Prévenir les prochaines catastrophes
Sauver les villages menacés par les intempéries, c'est sauver la Suisse

Alors que les travaux de déblaiement sont en cours dans les montagnes, on discute en plaine de la nécessité d'abandonner les villages alpins menacés. La chercheuse Karin Ingold met en garde: protéger ces zones en danger est dans l'intérêt de tout le pays.
Publié: 07.07.2024 à 20:22 heures
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Gabriele Dazio (à droite), président de la commune de Lavizzara, et Wanda Dadò, présidente de la commune de Cevio, promettent de reconstruire rapidement leurs villages.
Photo: keystone-sda.ch
Lino Schaeren

Le triste bilan des intempéries du week-end dernier est de huit morts, six disparus. Plusieurs maisons ont été réduites en miettes laissant les victimes dans l'incertitude.

Alors que des travaux de déblaiement sont en cours dans les montagnes, on débat déjà en plaine de la question de savoir si la Suisse devrait abandonner certains villages exposés ou des vallées entières en raison de la multiplication des phénomènes météorologiques extrêmes. A cette évocation, les personnes concernées par ces drames ont réagi avec indignation. Cette discussion est égoïste, a déclaré par exemple le président de la commune de Lavizzara (TI).

La vallée de Lavizzara a été particulièrement touchée par les intempéries, au moins trois personnes sont mortes dans le glissement de terrain. On fera tout pour reconstruire le village, a déclaré le président de la commune: «Nous avons le droit de vivre ici et d'y élever nos enfants.»

Des déplacements de population inévitables

Reste à savoir à quel prix. Les régions de montagne sont particulièrement touchées par les conséquences du réchauffement climatique. Le permafrost disparaît, les glaciers fondent, les massifs rocheux s'effritent, les pentes glissent. L'extension massive de l'habitat, même dans les régions isolées, est à nouveau sujet à débat. Des hameaux considérés jusqu'ici comme sûrs se retrouvent soudain dans des zones à risque.

Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) part du principe qu'avec l'augmentation des risques naturels dans les régions de montagne, des déplacements de population seront inévitables dans certains endroits. En Suisse, cette option est déjà une réalité. Mais jusqu'à présent, les déplacements forcés ont rarement été d'actualité.

A Weggis (LU), des maisons ont été démolies en raison d'un risque de chutes de pierres, à Guttannen (BE) en raison d'une coulée de boue. Au Tessin, il y a quelques années, le club culte de hockey sur glace Ambri Piotta a même dû reconstruire son stade, car l'arène de l'ancien site se trouvait dans une zone de danger rouge, avec risque d'avalanche.

La cohésion de la Suisse mise à rude épreuve

A l'avenir, de telles mesures seront probablement plus souvent appliquées. L'Office fédéral de l'environnement (Ofev) notait déjà en 2016 que les relocalisations devraient être plus souvent mises en œuvres en raison de la connaissance toujours plus approfondie des lieux à risque et du changement climatique. Les autorités veulent miser davantage sur un aménagement du territoire basé sur les risques plutôt que sur des ouvrages de protection coûteux pour lutter contre les dangers. Cela signifie qu'il faut renoncer, si possible, à l'exploitation intensive des zones menacées. Une telle solution se traduirait par exemple par des interdictions de construire, des déclassements ou des déplacements de population.

Si la question de la gestion de l'espace alpin est si explosive sur le plan social, c'est parce qu'elle implique la cohésion de la Suisse face aux conséquences du changement climatique. Le débat sur les villages de montagne est bien plus qu'une simple analyse coûts-avantages. Il s'agit de la patrie, de l'identité et de la liberté personnelle garantie par la Constitution. Il est aussi question de fédéralisme et de coûts acceptables pour la collectivité, qui investit déjà beaucoup dans les cantons de montagne structurellement faibles par le biais de la péréquation financière.

Les catastrophes climatiques ont un impact global

Karin Ingold affirme qu'il est urgent que la Suisse se penche davantage sur les conséquences des changements climatiques. Cette professeure de sciences politiques à l'université de Berne mène des recherches sur la protection contre les inondations et les phénomènes météorologiques extrêmes. Selon elle, il n'est pas judicieux de mener le débat de manière isolée sur les vallées alpines. «En Suisse, tout le monde sera touché par l'augmentation des phénomènes météorologiques extrêmes», explique-t-elle. L'agriculture par la sécheresse, les régions de montagne et les plaines par les inondations, les villes par les canicules.

En Suisse, des événements comme les dernières inondations ont souvent une influence bien au-delà de la région concernée. On l'a vu il y a deux semaines à Lostallo (GR), où la route du San Bernardino a dû être fermée pendant deux semaines en raison des dégâts causés par les intempéries. Ou dans le Bas-Valais, où de l'eau polluée s'est déversée dans le lac Léman via le Rhône parce que les stations d'épuration étaient en panne. Ce qui est fait en montagne contre les dangers naturels devrait donc aussi profiter aux villes et aux campagnes, estime Karin Ingold.

La politologue demande donc une solidarité encore plus grande en Suisse avec les régions qui seront particulièrement touchées à l'avenir par les dommages causés par les dangers naturels: «La péréquation financière cantonale devrait éventuellement être complétée par les dangers naturels.»

Pendant ce temps, la population suisse montre une grande compassion pour les victimes des intempéries de ces deux dernières semaines. La Chaîne du Bonheur a reçu 6,2 millions de francs de dons depuis lundi.

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