Avant de rencontrer le chef de la sécurité de Paléo, je me suis préparée comme d'habitude comme journaliste «news»: au pire. En découvrant les dispositifs sécuritaires d'événements de tailles similaires, en France notamment, je m'attendais à ce qu'il me parle de centaines de gardes, de policiers et même de militaires.
J'ai vite déchanté. «Ce genre de dispositif musclé traduit un manque de maîtrise, on met des gros bras, comme ça on est tranquille», annonce d'emblée Ivan Ripic. En fait d'effrayant Cerbère, on a plutôt envie de partager un cocktail avec deux pailles avec le responsable sécurité du plus grand open-air de Suisse.
Ivan Ripic travaille dans la sécurité événementielle depuis 20 ans. À Paléo, il commence comme bénévole, avant de rejoindre le staff permanent, comme responsable sécurité, en 2016. Il gère désormais 1100 bénévoles, qui prêtent attention aux moindres petits détails.
Éviter les chocs thermiques
Mais commençons par le commencement. Qu'est-ce qu'un petit problème qui peut devenir gros? Par exemple, du verre cassé sur le terrain. Les gilets jaunes, «les yeux et les oreilles» de l'équipe sécurité, patrouillent le festival et font aussi attention à cela. Pas de bout de verre dans le pied, pas de festivalier échauffé, et donc, un problème de moins.
Les gilets jaunes ont aussi pour mission d'éviter les chocs thermiques, non pas au moyen de ventilateurs portatifs, mais avec leurs mots. «Si une bagarre ou une dispute démarre, on fait baisser la tension, développe Ivan Ripic. Il y a pleins d'étapes avant d'en arriver à une situation critique.»
Bouteille d'eau pour tout le monde
La première: offrir une bouteille d'eau. «Cela peut paraître simple et évident, mais fait du bien à tout le monde, indique le responsable sécurité. Même si c'est toi qui as commencé, on t'écoute, on t'offre à boire.» Et si ça ne suffit pas? Alors arrivent les gilets blancs —«une couleur plus apaisante que le classique noir des équipes d'intervention».
Ceux-là débarquent lorsque les gilets jaunes ont déjà tenté de calmer une situation plusieurs fois. L'étape d'après, c'est la police. Elle est présente en civil à Paléo, mais je n'en saurais pas plus. Si ce n'est qu'elle fait un gros travail de prévention autour de l'alcool, avec les mineurs.
Un scan de la foule dès la sortie du train
La présence des gilets jaunes démarre dès la gare de l'Asse. Elle permet un premier scan de la foule. Et de ceux qui sont venus piquer des portemonnaies plutôt que de se trémousser à la scène Véga, par exemple. Ivan Ripic est catégorique: «Ceux qui ne sont pas dans le même mood que nos festivaliers sont très vite repérés, assure-t-il. Les personnes malveillantes se mettent à l'écart toutes seules.»
Elles sont de toute façon rapidement bloquées par l'équipe des entrées. Et pour résumer l'expérience selon la formule d'un célèbre architecte égyptien: pas de billet... pas de billet.
Rester humain, même avec les fraudeurs
Ceux qui aimeraient se trémousser sans sésame ratent généralement leur coup. Le responsable sécurité a quelques anecdotes du temps où il était bénévole. Comme ce jeune homme qui voulait impressionner ses beaux-parents pour leur première rencontre. Il emmène sa douce et ses parents à Paléo, mais n'a que trois billets. Il les leur donne, puis file «trouver une solution». À coup d'escalade de barrière. Il tombe (pas littéralement) sur Ivan. Avant d'être raccompagné à la sortie, le jeune homme craque.
Ému, il raconte toute son histoire, la honte de cette première rencontre où il sera considéré comme un fraudeur. «Je lui ai demandé si c'était du pipeau, il m'a proposé de les rejoindre pour un verre, alors je l'ai laissé rester. C'est aussi une aventure humaine, Paléo», sourit Ivan Ripic. Inutile de préciser que l'histoire ne fonctionnera pas deux fois, si d'aventure elle devait en inspirer certains.
Observateurs vidéos au taquet
Devant la grande scène, la sécurité vit moins d'histoires mignonnes. Chaque journée à Paléo est analysée selon un code couleur qui change en fonction des concerts et de l'organisation de la scène entre deux artistes, notamment. Des observateurs vidéos sont postés au pied de la scène et en hauteur, sur des tours. La caméra, elle, filme la foule depuis le haut de l'estrade.
«Ils détectent les mouvements de foule, mais aussi les malaises, indique le responsable sécurité. Ils guident ensuite les gilets blancs, en fonction d'un découpage précis du territoire, s'ils doivent intervenir au cœur du public.»
La météo, l'ennemi numéro 1
Et juste avant d'entrer sur le terrain de Paléo, une centrale rassemble des opérateurs qui cartographient tous les incidents du festival. Ils établissent des «cartes de chaleur», en direct, selon le nombre d'«événements» qui se produisent au même endroit. Soit, si 20 personnes glissent dans le même périmètre, une équipe se rend sur place pour régler le problème.
La glissade n'est pas un exemple pris totalement au hasard. Parce que ce qui préoccupe le plus les équipes, ce ne sont ni les voleurs, ni les bastons, ni l'alcool. «Ce sont les risques météos, dévoile Ivan Ripic. Ils arrivent sans prévenir et peuvent entraîner des mouvements de foules», explique le responsable. Il faut vérifier que les stands soient bien attachés, renseigner les festivaliers. Et prévenir les campeurs.
Moins on en fait, mieux ça va
Ces derniers dorment à Paléo du lundi au lundi. La sécurité est là pour eux 24/24. «Parfois, certains nous appellent pour se plaindre du bruit des voisins», glisse Ivan.
Comme à la maison. Et ce n'est pas quelque chose qui l'agace, loin de là: «Si vous n'avez rien à faire, c'est que votre job est bien fait, c'est ce que je dis toujours aux équipes», conclut-il.
L'ex-garde du corps de Beyoncé?
Que faisait Ivan Ripic, avant de gérer 30'000 personnes par soir? Était-il garde du corps de Beyoncé? Pilote dans l'armée?
Il rigole. «À la base, je suis électricien, raconte-t-il. À Paléo, notre département s'appelle Accueil et Sécurité. L'accueil est essentiel, notre travail est d'assurer que les festivaliers passent un bon moment et qu'ils soient en bonnes conditions pour faire la fête.»
Bénévole, pas amateur
Cette philosophie «à la cool» cache un boulot monstre. Les bénévoles sont, pour certains, des fidèles qui reviennent chaque année depuis 15 ans. Je pourrais résumer leur boulot en trois axes: éviter tous les petits problèmes qui peuvent devenir gros, constamment communiquer avec le public, et maîtriser le terrain avec brio.
«Nous travaillons avec plus de 1100 bénévoles, issus de tous domaines: professionnels de la sécurité, étudiants, pompiers, ambulanciers ou médecins, qui mettent leurs compétences à disposition du festival, détaille Ivan Ripic. Ces personnes sont formées tout au long de l’année. Bénévole ne signifie en aucun cas amateur et nous sommes fiers de notre modèle, par ailleurs reconnu pour son efficacité tant par les autorités que par de nombreux professionnels du secteur.»