La situation au Proche-Orient s’intensifie, et pousse les Vert-e-s suisses à remettre une compresse. Dans un communiqué de presse paru ce mardi 6 août, le parti écologiste déplore les «40’000 morts de trop» côté palestinien et tacle le conseiller fédéral Ignazio Cassis, à la tête du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE).
Le risque d’un conflit militaire entre l’Iran et Israël plane, après l’assassinat du chef du Hamas palestinien Ismaïl Haniyeh, attribué à l’État hébreu par Téhéran. Lundi, peu après avoir décidé de saisir 24 millions de francs destinés à l’Autorité palestinienne, le ministre des Finances israélien Bezalel Smotrich s’est illustré par des propos extrêmes. Dans une conférence de presse relatée par «The Times of Israel», il a fait comprendre que personne ne laissera Israël causer la mort de 2 millions de civils palestiniens, «quand bien même cela pourrait être justifié et moral jusqu’à ce que nos otages nous soient rendus».
Ses propos sont particulièrement dénoncés à l’internationale… et en Suisse? Reconnaissance de l’État de Palestine, soutien total à l’UNRWA, agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens, sanctions européennes aussi bien contre le Hamas que contre les colons israéliens extrémistes: le conseiller national genevois Nicolas Walder, passé par Israël et la Palestine lorsqu’il était délégué du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), détaille les demandes des Vert-e-s au Conseil fédéral.
Nicolas Walder, pour vous, Ignazio Cassis et la Suisse font fausse route sur le conflit israélo-palestinien?
Oui, bien sûr. Dans ce conflit, la Suisse a rompu avec sa tradition de gardienne du droit international humanitaire. Aussi bien Israël que les autorités palestiniennes ont des obligations en matière de respect du droit. Depuis l’arrivée d’Ignazio Cassis, phénomène qui s’est renforcé depuis le 7 octobre, le Conseil fédéral s’appuie de plus en plus souvent sur la ligne défendue par le gouvernement Netanyahu. Cela pose un problème, car cela entre en contradiction avec les principes de neutralité et d’impartialité. Et cela affecte aussi le respect du droit international et la promotion d’une solution à deux États.
En quoi Ignazio Cassis devrait-il, comme vous le dites, «corriger fondamentalement son positionnement»?
Il doit faire preuve de plus d’impartialité et s’appuyer sur le droit international pour prendre position et non sur ses affinités. Plusieurs de ses décisions nous inquiètent, et cela ne date pas du 7 octobre. En janvier 2022, Ignazio Cassis décidait de déplacer le bureau de coopération suisse de Jérusalem à Ramallah. Il l’a fait sous la pression des Israéliens contre l’avis des Palestiniens, alors que ses prédécesseurs s’y étaient toujours refusés. C’est très symbolique pour les deux parties.
Mais encore?
Dans cette même période, le Conseil fédéral a décidé de couper le financement de la Suisse en faveur de l’Initiative de Genève, le projet le plus abouti dans la recherche d’une solution à deux États. Enfin, sur l’UNRWA, Ignazio Cassis avait repris les propos du beau-fils de Trump qui disait que l’agence de l’ONU pour les Palestiniens faisait plus partie du problème que de la solution.
Ça vous choque?
Oui, car la Suisse a toujours été un soutien fort à cette agence onusienne, dirigée par un compatriote. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas la réformer, mais l’UNRWA ne peut pas être tenue responsable de l’absence de décisions politiques quant au devenir des réfugiés palestiniens et surtout au règlement du conflit. La majorité des pays le reconnaissent. C’est pourquoi, à l’été 2024, quasiment tous les pays ont repris entièrement leur financement à l’UNRWA, certains l’ont même augmenté.
Mais pas la Suisse…
Il n’y a en fait que deux exceptions: les États-Unis, parce que le dossier est bloqué au Congrès sous l’influence de Donald Trump, et la Suisse qui, après des rebondissements, n’a payé que la moitié de la somme habituelle avec des conditions drastiques. Je trouve étrange que le positionnement de la Suisse sur ce dossier se trouve plus proche de la Hongrie et de Trump que de nos alliés démocratiques allemands, français, espagnols ou britanniques. Il y a aussi eu le cas de la reconnaissance au Conseil de sécurité de l’État de Palestine comme membre des Nations unies. Tous les membres se sont prononcés en faveur, y compris la France et le Japon, à trois exceptions près: le Royaume-Uni avant les dernières élections, les États-Unis… et la Suisse.
Pourquoi la Suisse est-elle ainsi isolée avec les USA sur le plan diplomatique?
C’est le Conseil fédéral, et avant tout Ignazio Cassis, qui font fausse route. Pourtant, les analystes du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) recommandent toujours de soutenir la diplomatie, avec le droit international comme boussole. C’est ce que la Suisse a fait lors de l’invasion de la Russie en Ukraine. Comme elle a condamné et veut sanctionner le Hamas, la Suisse doit aussi prendre des sanctions contre les colons israéliens violents.
Pourquoi?
Parce qu’ils sont accusés d’avoir commis des crimes de guerre. Certains ont en effet bloqué l’arrivée d’aide humanitaire pour les Palestiniens alors que des vies en dépendaient. Les USA et l’UE ont tapé du poing sur la table et décrété des sanctions contre ces extrémistes. Mais malgré nos demandes, le Conseil fédéral s’y refuse. Je ne comprends pas pourquoi la Suisse, d’ordinaire plutôt modérée et impartiale, tient ici une position aussi minoritaire au sein des nations. C’est un mauvais signal.
Le ministre des Finances israélien estime qu’il pourrait être «justifié et moral» de laisser mourir de faim 2 millions de civils palestiniens. La Suisse doit-elle réagir à ce genre de propos?
Bien sûr, il s’agit du représentant officiel d’un gouvernement. Dans les territoires occupés, Israël a la responsabilité de prendre soin de la population civile au regard du droit international humanitaire. La force occupante doit en effet aussi être force protectrice. Cette position d’un ministre est choquante et totalement inacceptable. Le rôle de la Suisse n’est pas d’être pro-israélienne ou pro-palestinienne, mais de défendre le droit international. Elle doit donc condamner les propos et les actes extrémistes aussi bien des Palestiniens du Hamas que d’un ministre israélien.
Que faudrait-il faire concrètement?
Le Conseil fédéral devrait être beaucoup plus critique face aux dérives actuelles du gouvernement Netanyahu. Il faut mettre la pression pour l’amener à venir à la table des négociations. La Suisse n’a évidemment pas la puissance des États-Unis pour l’y contraindre, mais notre pays est reconnu dans son rôle de «gardien du temple», et sa voix est entendue lorsqu’il s’agit de rappeler les différents acteurs à leurs devoirs.
Comme humanitaire à la Croix-Rouge (CICR), vous avez effectué plusieurs missions au Proche-Orient. La situation actuelle vous touche-t-elle personnellement?
Ça me touche énormément, pour les Israéliens aussi bien que pour les Palestiniens. J’étais parti dans une période où l’accord d’Oslo venait d’être signé. Il y avait une vague d’optimisme des deux côtés. En Israël, sous Yitzhak Rabin et Shimon Peres, les forces politiques travaillaient concrètement à une solution juste et pérenne à deux États. Et Yasser Arafat, pour la partie palestinienne, y était également pleinement engagé. Pour moi, c’est un crève-cœur d’assister aujourd’hui à ce conflit meurtrier et de voir les deux parties s’enfermer dans la loi du talion. C’est surtout incompréhensible de la part d’Israël, qui est en position de force aujourd’hui, et qui pourrait, si elle le voulait, choisir la voie diplomatique. En trente ans, on est revenu en arrière. Dans une telle situation, le rôle premier de la Suisse est de rappeler les différents acteurs à leurs obligations et les encourager à régler ce conflit territorial par la diplomatie politique. Cela passe entre autres par une reconnaissance des deux États, dont celui de Palestine.
Les mots ont leur importance. Est-il juste à l’heure actuelle, comme le font certains, de parler de génocide?
Chez les Vert-e-s, on reste prudent avec l’utilisation du terme «génocide». Comme son usage est contesté, ça peut cristalliser le débat et, au final, s’avérer contre-productif. La Cour internationale de Justice (CIJ) parle à Gaza de «risque de génocide», à cause d’actes, mais aussi de propos alarmants comme ceux du ministre des Finances. L’histoire nous dira comment qualifier cette situation. Une chose est certaine, c’est que des crimes de guerres et des violations des droits humains sont régulièrement commis. C’est suffisant pour les condamner et appeler leurs auteurs au respect du droit international. La Suisse l’a très bien fait au lendemain du 7 octobre, en condamnant les crimes barbares totalement inacceptables commis par le Hamas. Aujourd’hui, il faut aussi désavouer fermement les massacres répétés de l’armée israélienne à Gaza depuis un an. Dire stop, c’est le rôle de la Suisse.