Nombreux problèmes à la Maison d'Ailleurs
Un audit préconise de retirer des pouvoirs à Marc Atallah

Après nos révélations, un audit mené au sein de la Maison d’Ailleurs de Marc Atallah confirme des difficultés dans la gestion. Conséquence: les auteurs du rapport externe proposent d’engager un co-directeur pour ce populaire musée de la science-fiction sis à Yverdon.
Publié: 01.06.2022 à 15:23 heures
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Dernière mise à jour: 01.06.2022 à 16:31 heures
L'audit reconnaît les compétences et la passion de Marc Atallah, mais souligne aussi son «impulsivité» et une «émotionnalité», ou encore des faiblesses dans la gestion et les RH.
Photo: Keystone
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Amit JuillardJournaliste Blick

Vous avez bien lu: près d’un an (!) après l’enquête de Blick, le rapport de l’audit mené au sein de la Maison d’Ailleurs propose de déposséder son directeur Marc Atallah d’une partie de ses pouvoirs. Plus précisément, le mandataire externe recommande l’engagement d’un «co-directeur», qui se chargerait de «la gestion interne et des RH» au très populaire musée de la science-fiction yverdonnois. Autre point marquant: le taux d’activité réel de Marc Atallah, cumulé entre l’institution et l’Université de Lausanne, pourrait poser problème du point de vue de la loi sur le travail.

Pour rappel, nos investigations — menées durant deux mois et basées sur neuf témoignages et de nombreux documents, avaient mis au jour des soupçons de mauvaise gouvernance, de management inapproprié ou encore d’engagement de proches. Des accusations que Marc Atallah et le conseil de fondation avaient rejetées en bloc. Entre 2016 et 2020, de nombreux départs avaient suivi des situations décrites comme des crises internes. Aujourd’hui, l’ambiance au sein du musée semble s’être nettement améliorée.

Reste que le document remis aux journalistes qui en ont fait la demande soulève de nombreuses difficultés rencontrées par la Maison d’Ailleurs, vaisseau amiral de la culture de la cité thermale subventionné à hauteur de 560’000 francs par an par la Commune. Celles-ci sont sobrement expliquées par sa rapide expansion au cours des dernières années, «ce qui a mené à des enjeux organisationnels». Le travail de Marc Atallah en matière de direction artistique et de relations publiques a contribué au rayonnement de la Maison d’Ailleurs et de la Ville, souligne le rapport. C’est du côté gestion et RH que ça coince.

Les résultats de ce «diagnostic» posé entre janvier et mars ne sont pas tendres avec le charismatique directeur, mais n’épargnent pas non plus le conseil de fondation et même la Municipalité. Que reproche-t-il à qui? Quelles questions n’ont pas été abordées et pourquoi? A quoi s’attendre pour la suite?

1. Que reproche l’audit à Marc Atallah, directeur de la Maison d’Ailleurs?

  • Son omnipotence, à tel point que son départ est considéré comme un risque pour le musée. Il est partout: directeur, il fait quasi partie du conseil de fondation puisqu’il assiste à presque toutes ses séances. Le conseil de fondation étant censé être, notamment, l’organe de contrôle, cela peut poser des problèmes de gouvernance. Il est même membre du bureau du conseil de fondation, aux côtés, entre autres, de Laurent Gabella, son président, dont il est proche.
  • Des problèmes organisationnels et de management: «charismatique, créatif et innovant, excellent en relations publiques» et «compétent» dans le domaine artistique, Marc Atallah «incarne le musée et centralise énormément», délègue peu ou tardivement. «Les aspects de gestion interne et de RH […] ne sont pas les forces du management actuel».
  • Une «impulsivité» et une «émotionnalité» dans les échanges avec ses subordonnées et subordonnés, due à, selon le rapport, «un management passionné». «Dans certaines situations, il y a une difficulté à conserver une posture de directeur», ajoute les auteurs du texte.
  • Il existe des tensions entre le directeur et les collaboratrices ou collaborateurs. Le rapport souligne toutefois une ambiance «plutôt bonne» et une «grande confiance dans le directeur», précisant que l’équipe actuelle est «relativement nouvelle». Pour mémoire, plusieurs vagues de démissions, parfois très rapprochées, ont secoué la Maison d’Ailleurs entre 2016 et 2021.
  • Le rapport confirme un grand roulement dans l’équipe: la moyenne d’ancienneté est de 4,5 ans, sachant que certains sont présents depuis plus de dix ans.
  • Un manque de planification et de communication, qui provoquent une «grande charge de travail» pour les employées et employés, crée une «culture du 'bouche-à-oreille'» et des «sentiments d’inéquité de traitement ou des malentendus pouvant amener à des conflits».
  • Un manque de vision et de stratégie à moyen terme.
  • Un manque de rigueur administrative. Par exemple, il n’existe quasi aucun contrat écrit pour les mandataires externes au musée.
  • Une confusion entre son rôle à la Maison d’Ailleurs et au festival d’art numérique Numerik Games, dont il est directeur artistique, mais également membre du comité d’association. Pour le surplus, Numerik Games engage la Maison d’Ailleurs pour l’organisation de l’événement.

2. Que reproche l’audit au conseil de fondation?

  • Le contrat de Marc Atallah, établi pour un 70%, serait en fait un 100% au vu des heures effectuées. Or, le directeur est également chargé d’enseignement à l’Université de Lausanne, à 50%. Les auditeurs relèvent donc qu’en l’état actuel, la situation pourrait poser problème face à la loi sur le travail, qui prévoit un maximum de 45 heures ou 50 heures de travail par semaine.
  • Les conditions de travail des employées et employés sont «jugées médiocres». Les salaires — 69’780 francs par an en moyenne sont rarement augmentés — le salaire minimum sur l’échelle salariale du Canton de Vaud est de 52’000 francs par an. Comme l’avait démontré l’enquête de Blick, celui du directeur — engagé à 70% — a été revu à la hausse plusieurs fois et se situe «au-dessus de l’échelle salariale cantonale». Le directeur et le conseil de fondation sont invités à «définir une échelle salariale assurant des salaires équitables et des écarts salariaux acceptables» et à «réévaluer les conditions générales de travail». Par ailleurs, la femme de Marc Atallah, employée en tant qu’indépendante à la boutique «Pop Invaders» liée au musée, touche un «salaire bien en dessous que celui considéré comme salaire minimum genevois».
  • «Le conseil de fondation n’a pas demandé de mécanisme de veille légale permettant d’éviter» les problèmes décrits par Blick et par l’audit, note le rapport. Avant d’enfoncer le clou: «Le conseil n’a pas toujours réussi à jouer pleinement son rôle», notamment dans le suivi stratégique, le suivi des risques, la veille légale ou encore la mise en place d’un cadre RH.
  • Le rapport d’audit souligne un «fonctionnement peu serein» et «une perte de confiance» de ses membres. Entre le rôle très fort du bureau du conseil (composé notamment du président, du vice-président et du directeur du musée), la présence quasi permanente du directeur et les représentants politiques, «il reste parfois peu de place pour les autres membres».
  • Une organisation à la petite semaine indigne d’une institution de cette envergure. Par exemple lorsqu’il s’agit de prendre des décisions et de les appliquer. Celles-ci «ne sont pas toujours suivies et parfois oubliées»! En outre, des documents liés au fonctionnement du conseil ne sont toujours pas validés, «ce qui fait que le conseil ne peut pas assurer ses fonctions de manière adéquate». Les auditeurs encouragent le conseil à «mener une réflexion sur la composition de ses membres, sur la définition de critères de compétences utiles à la bonne gouvernance de l’organisation» et à limiter les mandats des membres dans le temps.
  • Les auditeurs estiment que, pour garantir la bonne gouvernance, le directeur ne devrait pas être présent lors des séances du conseil de fondation, ou alors en tant qu’invité, lorsque l’ordre du jour le demande.
  • Un manque d’encadrement du directeur, qui n’est par exemple pas convoqué pour un entretien annuel formel.
  • L’absence de vision: «La stratégie 2019-2021 n’a jamais été validée et aucun suivi n’est mis en place».
Laurent Gabella quitte la présidence du conseil de fondation avec effet immédiat.
Photo: D.R.

3. Que reproche l’audit à la Municipalité d’Yverdon-les-Bains?

  • Des représentants de la Municipalité, dont la co-syndique en charge de la Culture Carmen Tanner, font partie du conseil de fondation. Pour les auditeurs, cet état de fait «peut amener à un mélange des rôles et des fonctions». Et amener de la «confusion» puisque le subventionneur fait également partie de l’institution subventionnée. Ce qui peut péjorer les relations entre les membres du conseil.
  • La présence de membres de la Municipalité au sein du conseil et la «dépendance forte» de la Maison d’Ailleurs à la Ville «laisse souvent peu de place au dialogue ou pour se sentir à l’aise pour mentionner des problèmes ou enjeux de l’organisation».
  • Autre problème: «Le fait que la Municipalité nomme six des 9 à 11 membres du conseil de fondation sans que leurs rôles ou les attentes envers eux soient clarifiés pose question».
  • Actuellement, une convention cadre datant de 1999 régit le subventionnement annuel de la Maison d’Ailleurs par la Ville. L’audit déplore l’absence d’une convention triennale, qui a des conséquences: les prestations attendues ou le montant annuel ne sont pas définis. «Il est dès lors compliqué de suivre l’utilisation des subventions, de faire des demandes et de mettre en place un processus d’évaluation annuelle», déplorent les auditeurs.
Co-syndique d'Yverdon, Carmen Tanner avaient exprimé ses craintes sur la gestion de la Maison d'Ailleurs dans notre enquête.
Photo: Keystone/Jean-Christophe Bott

4. Et maintenant?

Au début de la conférence de presse de ce 1er juin, un coup de tonnerre. Laurent Gabella et Gustave Millasson, président et vice-président du conseil de fondation de la Maison d’Ailleurs depuis de nombreuses années, réitèrent leur plein soutien à Marc Atallah. Mais ils annoncent surtout une surprenante nouvelle, alors qu’ils auraient voulu prolonger leur mandat d’un an pour pouvoir mettre en place les 30 recommandations de l’audit: le conseil de fondation a décidé de les démettre de leurs fonctions avec effet immédiat. C’est le premier grand changement provoqué par les résultats dudit diagnostic.

Reconnaissant les problèmes évoqués par le mandataire externe, ils se réjouissent qu’aucun fait pénalement répréhensible ou qu’aucun grave dysfonctionnement n’ait été mis au jour. Pour eux, les faits listés ne sont pas si graves: «Il y a un effet de loupe dans cet audit qui peut donner cette impression, mais ce n’est pas le cas», appuie Laurent Gabella, auteur de plusieurs piques envers la Municipalité. Quant à l’application des recommandations, il ne voit pas d’un bon œil la création d’une direction bicéphale et propose plutôt la création d’un poste à responsabilité dans l’administration. En outre, les contrats de Marc Atallah et de sa femme seront adaptés pour correspondre au mieux à la situation.

Marc Atallah, soulagé d’être arrivé au terme d’une année éprouvante, admet également ses lacunes — même s’il n’en parle pas en ces mots — en matière de gestion et de RH. «J’avais d’ailleurs demandé au conseil de fondation de pouvoir renforcer ce point», soutient-il. Il rejette par ailleurs une nouvelle fois les accusations de plagiat, dont Blick s’était fait l’écho, en citant une expertise produite au sein de l’Université de Lausanne, son autre employeur. Restera-t-il à la Maison d’Ailleurs? «Oui, tant que je peux m’identifier au projet.»

La Municipalité, représentée par ses deux co-syndics, le socialiste Pierre Dessemontet et la Verte Carmen Tanner, réaffirme son soutien à ce musée reconnu à l’extérieur des frontières de la ville. Le soutien financier sera maintenu et l’augmentation éventuelle de la subvention sera discutée une fois les recommandations de l’audit mises en place. Par ailleurs, la Municipalité souhaite garder deux de ses membres au sein du conseil de fondation. Et promet de créer des lettres de mission pour les personnes qu’elle nommera à ses côtés.

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