Patrick Gyger sur «l'ensoupage» de «La Joconde»
«S'attaquer à une œuvre est parfaitement inacceptable»

Deux activistes écologistes ont jeté de la soupe sur la vitre protégeant «La Joconde», ce dimanche 28 janvier, au Louvre, à Paris. Un nouvel épisode d'une série d'actions qui n'est pas au goût de Patrick Gyger, directeur général de Plateforme 10, à Lausanne. Interview.
Publié: 29.01.2024 à 06:04 heures
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Dernière mise à jour: 29.01.2024 à 14:26 heures
Qu'importe la cause défendue, les soupes jetées sur des œuvres d'art ne sont pas au goût de Patrick Gyger, directeur général de Plateforme 10, à Lausanne.
Photo: D.R./Keytone
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Antoine HürlimannResponsable du pôle News et Enquêtes

«Les Pêchers en fleurs», de Vincent Van Gogh, à Londres. «La charrette de foin», de John Constable, également dans la capitale britannique. «Le printemps», de Boticelli, à Florence. «Maloja en hiver», de Giovanni Giacometti, à Lausanne. Et maintenant «La Joconde», de Leonard de Vinci, à Paris. Toutes ces œuvres ont été la cible d'activistes climatiques ces derniers mois.

Dernier épisode en date: celui du Louvre. Mona Lisa — ou plutôt la vitre qui protège son énigmatique sourire — a été aspergée de soupe par deux militantes écologistes, ce dimanche 28 janvier. Une problématique née en Suisse que connaît bien Patrick Gyger, directeur général de Plateforme 10, à Lausanne, puisque son institution a, elle aussi, été touchée l'année dernière.

Celui qui est à la tête du pôle muséal regroupant le Musée cantonal des beaux-arts (MCBA), le Musée cantonal de la photographie (Photo Élysée) et le Musée de design et d'arts appliqués contemporains (MUDAC) condamne fermement ce genre d'actions, assure-t-il à Blick. Il exhorte par ailleurs les militants à ne plus toucher d'œuvre et questionne l'impact réel de ces opérations médiatiques «sans réels risques» pour les révoltés. Interview.

Patrick Gyger, deux activistes écolos qui militent «pour une alimentation saine et durable» ont jeté de la soupe sur la vitre blindée protégeant «La Joconde», au Louvre, dimanche matin. Comment réagissez-vous à cette action?
Cela m'évoque plusieurs choses. D'abord, on constate que le pouvoir symbolique d'une œuvre est quelque chose d'extrêmement fort. Si on fait un pas de côté, cela démontre presque l'importance et la valeur de ce qu'on fait en tant qu'acteur culturel. Maintenant, sur le fond, s'attaquer à une œuvre est parfaitement inacceptable. Je pense par ailleurs que ces activistes se trompent de cible: les institutions culturelles sont assez naturellement sympathiques avec leurs causes. De plus, je ne suis pas sûr que leur geste serve à grand-chose.

Comment ça?
Il y a un antagonisme flagrant. D'un côté, l'énorme pouvoir symbolique de l'œuvre. De l'autre, les risques extrêmement faibles auxquels s'exposent les activistes. Les œuvres sont quasiment toutes protégées, les gardiens de musées ne sont pas armés d'AK-47 et les éventuelles peines prononcées par la justice sont légères. S'en prendre à un tableau, ce n'est pas la même chose que d'assaillir une grande banque ou que d'empêcher des avions de décoller à Charles de Gaulle.

La forme dessert le fond?
En questionnant le réel courage de ces militants, certains pourraient questionner l'impact de leur action. À noter que si la soupe qui nous intéresse est de la Campbell’s, la référence à Andy Wharol serait évidente (ndlr: Campbell's Soup Cans est l'une des création les plus célèbres de l'Américain). Tout ceci ne serait qu’une performance!

Patrick Gyger, directeur général de Plateforme 10, à Lausanne.
Photo: Keystone

Vous estimez que ces activistes devraient être davantage radicaux pour vraiment servir leur cause?
Ce n'est pas mon propos, je ne suis pas un activiste politique. Je me place en observateur extérieur. Ce que je dis, c'est que le public voit bien que ces œuvres ne sont pas endommagées, que cela n'a que peu de conséquences.

Et donc?
Si le printemps arabe a commencé, c'est parce qu'un homme s'est immolé par le feu. Si le Premier ministre français est venu ventre à terre à la rencontre des agriculteurs, c'est parce qu'ils ont osé des actions choc et pris de vrais risques. Pas parce qu'ils ont jeté du crottin sur Mona Lisa. Les œuvres sont également appréciées du public, qui exprime un fort attachement émotionnel à leur endroit. S’attaquer à elles, même symboliquement, est aussi mal vu. On peut imaginer que s’il y avait de dégâts, on obtiendrait l’effet inverse de celui recherché par les activistes.

Vous parlez de «la sympathie» des institutions culturelles pour les causes des activistes climatiques. Vous faites donc bel et bien de la politique…
Les musées ou encore les théâtres sont des lieux de réflexions sur ces causes. Ce sont par définition des lieux de paroles politiques! Toutefois, ces dernières sont des paroles sensibles, pas forcément partisanes. Par exemple, le film «Broken Spectre» de Richard Mosse actuellement à Photo Élysée — une immersion dans l'Amazonie brésilienne qui témoigne de la déforestation — propose une réflexion poussée sur écologie, mais ne fait pas la leçon.

«Campbell's Soup Cans», l'œuvre d'Andy Warhol, datée de 1962, évoquée par Patrick Gyger.
Photo: Keystone

Pour revenir à «l'ensoupage» de la vitre de protection de la Joconde, les personnes derrière ce type d'actions semblent s'assagir au fil des époques. En 1914, une suffragette canadienne lacérait sept fois au hachoir «la Vénus à son miroir» de Diego Vélasquez. En 1974, un marchand d'art traçait à la peinture rouge sur «Guernica» de Pablo Picasso les mots «Kill lies all» pour s'opposer à la guerre du Vietnam. En comparaison, on pourrait se dire que de nos jours, il s'agit avant tout d'un coup médiatique bon enfant, non?
On ne peut pas réfléchir ainsi. Un jour, une action du genre se produira peut-être sur une œuvre non-protégée ou sera peut-être menée pas des activistes plus radicaux, qui voudront vraiment détruire la création visée. Sans dire aux activistes qu'ils devraient se retourner sur d'autres médiums, j'aimerais en tout cas les exhorter de ne plus s'en prendre à des œuvres. D'une certaine manière, en agissant comme ils le font, ils prennent en otage le public dans un contexte qui n'est pas celui que nous souhaitons offrir. C'est aussi une forme de violence et d'instrumentalisation des institutions comme la nôtre.

Vous avez aussi été la cible de militants écologistes, en septembre 2022. Pendant qu'une action similaire était en cours au Kunsthaus de Zurich, deux membres de Renovate Switzerland se collaient la main au cadre de «Maloja en hiver» de Giovanni Giacometti, exposé au Musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne (MCBA). Que s'est-il passé depuis?
Nous sommes allés au bout des démarches légales. Il y a eu des demandes de conciliations que nous avons refusées.

Pour quel résultat?
La procédure est toujours en cours.

Avez-vous revu vos mesures de sécurité à la suite de cette affaire?
Non. Cette action a démontré que notre plan de sécurité était efficace. Le public a été quasi immédiatement évacué et les gardiens ainsi que la police étaient très rapidement sur place. Il est cependant impossible de prévenir l'irruption de gens dans une salle.

Aujourd'hui, c'est quoi le risque principal pour un musée? Se faire cambrioler la nuit ou asperger de soupe à la tomate?
Cambrioler un musée, c'est quand même très difficile. Même moi, de l'intérieur, j'aurais de la peine! (Rires) Les mesures de sécurité sont très élevées.

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