Des lanternes allumées flottent sur le Léman, au départ de la rade de Genève. Il y en a 19, une pour chacun des dix-huit féminicides perpétrés en Suisse en 2024, et une pour les victimes du monde entier.
Pour la dixième année consécutive, la conseillère d'Etat genevoise Nathalie Fontanet participe à cette action symbolique, organisée par les clubs dédiés aux femmes que sont Soroptimist et Zonta. La libérale-radicale (PLR), présidente du gouvernement genevois en 2024, évoque sur ses réseaux sociaux ce lundi 25 novembre – journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes – sa volonté de bousculer le statu quo.
«Chacun et chacune d’entre nous a un rôle à jouer dans cette lutte, pouvoirs publics, victimes, témoins, auteurs: nous pouvons changer les choses», assure la ministre des Finances, responsable du Bureau de promotion de l'égalité et de prévention des violences (BPEV). Mais comment agir concrètement depuis Genève? Interview d'une femme de droite engagée pour l'égalité femmes-hommes et contre les violences domestiques.
Nathalie Fontanet, allumer une lanterne par féminicide, c'est symbolique. Mais est-ce qu'on ne manque pas un peu de concret dans la lutte contre les violences faites aux femmes?
Il faut distinguer les deux éléments. Cette cérémonie rappelle à toutes et tous le nombre de victimes de féminicides. La lutte passe aussi par la sensibilisation. Hier, on nous a lu les noms des victimes… et leur âge. C'était très émouvant et interpellant. Et il y a évidemment aussi les actions que mènent les pouvoirs publics et les associations au quotidien.
Vous étiez déjà de cette manifestation l’année dernière et il y avait déjà 18 lanternes. Les choses ne changent donc pas?
Le problème, c'est que ça prend du temps. Moi, je ne rêve que d'un monde où il n'y a plus de féminicide. C'est la plus invraisemblable des violences faites aux femmes. Ça commence par un coup, des menaces ou par des violences psychologiques, et le féminicide s'inscrit dans ce continuum. Effectivement, on doit beaucoup plus écouter les femmes, les croire, pour être en mesure de les protéger. Dans la quasi-totalité des cas de violences, les auteurs sont d'actuels ou d'anciens compagnons.
Ce sujet semble vous toucher très personnellement. Est-ce lié à votre vécu individuel? À celui de femmes proches de vous?
Je n'ai pas été victime de violences domestiques. Je m'engage parce que je suis une femme, une humaine… parce que j'ai trois filles aussi. Même si elles et moi n'y avons pas été confrontées directement, on sent que ces violences de genre existent et qu'on doit les combattre.
Qu'est-ce qui manque? Un vrai changement de société qui a la politique comme point de départ?
Parfois en politique, on pense avoir fait une avancée, avoir déclenché une prise de conscience générale. Mais certains reviennent pour nous accuser de trop culpabiliser les hommes. Pour moi, un homme qui n'a rien à se reprocher n'a pas à se sentir coupable. De nombreux hommes étaient présents lors de cette cérémonie. Ils se sentent concernés, ils ont une mère, une femme ou une fille. Ce n'est pas une lutte des femmes contre les hommes. C'est une lutte pour l'intégrité des femmes. J'aime citer Christelle Taraud, historienne et féministe française: «On ne tue ni par passion ni par amour. On tue parce qu’on perd le contrôle et le pouvoir sur sa chose.» C'est très important.
L'ONU évoque «une femme tuée par un proche toutes les dix minutes» dans le monde. Et en Suisse de nombreux cas font l'actualité, rien qu'hier au Locle...
Chaque féminicide est un choc. Et heureusement qu'on ne s'y habitue pas, car c'est le moteur de la lutte. Le Canton et la Ville de Genève viennent justement de lancer une campagne conjointe à cet égard, qui vise à souligner que ces violences domestiques sont l'affaire de toutes et tous. Pas besoin d'être victime pour aller dénoncer. Les proches et les témoins doivent pouvoir intervenir. Et puis, il faut qu'on croit ces personnes lorsqu'elles viennent dénoncer leurs inquiétudes ou des actes de violence.
C'est précisément le rôle des institutions que vous représentez en tant que présidente du Conseil d'Etat. Vous aviez annoncé un plan d'action contre les violences cet été. Où en est-il?
En plus de renforcer les cours d'éducation sexuelle, nous voulons réviser la loi. Aujourd'hui, seul un entretien est obligatoire pour les auteurs de violences. Nous souhaitons augmenter cela afin de les traiter. Nous avons aussi accordé des montants supplémentaires à des foyers d'hébergement. Et nous allons développer un projet pilote de bracelets électroniques, similaire à ce qui se fait en Espagne. L'idée est aussi de former l'ensemble du personnel de l'Etat en contact avec le public à identifier les premiers signes de violences.
On associe plus volontiers la gauche de l'échiquier politique avec le féminisme. Est-ce que la défense des droits des femmes est suffisamment prise en main par les responsables de votre camp, à droite?
Lors de rencontres intercantonales sur l'égalité, je me retrouve avec des femmes et des hommes de tous bords. Pendant longtemps, on avait l'impression que la thématique de l'égalité – mais pas forcément de la lutte contre les violences – appartenait à la gauche. Aujourd'hui, cette thématique nous concerne toutes et tous. On n'avancera pas en matière d'égalité si on le fait sans les hommes. C'est pareil si on le fait exclusivement avec les partis de gauche.
Où en est l'enquête sur le phénomène des violences à Genève?
Elle est lancée. Plus de 10'000 Genevoises et Genevois tirés au sort ont reçu une série de questions. Ces personnes peuvent répondre jusqu'à fin novembre, ce après quoi nous nous lancerons dans l'analyse. On a souvent l'impression de ne voir que la pointe de l'iceberg. L'idée est d'avoir une meilleure vision de la base immergée de l'iceberg, ce qui n'est pas forcément rapporté aux autorités. Les résultats seront rendus publics en début d'année prochaine.