Il apparaît devant les caméras semaine après semaine. Il donne des informations sur les derniers développements de la pandémie, s’exprime sur les chiffres des infections, répond aux questions sur les masques, les règles et les interdictions.
La plupart du temps, Patrick Mathys est celui qui annonce les mauvaises nouvelles. Mardi dernier, le chef de la division Gestion de crise et coopération internationale de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) a mis en garde contre Omicron, déclarant: «C’est le calme avant une autre tempête!»
Et pourtant, l'homme de l'OFSP apprécie ces conférences de presse, comme il le confie lors d’un entretien avec Blick. «Je crois que c’est l’un de mes points forts que d’expliquer simplement des choses compliquées», confie-t-il.
Cependant, il apprécie moins la notoriété qui va de pair avec ses apparitions publiques: «Parfois, quand je suis au restaurant, je vois des têtes qui se tournent vers moi et les gens qui chuchotent 'Regarde, c’est le type de l’OFSP!'. Cela me met mal à l’aise.»
«Je n’avais jamais vécu une haine pareille»
Et puis il y a Internet, où l’anonymat permet de déverser son fiel en continu. «Cette colère, cette haine sans filtre… je n’avais jamais vécu ça», explique-t-il à Blick. Les attaques et les menaces le mettent à rude épreuve. «Le Covid est un poids pour nous tous, j’en suis aussi fatigué que les autres», souligne-t-il. Au moment où l’homme parle, et malgré son masque, on remarque dans ses yeux que ces deux années ont pesé fort sur son moral.
Il y a deux ans exactement, il entendait pour la première fois parler d’un virus d’un genre nouveau, détecté en Chine. «Cela devait être le 25 ou le 26 décembre 2019.» Les milieux scientifiques se mettent en alerte. Très vite, un sentiment de malaise s’est installé. Il se souvenait de la pandémie de SRAS de 2003, qui avait fait environ 700 morts. «Nous avons eu beaucoup de chance à l’époque», souligne-t-il.
Début 2020, il est invité à une réunion de la direction de l’OFSP. Un collègue le reconnaît et lui glisse ironiquement: «Aïe, si tu es là, c’est que ça ne présage rien de bon». Et il avait visé juste, bien que personne ne sache à l’époque l’ampleur que le phénomène Covid allait prendre.
Son premier dossier: le bioterrorisme
Patrick Mathys travaille à l’OFSP depuis 2002. Il y est arrivé un peu par hasard. Après des études en Sciences l’environnement à l’EPFZ, il obtient un doctorat en épidémiologie à l’Institut de médecine sociale et préventive de Bâle. Il est très hésitant à l’idée de se lancer dans une carrière universitaire et il tombe sur une annonce d’emploi à la Confédération, à laquelle il répond rapidement.
Dès le début de sa carrière auprès de l’office fédéral, les sujets de crise se succèdent. Son premier dossier concerne le bioterrorisme. À cette époque, des attentats à l’anthrax secouent aux États-Unis. Suivront le SRAS, la grippe aviaire, la grippe porcine, le MERS (Syndrome respiratoire du Moyen-Orient).
Patrick Mathys s’occupe alors des questions clés qui concernent le pays. La Suisse est-elle prête? Quelle est l’ampleur du danger? Quelles sont les mesures préventives à prendre? Tel devient le quotidien du scientifique.
«Je ne l’aurais jamais imaginé»
Le Covid a éclipsé tout le reste. «Quand la crise arrive, boum, elle vous frappe de plein fouet», assène-t-il. Personne n’avait imaginé que les frontières puissent se fermer aussi vite, que le Conseil fédéral déclarerait la situation extraordinaire et décréterait le confinement.
En racontant cet épisode, Patrick Mathys devient pensif. «C’est mon travail de préparer le pays à ce genre de situation et nous sommes bien conscients de l’éventualité d’une crise, explique-t-il. Tous les instruments que nous avons utilisés avaient été évoqués depuis des années, mais je n’aurais jamais imaginé que nous devrions les mettre en place un jour.»
Il sent ses batteries s’épuiser
Pour le scientifique, deux ans de Covid signifient aussi deux années de journées de 11 ou 12 heures de travail, y compris le week-end. Il faut donc une famille compréhensive. «Je n’ai pas d’enfants, mais je suis très reconnaissant de mon entourage, qui m’a soutenu», témoigne-t-il.
Les vacances de cet oiseau migrateur qui aime voyager et a déjà parcouru 98 pays avec son sac à dos furent d’ailleurs courtes. Il avait prévu un long voyage en Namibie pour 2020, qu’il voulait rattraper cette année. Ce sera pour une autre fois.
À la place, il s’offre quelques dîners et un bon verre de vin. En rentrant du travail, il s’assoit quinze minutes sur son canapé et écoute un peu de musique pour se détendre, afin d’évacuer la journée de son cerveau. «Après deux ans en mode crise, je sens mes batteries s’épuiser», confie-t-il.
«Notre mission n’est pas de donner de l’espoir»
La détente n’est pas en vue et ces temps-ci, c’est le variant Omicron qui donne des maux de tête à Patrick Mathys. «Nous le connaissons depuis quatre semaines maintenant et il nous est impossible de savoir ce qu’il va advenir.», soupire-t-il.
Il met en garde contre une surinterprétation basée sur les informations en provenance d’Afrique du Sud. Même si les nouvelles semblent bonnes, l’étendue des données à analyser est énorme. «Notre mission n’est pas de donner de l’espoir», corrige-t-il. Il n’exclut donc rien, pas même un nouveau confinement.
Impossible de fournir toutes les réponses
Mardi prochain, l’homme s’assiéra à nouveau face aux journalistes pour répondre aux questions. Et il dira alors placidement, une fois de plus, qu’il ne sert à rien de trop spéculer. Pourtant, il ne comprend que trop bien les questionnements autour des développements de la situation sanitaire. «La population attend à juste titre des réponses, dit-il. C’est juste que nous ne pouvons pas toutes les fournir.»
Toujours est-il que pour l’année prochaine, il prévoit à nouveau de partir en vacances en Namibie. Tout va donc bien se passer? Patrick Mathys rit. «Cela ne sert à rien de spéculer, lâche-t-il malicieusement. Mais il faut bien s’accrocher à quelque chose.»
(Adaptation par Alexandre Cudré)