Froid glacial dans les foyers
S'il y a pénurie d'énergie, les Suisses s'éclaireront à la bougie cet hiver

En cas d'urgence, les tunnels seraient fermés, les signaux lumineux éteints et les trains arrêtés, prévient le chef de l'organisation Ostral. Il critique la somnolence de certains cantons.
Publié: 03.07.2022 à 11:34 heures
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Dernière mise à jour: 03.07.2022 à 17:26 heures
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Manhattan dans le noir (avant la tempête Sandy en 2012): Selon Lukas Küng, ce scénario menace les villes suisses.
Photo: Keystone
Reza Rafi

Des quartiers sombres, des ascenseurs et des escalators à l’arrêt, une population qui a froid... La pénurie d’énergie est un spectre qui hante l’Europe. Et la Suisse est en souci depuis que le Conseil fédéral a mis en garde la population ce mercredi contre une pénurie imminente de gaz en hiver, et l’a exhortée à utiliser l’énergie avec parcimonie.

La dernière fois que le gouvernement d’un pays aussi riche a appelé à économiser les biens de base et que le mot «pénurie» a circulé dans notre société d’abondance date des années 70, lors des crises pétrolières.

Le ministre de l'Economie Guy Parmelin et la ministre de l'Energie Simonetta Sommaruga ce mercredi, lors de la conférence de presse.
Photo: KEYSTONE/Peter Schneider

Mandat de la Confédération

Face à cette évolution inhabituelle, l’Organisation pour l’approvisionnement en électricité dans les situations extraordinaires, ou Ostral, se trouve en première ligne. Jusqu’à il y a peu, seuls les initiés savaient ce que c’était. Créée par l’Association des entreprises électriques suisses, elle a été mandatée par la Confédération pour préparer le pays à ce que l’on peut bien qualifier de situation de pénurie d’électricité imminente.

Ces jours-ci, une présentation d’Ostral a été publiée, et a fait couler beaucoup d’encre. Elle contient des prévisions, et décrit assez précisément ce qui attendrait la Suisse dans le pire des cas de pénurie d’électricité. Ce qui va en inquiéter plus d'un.

Des interdictions de consommation pourraient faire suite aux «appels au secteur de l’économie et à la population». Il ne s’agirait dans un premier temps que de mesures d’économie «douces», comme le précise le document. «Tous les gros consommateurs sont tenus d’économiser une certaine quantité d’énergie afin d’éviter autant que possible les coupures», énonce-t-il. Les «saunas, jacuzzi, piscines, climatiseurs, escaliers roulants, ascenseurs, etc.» seraient les premiers visés. Les experts n’esquissent des coupures de courant cycliques que dans des cas extrêmes.

Qu’est-ce qui serait coupé?

Que pourrait-il se passer, dans ces cas extrêmes? L’électricité serait coupée pendant quatre à huit heures dans certaines régions. Un scénario qui peut sembler improbable dans un pays aussi riche que la Suisse, et qui soulève des questions. Blick a voulu en savoir plus, et s’est adressé à Lukas Küng, qui est à la tête de la commission Ostral, pour mieux comprendre les projections faites quant à ce scénario.

«Oui, ces coupures sont vraiment possibles», répond l’ingénieur en génie électrique sans hésiter. «Ce qui impliquerait un éclairage à la bougie et des appartements sans chauffage. Le trafic serait à l’arrêt, avec des signaux lumineux en panne et des tunnels seraient fermés. Les transports publics seraient paralysés», détaille-il encore. Seules les installations absolument essentielles seraient épargnées. «Les hôpitaux ont une alimentation électrique de secours, rassure Lukas Küng. Mais nous faisons tout pour ne pas en arriver là cet hiver.»

«Cela signifierait des bougies et des chauffages au fioul froids» selon Lukas Küng, le chef d'Ostral.
Photo: Zvg

Quid des coûts et des dommages? Qui serait responsable, par exemple, si le système d’alarme d’un bijoutier ne fonctionne plus et qu’un cambriolage se produit? «Le droit extraordinaire s’appliquerait dans ce cas pour les indemnisations. L’État ne serait pas responsable. Les droits à dommages et intérêts étant supprimés, un bijoutier devrait prendre en charge lui-même sa sécurité et miser par exemple sur une grille métallique.»

Selon le chef d’Ostral, il existe néanmoins des exceptions. Lorsqu’une branche économique est séparée de l’approvisionnement en énergie et qu’elle subit des dommages, par exemple, cas où une indemnisation serait possible. «Cela pourrait déboucher sur une discussion politique, comme pour la question des loyers des établissements fermés pendant la pandémie de Covid-19», illustre Lukas Küng.

Un délai jusqu’au mois de novembre

Son organisation n’est pas seulement en contact avec la Confédération, mais aussi avec les cantons. «Ostral a pour mission de coordonner les mesures avec les cellules de crise cantonales», confirme l’ingénieur. Or, il existe entre les États fédérés des différences flagrantes en termes de rapidité et de sérieux. C’est-à-dire que, manifestement, certains sont en retard en ce qui concerne les préparatifs pour l’hiver.

Mais Lukas Küng tient à le dire d’une manière plus diplomatique. «Certains cantons sont exemplaires et ont élaboré des concepts. C’est le cas notamment des Romands, ou de Bâle-Campagne. Mais d’autres se sont moins penchés sur la question», nuance-t-il. Le directeur d’Ostral ne donne plus beaucoup de temps à ses partenaires pour aller de l’avant: «D’ici octobre ou novembre, les cantons devront être prêts.» Ce qui est essentiel, notamment pour des raisons de sécurité.

«Si nous réduisons tous notre consommation de 10 à 20%, cela sera supportable: tout fonctionnera encore à peu près. Mais si des coupures partielles du réseau surviennent, il nous faut un plan: les organisations de secours – police, pompiers, services sanitaires – doivent être prêtes. Nous communiquerions le lieu et le moment de ces coupures. Et tout le monde pourra le lire.»

La probabilité d’une telle «situation extraordinaire» reste toutefois difficile à évaluer. La politique et l’économie travaillent à l’éviter. Une partie de cette stratégie consiste néanmoins à sensibiliser le public à l’éventualité de scénarios extrêmes.

Recherche d’alternatives

La tâche de sécuriser le pays avec des alternatives en matière de politique énergétique est urgente. Jacques Bourgeois, conseiller national PLR et président de la commission parlementaire de l’énergie, plaide, comme mesure à court terme, pour que la Confédération se fasse garantir ses réserves de gaz dans les réservoirs voisins par des accords de solidarité avec l’Allemagne et la France. Le conseiller national vert genevois Bastien Girod demande quant à lui au gouvernement d’augmenter la réserve stratégique de force hydraulique.

Au milieu de ce chaos, une conclusion fait l’unanimité: l’idée de la ministre de l’Energie Simonetta Sommaruga lancée le 17 février de combler la pénurie d’électricité menaçante à l’aide de centrales à gaz a perdu de son attrait depuis le début de la guerre en Ukraine. Car si le président russe Vladimir Poutine coupait complètement le robinet de gaz à l’Europe cet automne, la Suisse se retrouverait vraiment dans le noir.

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