Pénurie de médecins de famille
La fermeture en Suisse d'une série de cabinets de groupe est le signe d'une crise qui s'aggrave

A Altstetten, quartier tendance de Zurich, le cabinet de groupe Allcare a fermé de manière inattendue. La raison: trop peu de médecins pour une infrastructure trop grande. Un cas qui n'est pas isolé, comme le montre l'enquête de Blick.
Publié: 06.11.2024 à 19:03 heures
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Le centre de médecins de famille Allcare d'Altstellen a dû déposer le bilan.
Photo: Christian Kolbe
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Christian Kolbe

«A cause d'une faillite, Allcare Hausarzt-Zentren AG est malheureusement fermé», peut-on lire sur une feuille A4 collée sur la porte d'entrée du cabinet de groupe. La fermeture de ce centre situé au cœur du quartier dynamique de Zurich d'Altstetten était soudaine et inattendue.

Comment l'expliquer? C'est justement dans des régions comme Zurich qu'il est de plus en plus difficile d'obtenir un rendez-vous chez un médecin de famille. Et ce n'est pas le manque de patients qui est en cause, ni les prestations médicales, qui sont de bonne qualité. 

Un manque de médecins et davantage d'exigences

Allcare a existé pendant 12 ans. Le concept était pourtant innovant: les médecins n'étaient «que» des employés du cabinet, sans responsabilité entrepreneuriale, comme c'est souvent le cas dans d'autres cabinets de groupe. Ils pouvaient ainsi se concentrer entièrement sur leurs patients. 

Le directeur et investisseur Anton Widler explique ne pas avoir trouvé suffisament de médecins pour exploiter l'infrastructure.

Le fondateur, investisseur et directeur Anton Widler, qui est aussi juriste, s'est occupé des finances du cabinet de groupe. «Nous n'avons tout simplement plus trouvé de médecins pour exploiter suffisamment notre infrastructure», explique-t-il. Allcare exploitait huit cabinets de consultation rien qu'à Altstetten. «Il faut au moins six à huit médecins, sinon cela ne vaut pas la peine.»

Allcare a mis la clé sous la porte à cause du manque de médecins, mais ce n'est pas la seule raison, soutient Anton Widler: «Les médecins voulaient travailler moins et gagner plus, tout en maintenant l'équilibre entre vie professionnelle et privée. Ils ne se sont jamais considérés comme des partenaires, mais toujours comme des employés.» 

Il explique même avoir été prêt à vendre Allcare à des employés pour un prix symbolique. Mais sans succès, à cause d'un manque d'autorisations et du «manque de volonté des médecins d'assumer une responsabilité entrepreneuriale», selon Alton Widler.

Les fermetures, pas un cas isolé

Pour les patients, la fermeture du centre médical est une double peine: d'une part, il est tout sauf facile de trouver un nouveau médecin de famille, et il faut en plus jouer des pieds et des mains pour récupérer son dossier médical. De nombreux patients sont touchés.

«
La vraie question est de savoir si nous voulons une médecine qui soit rentable, ou une médecine qui soit utile.
Linda Habib, médecin de famille
»

Mais la fermeture d'Allcare n'est pas un cas isolé. Pour preuve, bien que la chaîne Sanacare ait ouvert un nouveau site ces derniers mois, elle a fermé en parallèle trois autres sites. Ce qui n'a pas manqué de provoquer la colère des patients concernés, comme le laissent entendre des lettres de lecteurs de la région bâloise. Interrogée par Blick, l'Assurance CSS – qui compte environ 1,5 million d'assurés – annonce avoir été informée pour cette seule année la fermeture «d'une bonne douzaine de cabinets de groupe».

Des coûts trop élevés

Dans la région de Berne, le cabinet Südland a fermé il y a quelques jours le dernier de ses deux sites. Linda Habib, 31 ans, est également concernée. La jeune médecin de famille s'était encore enthousiasmée en juin dans Blick, pour avoir obtenu son premier poste après ses études. Mais contrairement à Allcare à Zurich, la fermeture s'est déroulée de façon pragmatique et organisée: «Nous n'avons pas abandonné nos patients, nous les avons aidés à trouver de nouveaux médecins de famille», explique Linda Habib. 

Linda Habib : "Nous n'avons pas abandonné nos patients, nous avons aidé à trouver de nouveaux médecins généralistes".
Photo: Zamir Loshi

«En raison des coûts élevés, nous n'arrivions plus à être rentables», ajoute-t-elle. La médecin de famille soulève un problème fondamental: «En fin de compte, la vraie question est de savoir si nous voulons une médecine qui soit rentable, ou une médecine qui soit utile.»

A l'heure de l'augmentation des primes d'assurance maladie, les deux facteurs sont nécessaires du point de vue des patients. Chaque centre médical qui ferme est une mauvaise nouvelle, et complique pour beaucoup de personnes l'accès à une médecine de famille bon marché.

Des médecins qui travaillent de plus en plus à temps partiel

Sur le principe, le fait que des investisseurs créent des centres médicaux regroupant divers cabinets est positif. Mais c'est aussi là que le bât blesse, comme l'explique Thomas Rosemann, directeur de l'Institut de médecine de famille à l'Université de Zurich: «Je peux très bien m'imaginer que ces fermetures concernent de nombreux cabinets de groupe dirigés par des personnes qui ne sont pas médecin. Parce que ceux-ci ont encore plus de mal à trouver de bons médecins, qui garantissent aussi une occupation continue.» Les centres dirigés par des médecins seraient ainsi moins touchés, suppose le directeur académique. 

Thomas Rosemann plaide pour une revalorisation de la médecine de famille.
Photo: zVg

Comme beaucoup, Thomas Rosemann plaide pour une revalorisation de la médecine de famille. Car les chiffres concernant la pénurie de médecins sont à prendre avec des pincettes: si le nombre absolu de généralistes augmente légèrement depuis quelques années, nombreux sont les médecins de famille à ne pas travailler à plein temps. 

Conséquence: au bout du compte, l'augmentation des médecins de famille contraste avec un nombre d'heures de travail de plus en plus faible. Une tendance qui va encore s'accentuer dans les années à venir, car ce sont surtout les médecins âgés, qui ont des taux d'activité élevés, qui partent à la retraite. 

De nouveaux tarifs sont nécessaires

«S'il y a trop peu de médecins généralistes, la médecine deviendra plus chère», alerte Monika Reber, coprésidente de Médecins de famille et de l'enfance Suisse (MFE). «La médecine de famille peut traiter 94% des problèmes de santé de manière autonome, tout en ne générant que 8% des coûts totaux de la santé», explique Monika Reber, qui travaille elle-même à temps partiel dans un cabinet de groupe. 

«J'ai profité pendant des années des connaissances de mes collègues plus âgés», souligne la médecin qui met en avant les avantages des cabinets de groupe. Monika Reber comprend la volonté des jeunes collègues à travailler à temps partiel: «Un poste de médecin à 70 ou 80% correspond rapidement à un temps de travail hebdomadaire de 42 heures ou plus.»

Un remède grâce à Tardoc?

Pour Monika Reber, il est clair que «la revalorisation de la médecine de famille doit aussi passer par des tarifs plus avantageux». Reste à voir si le nouveau tarif ambulatoire Tardoc, qui entrera en vigueur à partir de 2026, apportera vraiment une amélioration. 

Monika Reber, co-présidente de Médecins de famille et de l'enfance Suisse, met en garde: «S'il y a trop peu de médecins généralistes, la médecine sera plus chère.»
Photo: Christian Kolbe

Toujours est-il que ce nouveau tarif médical pourrait augmenter à nouveau l'attractivité de la profession de médecin de famille. Cela pourrait contribuer à réduire la pénurie de médecins dans ce domaine et à diminuer le risque pour les investisseurs. Une lancée positive pour que d'autres cabinets de groupe et centres médicaux ne doivent pas fermer, et que davantage de patients ne se retrouvent pas temporairement à la rue.

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