique sur trois ne peut plus faire face aux investissements à venir par ses propres moyens - et ne survit que grâce à des subventions des pouvoirs publics ou de bailleurs de fonds privés.

A Andermatt, le plus grand exploitant de domaines skiables au monde, Vail Resorts, a repris cette année la majorité du domaine skiable Andermatt-Sedrun de Samih Sawiris - et le couvre de millions. Ignaz Zopp parle d'un «coup de chance». «On est finalement d'importance systémique pour la région.» Une phrase que le secteur répète comme un mantra.

Non sans raison: à l'échelle de la Suisse, le tourisme d'hiver génère environ cinq milliards de francs de recettes par an et constitue un secteur économique important pour la population des vallées alpines. Un franc sur cinq dans les régions de montagne est généré par le tourisme. Une personne sur quatre dans les Alpes travaille pour le tourisme - directement ou indirectement. Dans les régions de montagne comme le Valais et les Grisons, le tourisme hivernal représente plus de 10% du produit intérieur brut.

Les installations d'enneigements pas encore à leurs limites en Suisse

L'environnement n'est pas impressionné par cette «importance systémique». Le climatologue Christoph Marty le dit: «Avec le réchauffement climatique, la saison de ski devrait être plus courte qu'aujourd'hui d'un demi-mois à un mois.» Une tendance significative à des hivers peu enneigés est observée, en particulier en dessous de 1300 mètres d'altitude. Même aux altitudes moyennes et élevées, le manteau neigeux s'amincit à vue d'œil.

Ce que mère nature ne parvient pas à faire, les nivoculteurs de Technoalpin, en charge de produire de la neige de culture, le font apparaître sur les pistes. L'entreprise de Bolzano, leader mondial de la fabrication d'installations d'enneigement, lance chaque année près de 2500 canons à neige qui sont utilisés d'Aspen à Andermatt.

La Suisse est un marché particulièrement attractif, se réjouit Martin Hofer, membre de la direction de Technoalpin: «Jusqu'à présent, la plupart des domaines skiables suisses ont été enneigés par étapes ou ne couvrent pas l'ensemble du territoire. Dans cette mesure, les installations ne sont souvent pas encore à leur limite en termes de performance possible.» Alors que 54% des pistes sont enneigées ici, ce chiffre atteint déjà 70% en Autriche.

Un arrêt brusque des projets d'enneigements à Elm

La construction d'une installation d'enneigement n'est toutefois pas une sinécure: financement, autorisation, énergie, eau - le chemin est long et semé d'embûches. «Il n'est pas rare que huit ans s'écoulent entre l'étude de projet et la réalisation d'une installation de plusieurs millions», explique Martin Hofer.

En Suisse, la construction d'une installation d'enneigement peut encore traîner en longueur pour d'autres raisons: les oppositions et les recours. Parfois, les grands projets sont même gelés pendant une décennie. C'est ce qui s'est passé à Elm: le projet prometteur «Futuro» devait assurer l'avenir de la petite station de ski. Un lac d'accumulation, trois stations de pompage, 9,5 kilomètres de conduites et 110 à 130 groupes d'enneigement étaient prévus. Les nouvelles pistes auraient dû être mises en service entre 2020 et 2021. Technoalpin aurait fourni le matériel et l'expertise.

Mais le WWF, Pro Natura et Birdlife ont mis un frein à ce projet de plusieurs millions. Les associations de protection de la nature ont porté le projet devant le tribunal administratif. Celui-ci a estimé que l'extension et l'intensification de l'activité de ski qui en résulterait perturberaient pour une durée indéterminée les habitats des animaux sauvages vivant dans la zone. Le projet n'est pas conforme à la région.

Appel à Stefan Elmer, chef des remontées mécaniques d'Elm. «Nous ne voulons pas parler du projet, nous refusons une visite.» On ne veut pas jeter de l'huile sur le feu, la situation est trop délicate. On pourra peut-être en dire plus au printemps. Peut-être. Il se peut aussi qu'un jour, il n'y ait plus besoin d'installations d'enneigement. Lorsqu'il fera trop chaud à Elm ou alors, lorsque plus personne ne voudra skier.

Plus personne ne voudra skier?

Ce scénario, aussi absurde qu'il puisse paraître, pourrait devenir réalité, affirme Laurent Vanat. Il est l'auteur du rapport international sur le tourisme de neige et de montagne.

Selon ce rapport, rien qu'entre 2010 et 2020, les stations de sports d'hiver ont perdu 1,5 million de nuitées. L'une des raisons: les clients étrangers sont de plus en plus nombreux à ne pas fréquenter les Alpes suisses. La moyenne des visiteurs étrangers sur les pistes serait passée sous la barre des 40%.

«A cela s'ajoute le fait que le secteur du ski suisse est confronté au même problème démographique que la clientèle suisse et étrangère. Les baby-boomers partent à la retraite et les nouvelles générations sont moins friandes de sport», explique Laurent Vanat.

En 2030, est-ce que plus personne ne voudra aller skier en hiver? Si c'est le cas, les canons à neige n'y changeront alors rien.

(Adaptation par Lliana Doudot)

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