Renens, nouveau nombril du monde (romand). Les tout-puissants dieux CFF en ont décidé ainsi. Ainsi soit-il. Les grandes lignes s’y arrêteront dès fin 2024. Mais ce n’est pas forcément une bonne nouvelle pour la ville ouvrière.
Vincent Kaufmann, professeur de sociologie urbaine et d’analyse des mobilités à l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), s’inquiète. «Je crains une montée des prix des logements, alors que Renens est déjà dans une dynamique de gentrification», confie le chercheur au bout du fil. En clair, faute de moyens financiers, les plus modestes pourraient être poussés vers la sortie par des bobos pendulaires.
Pour mémoire, grâce au nouvel horaire 2025, le chef-lieu de l’Ouest lausannois et sa gare très moderne seront reliés directement à Zurich, Genève ou Brigue. Les voyageurs en provenance de Bienne, Neuchâtel ou Yverdon devront y transborder pour rejoindre la Cité de Calvin et son aéroport, puisque la ligne directe entre Genève et Zurich par le pied du Jura disparaîtra. Pour dix ans, au moins.
Spéculation en vue
«Ce n’est pas pour rien que Genève, Yverdon, Neuchâtel ou Bienne montent au créneau: lorsqu’on change les accessibilités ferroviaires, on agit sur les conditions-cadres de la mobilité, et donc de l’attractivité économique, note Vincent Kaufmann. Avec le développement du réseau autoroutier, l’Ouest lausannois a déjà été placé une première fois au centre de la Suisse romande.
Conséquence: «Cela a notamment généré des stratégies de localisation d’entreprise, à Bussigny ou Crissier. Il n’y a pas de raison que cela se passe différemment avec le rail.» Renens pourrait donc devenir un lieu idéal pour y installer des bureaux.
«Le développement des transports publics a un impact beaucoup plus fort aujourd’hui sur les prix qu’il y a vingt ans», constate pour sa part Olivier Feller, directeur de la Chambre vaudoise immobilière. Corollaire, les investissements dans la pierre devraient se renforcer dans la zone, prédit le conseiller national libéral-radical.
«C’est le jeu de l’offre et la demande. Cela aura un effet à court et moyen terme sur les prix au mètre carré et, à plus long terme, sur les loyers.» D’autant que la gare de Renens pourrait continuer à gagner en importance: le chantier de celle de Lausanne ne se terminera pas avant la fin des années 2030, rappelle le parlementaire.
Même pas peur!
Pas de quoi faire peur aux autorités locales. «C’est vrai qu'il existe des risques de surchauffe, concède Tinetta Maystre, municipale de l’urbanisme, des infrastructures et de la mobilité à Renens. Mais nous disposons d'outils pour veiller à l’équilibre entre logements, emplois et services, à la mixité sociale et à une mobilité apaisée.»
Par exemple? «Nous pouvons, entre autres, imposer des logements subventionnés. C’est ce que nous ferons pour les constructions qui sortiront de terre du côté de Malley-Gazomètre, seul endroit encore constructible sur notre territoire.» Sur 3 km2, Renens s'apprête à accueillir 21’000 âmes.
L’heure est surtout aux réjouissances. «On ne peut pas tout éviter, mais on ne va pas s’interdire d’offrir des infrastructures de qualité par peur de voir notre ville se gentrifier un peu plus, coupe l’élue verte. Le développement de notre gare, la troisième de Suisse romande, est pleinement souhaité, maîtrisé et a été conduit conjointement par quatre communes.»
L'écologiste déplore «que le contexte ferroviaire général se dégrade de ce côté de la Sarine». «Mais nous nous réjouissons du retour des grandes lignes pour notre bassin de population de 80’000 personnes, sans compter les 35’000 de l’Université de Lausanne et de l’EPFL, qui compte des antennes à Sion et Neuchâtel.»
Est-ce vraiment la faute des CFF?
Tous les feux ne sont donc pas au rouge, pour Renens. Mieux: la crainte d’une explosion des biens en location pourrait être infondée. «L’impact de l’arrivée de nouvelles infrastructures de transports publics sur les prix et loyers immobiliers est davantage visible dans des zones jusqu’alors peu ou pas desservies», écrit Julien Scarpa, de la branche suisse de CBRE, groupe étasunien de conseil en immobilier d’entreprise, dans un mail adressé à Blick.
Il pense notamment aux quartiers du nord de Lausanne consécutivement à l'ouverture du métro (M2), en 2008. Jusqu’ici, «dans le cas de Renens, la gare étant en service depuis de nombreuses années, l’amélioration de la cadence et les travaux d’amélioration de l’espace public autour de la gare n’ont joué qu’un rôle mineur dans la hausse des prix de l’immobilier dans la ville.»
Le directeur adjoint pointe d’autres responsables. «Ce sont principalement les tensions accrues sur le marché lausannois couplées à la gentrification progressive de Renens qui ont tiré les loyers et les prix vers le haut.»
«Une diversification est aussi bienvenue»
A l’avenir, y louer un appartement pourrait donc bien coûter encore un peu plus cher. Mais pas forcément à cause des CFF.
De quoi porter un dernier coup de poignard à l’âme rouge et métissée de Renens? Syndique de 2006 à 2016, la popiste Marianne Huguenin l’esquive. «On parle toujours de sa gentrification, mais, en réalité, la ville n’a pas connu de grandes mutations, estime l’ex-conseillère nationale de la gauche radicale. Il y a certes des nouveaux quartiers, mais ses immeubles ouvriers existent toujours. Renens a bougé avec le tissu économique, mais est restée populaire. Il y aura des bagarres à mener, mais une diversification de la population est aussi bienvenue.»