Proposition de la commission de l'éducation
Des places de crèche bon marché comme outil pour l'égalité de genre

Une nouvelle étude veut prouver que les mères n'augmentent pas leur faible taux d'occupation – même si les places de crèche deviennent moins chères. Dans les cantons pourtant, le tableau est totalement différent.
Publié: 28.02.2023 à 06:16 heures
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Dernière mise à jour: 28.02.2023 à 11:53 heures
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Les places de crèche en Suisse sont chères. C'est pourquoi la commission de l'éducation du Conseil national veut investir davantage de fonds fédéraux dans la garde des enfants.
Photo: Keystone
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Camilla Alabor

Les crèches en Suisse sont chères. Beaucoup plus chères qu'ailleurs. Alors qu'en Allemagne ou en France, l'Etat prend en charge une grande partie des coûts de garde, ici, les parents sont livrés à eux-mêmes… et dépendent de la taille de leur porte-monnaie.

La commission de l'éducation du Conseil national veut changer cette situation en allouant davantage de fonds fédéraux au secteur de la petite enfance. Parmi leurs arguments en faveur d'une telle démarche, la possibilité pour les mères d'augmenter leur taux d'occupation. Véridique?

La semaine dernière, un article de la «NZZ am Sonntag» affirmait le contraire. Selon une étude de Josef Zweimüller, expert du marché du travail à l'université de Zurich, relayée dans l'article, des places de crèche moins chères n'entraîneraient pas une augmentation du taux d'occupation chez les mères. Les quelque 770 millions de francs que les élus veulent investir dans la garde des enfants et les écoles à horaire continu seraient ainsi largement inefficaces dans ce sens.

Cette conclusion est controversée. En effet, d'autres études aboutissent à des résultats contradictoires. À Neuchâtel, deux récents compte-rendus se penchant sur cette même question notent une augmentation du taux d'occupation.

Une seule étude ne suffit pas

Dans un cas, des économistes ont examiné l'effet de la création de 800 places de crèche supplémentaires à Neuchâtel. En comparaison intercantonale, le canton offre un nombre de places élevé à des prix avantageux. Les auteurs de l'étude sont arrivés à la conclusion que les nouvelles possibilités de garde s'accompagnent d'une augmentation du taux d'emploi des mères.

Au total, l'activité professionnelle de cette tranche de la population a crû de 625 postes à temps plein. En d'autres termes, grâce aux places de crèche créées, 2000 femmes ont modifié leur taux d'activité de 30 à 60%.

Une deuxième étude de l'Université de Neuchâtel datant de 2018 se penche également sur cette thématique. L'auteure compare les cantons qui ont créé – d'un point de vue proportionnel et non pas en chiffres absolus – un grand nombre de places d'accueil avec ceux qui ne l'ont pas fait. Sa conclusion: les mères des cantons ayant développé l'offre de crèches ont augmenté leur temps de travail.

Pour Christina Felfe, professeure d'économie à l'université de Würzburg en Allemagne et experte du marché du travail suisse, les résultats montrent «qu'on ne peut pas tirer d'une seule étude une conclusion définitive». Le professeur d'économie Rafael Lalive (Université de Lausanne) partage cet avis. Il trouve la conclusion de son collègue zurichois insoutenable, notamment parce qu'aucune réduction à grande échelle des prix des places de crèche n'a eu lieu jusqu'à présent en Suisse.

Dans son étude, Josef Zweimüller est arrivé à la conclusion que l'élément déclencheur d'une activité professionnelle accrue des mères n'était pas des places de crèche moins chères, mais une modification des modèles de rôles traditionnels. L'idée que le père apporte le salaire à la maison et que la mère s'occupe des enfants est toujours fortement ancrée dans notre pays.

De plus en plus de pères travaillent à temps partiel

La professeure Christina Felfe partage le point de vue selon lequel les normes traditionnelles en matière de genre ont une forte influence sur l'activité professionnelle des femmes. Elle en tire toutefois la conclusion inverse: «Des places de crèche plus nombreuses et moins chères contribuent justement à remettre en question la répartition des rôles actuelle et à donner aux mères le choix du temps de travail qu'elles souhaitent.»

De plus, la réduction des prix et l'extension de l'offre de crèches ne sont que des parties d'un paquet global. «La politique familiale comprend beaucoup plus», soutient l'experte. Elle cite comme exemple le congé parental ou la disposition des entreprises à proposer le travail à domicile. De tels changements conduisent en effet à un changement d'attitude de la société. La professeure d'économie renvoie à une étude sur le congé paternité en Espagne. Elle a montré que les enfants nés après l'introduction du congé paternité considéraient comme normal que les hommes s'occupent aussi de leur progéniture – contrairement aux enfants nés avant la réforme.

Un long processus

«Les valeurs sociopolitiques ne changent pas du jour au lendemain», explique Christina Felfe. Ceux qui s'attendent à ce que toutes les mères augmentent leur temps de travail de 40 à 80% dès que les places de crèche seront moins chères seront déçus. «Mais peut-être que les enfants de leurs enfants le feront alors», précise-t-elle.

Le professeur Rafael Lalive plaide lui aussi pour la patience. L'efficacité d'une mesure dépend toujours du contexte social. «Pour les femmes qui ont augmenté leur temps de travail il y a 20 ans, cela n'en valait souvent pas la peine: tout le travail domestique continuait à leur incomber». Mais lorsque les pères s'engagent également davantage dans les tâches ménagères et la garde des enfants, le calcul coûts/bénéfices change. C'est précisément ce que l'on a pu observer ces dernières années. La proportion de pères travaillant à temps partiel augmente lentement mais régulièrement. Un certain changement de mentalité a donc déjà eu lieu.

De futures études devront examiner l'effet réel d'une réduction sensible du prix des places de crèche si la proposition de la commission de l'éducation passe au Conseil national. La décision devrait être prise mercredi.


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