Le National a adopté mercredi par 111 voix contre 72 une déclaration critique envers le verdict de la Cour européenne des droits de l'Homme, qui condamne la Suisse pour inaction climatique dépasse les limites. Ce vote intervient après celui du Conseil des Etats, il y une semaine.
Certes, la Chambre du peuple reconnaît la valeur de la Cour (CEDH) et de ses arrêts. Il s'agit d'une instance «précieuse» en Europe pour protéger les droits humains, a indiqué Simone Gianini (PLR/TI) au nom de la commission. Mais l'interprétation de la loi a des limites, et la CEDH a tendance à les dépasser.
La Suisse agit déjà
Selon ce texte, le Conseil fédéral devra expliquer aux autres Etats membres du Conseil de l'Europe que la Suisse en fait déjà assez en matière climatique. La Suisse a jusqu'à présent respecté tous ses engagements internationaux en matière de climat, a indiqué Philipp Matthias Bregy (C/VS) au nom de la commission.
Et de citer la nouvelle loi sur le CO2, que le Parlement a adoptée en mars et qui devrait entrer en vigueur au 1er janvier 2025 s'il n'y a pas de référendum. La décision de la CEDH n'en tient pas compte.
La déclaration évoque aussi la loi sur la protection du climat, acceptée par le peuple en juin dernier, qui fixe la neutralité carbone d'ici 2050. La Suisse a également soutenu dimanche la loi sur l'électricité. Pour l'UDC, le PLR et le Centre, il n'y a donc aucune raison de donner d'autres suites à l'arrêt de la CEDH.
La CEDH a-t-elle fait un «Coup d'Etat»?
Pour l'UDC, la CEDH a fait un «coup d'Etat». Elle a empiété sur la compétence de la population suisse et s'est érigée en cour constitutionnelle, a lancé Jean-Luc Addor (UDC/VS). «C'est au Parlement, et éventuellement au peuple, de voter des lois. Les juges doivent les appliquer et pas inventer 'de toute pièce' des droits qui n'existent pas.»
Philippe Nantermod (PLR/VS) a rappelé que la Convention des droits de l'Homme ne contient pas de droit à un environnement sain, à un climat préservé, même pas un droit à la santé. La CEDH a surinterprété le droit à la vie privée et familiale pour en faire un droit climatique. La Cour s'est gravement éloignée de ce pour quoi elle a été instituée et a fait de la politique au lieu du droit, a critiqué le Valaisan.
En Suisse, c'est le Parlement qui décide des lois. Ce n'est pas le rôle d'un tribunal de développer de nouveaux droits humains et de légiférer. La poursuite des objectifs climatiques est une tâche politique, et non celle de la CEDH, a rappelé M. Gianini.
Pour la gauche, c'est cette déclaration politique qui rompt avec le respect des institutions et de la séparation des pouvoirs. La façon de faire de la CEDH, qui dit le droit de manière «vivante», date de 1978, a rappelé Min Li Marti (PS/ZH).
La Suisse donne un «mauvais exemple» en rejetant ce verdict
Beat Flach (PVL/AG) a critiqué le «mauvais exemple» que donne la Suisse en refusant le jugement de la Cour. «D'autres Etats pourraient en faire de même à l'avenir. Cela réduirait la crédibilité de la CEDH et affaiblirait la protection des droits de l'Homme.» Et d'appeler la Suisse à respecter ce jugement.
La réaction est précipitée, a rappelé M. Flach. C'est au Conseil fédéral qu'il revient de prendre position sur le jugement. Il a six mois pour le faire et sa position devrait être connue en août.
Melanie Mettler (Vert-e-s/BE) a parlé de «honte». «Avons-nous le bon rôle institutionnel avec cette déclaration?», a-t-elle lancé. «Je crois que cette déclaration va contre nos institutions.»
Le débat, très juridique, n'a pas fait évoluer les positions de départ. Seuls quelques PLR et Centristes se sont abstenus.
Une affaire initiée par des Aînées mécontentes
Dans une affaire portée par l'association des Aînées pour le climat, l'arrêt du 9 avril dernier condamnant la Suisse pour inaction climatique est définitif et fait jurisprudence. Pour la première fois, un Etat s'est fait épingler en la matière.
Berne a l'obligation de le respecter et donc de redoubler d'efforts contre le changement climatique. La Confédération a aussi été condamnée à verser 80'000 euros (environ 78'500 francs) à l'association pour frais de justice.
Les Aînées pour le climat jugent que l'Assemblée fédérale attaque le cœur du système européen des droits humains et la nature contraignante des jugements de la CEDH. Au Conseil fédéral de «limiter les dommages et de réaffirmer au Conseil de l'Europe que la Suisse reconnait bel et bien la nature contraignante des jugements», écrivent-elles dans un communiqué.
La candidature d'Alain Berset au poste de secrétaire général du Conseil de l'Europe pourrait-elle être prétéritée par la décision du Parlement? Pour le Département fédéral des affaires étrangères, il n'y a pas de lien avec le jugement. «Il revient dans tous les cas aux Etats membres du Conseil de l’Europe, et non au Secrétaire Général, de surveiller l'exécution des arrêts de la CEDH», précise-t-il