Droits télé et marketing
Bras de fer économique dans les coulisses du ski

Le futur des droits télé et marketing agite depuis quelques mois le milieu du ski, proche d'une crise, entre un nouveau président qui fonce pour reprendre la main sur leur commercialisation et une fronde qui s'organise jusqu'en justice autour de grosses sommes d'argent.
Publié: 30.11.2022 à 17:45 heures
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Le président de la Fédération internationale de ski, Johan Eliasch, ici lors du Forum Alpinum le 21 octobre 2022 à Sölden, en Autriche.
Photo: JOE KLAMAR

«La question n'est pas de savoir si on le fera, mais quand on le fera». Au Forum Alpinum de Sölden (Autriche) fin octobre, Johan Eliasch, président de la Fédération internationale de ski, martèle sur scène son obsession de centraliser les droits télé et marketing, loin des habituels discours convenus de début de saison.

Arrivé en 2021 en remplacement de Gian-Franco Kasper, décédé, le Suédois, ancien PDG de l'équipementier sportif Head, s'est vu accorder un mandat de quatre ans en mai. Mais sa réforme prioritaire et surtout sa méthode bulldozer irritent un microcosme peu habitué aux bouleversements. «Nous ne vivons pas encore une crise, mais c'est une situation sérieuse», note pour l'AFP Diego Züger, directeur marketing et directeur opérationnel par intérim de la puissante Fédération suisse de sports de neige (Swiss Ski).

Jusqu'à aujourd'hui, la FIS, qui régente tous les sports de neige olympiques (ski alpin, ski nordique, ski freestyle, snowboard) sauf le biathlon, laissait la gestion des droits aux fédérations nationales, organisatrices des différentes épreuves du circuit annuel de la Coupe du monde. La plupart des pays ont en fait vendu leurs droits à l'agence de marketing sportif Infront, qui les revend ensuite elle-même aux diffuseurs et sponsors.

Beaucoup d'argent en jeu

Sous l'impulsion de son président, la FIS souhaite regrouper et commercialiser elle-même tous les droits, avec l'ambition de devenir plus attrayant pour «générer plus d'argent», résume simplement à l'AFP Christian Salomon, nommé à la tête d'une toute nouvelle division Media et Marketing. «Infront gagne beaucoup d'argent, bravo à eux, c'est le business. Mais pour apporter plus de moyens à la grande famille de la FIS et ainsi en redistribuer aux athlètes ou aux programmes pour la jeunesse, nous devrions avoir cet argent». En jeu, des bénéfices d'un peu plus de 30 millions d'euros annuels, selon lui.

La FIS veut agir vite, mais plusieurs grandes fédérations comme l'Autriche et la Suisse, aux revenus actuels confortables, ne sont pas satisfaites du fond ni de la forme. «Quand un revenu majeur de votre organisation est en jeu il faut avoir des garanties, prévient Diego Züger. Nous voulons connaître la méthode, être impliqués dans le processus. Le sujet est très complexe, c'est pour cela qu'il nous faut un bon concept. Ce n'est pas du tout le cas pour l'instant.»

Le TAS saisi

Au mois de mai à Milan, un Congrès agité a révélé le combat de boxe en costumes trois pièces qui se joue en coulisses. Quatre fédérations (Suisse, Autriche, Allemagne et Croatie) ont saisi le Tribunal arbitral du sport (TAS) pour contester certains points techniques de l'élection de Johan Eliasch, pourtant seul candidat. Selon plusieurs sources du monde du ski, cette saisine visait surtout à montrer les muscles dans l'affaire des droits. Une décision du TAS est attendue le 5 décembre.

La FIS a contre-attaqué en dénonçant des pressions sur les plus petites fédérations lors du congrès. En juillet, le président de la fédération allemande Franz Steinle a été épinglé en plein Conseil pour avoir «sans aucun doute» transmis des documents commerciaux confidentiels à la presse. Ambiance...

Un bras de fer qui reste sans vainqueur

«Nous sommes en plein processus de consultation avec toutes les parties. Quand nous aurons terminé nous verrons la marche à suivre», a sereinement indiqué à l'AFP Johan Eliasch fin octobre. «La FIS attribue annuellement les droits aux fédérations nationales. Si nous arrêtons de leur donner, les fédérations n'auront plus rien à vendre à Infront. C'est simple. On peut le faire dès cette année, quand on veut», clame le président.

Des propos qui font s'étouffer Infront, l'acteur central du marché aujourd'hui, qui s'appuie sur la jurisprudence et les contrats en cours jusqu'en 2026, voire 2030. «Nous ne comprenons pas l'approche frontale (ndlr: de Johan Eliasch) pour la centralisation des droits. Une centralisation forcée représenterait une expropriation et mènerait à de nombreuses et très couteuses actions légales», a écrit à l'AFP la société qui se dit prête à agir elle–même en justice.

D'après Johan Eliasch, un juge suisse ayant statué en faveur de la FIS en mars 2022 avait établi que la fédération était bien propriétaire des droits. Ce n'est pourtant pas ce qu'indique la décision consultée par l'AFP, qui ne jugeait pas ce point sur le fond.

Avançant à marche forcée, Johan Eliasch a «perdu la confiance» de certains acteurs clés du dossier. Tous doivent néanmoins s'entendre s'ils veulent éviter une crise majeure.

(AFP)

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