Mort dans une prison iranienne
Comment les mollahs font tourner la Suisse en bourrique

Un Suisse se serait suicidé dans une prison iranienne. Aucune précision n'a été donnée sur son profil. S'agissait-il d'un touriste ou d'un espion? Téhéran n'a fourni à la Suisse que des «informations imprécises sur son identité».
Publié: 16.02.2025 à 06:01 heures
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Le ministre des Affaires étrangères Ignazio Cassis et le vice-président iranien Mohammed Djawad Sarif en 2018.
Photo: Keystone
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Raphael Rauch

La diplomatie suisse est fière de ses bons offices. Les mandats de puissance protectrice liés à l'Iran sont les plus prestigieux. Depuis des décennies, Washington et Téhéran sont en froid. Si le président américain Donald Trump veut communiquer quelque chose aux mollahs par la voie diplomatique, tout passe par la Suisse.

A cela s'ajoutent d'autres mandats: depuis 1979, la Suisse représente les intérêts iraniens en Egypte et depuis 2019, les intérêts iraniens au Canada.

Pas de sanctions

En raison de ces mandats de puissance protectrice, la Suisse s'incline régulièrement devant les mollahs. En 2022, les images de l'Iranienne Mahsa Amini ont fait le tour du monde. La jeune femme de 22 ans avait été arrêtée, battue et tuée par la police des mœurs iranienne.

La Suisse a protesté contre cette décision. Mais Berne a délibérément renoncé à reprendre les sanctions de l'UE. «La décision a été prise en tenant compte de tous les intérêts de la Suisse en matière de politique intérieure et extérieure, y compris les bons offices de la Suisse en Iran», disait-on.

Mais ceux qui pensent que Téhéran leur rendra la pareille en prendront pour leurs frais après le suicide présumé d'un Suisse de 64 ans le 9 janvier dans une prison iranienne. Que s'est-il passé exactement?

L'ambassade suisse n'a pas été informée

Le Suisse est entré en Iran en octobre 2024 en provenance d'Afghanistan. Il s'est présenté comme un voyageur solitaire. Selon nos informations, il a été enregistré pour la dernière fois en Suisse il y a douze ans. Il a parfois vécu aux États-Unis, depuis 2019 en Afrique du Sud, et dernièrement en Namibie. Il a un fils en Suisse, avec lequel il n'a aucun contact.

Selon les informations iraniennes, le Suisse se déplaçait dans une voiture équipée de différents appareils techniques à des fins diverses. «Après avoir traversé plusieurs provinces, il est arrivé dans la province de Semnan et a été arrêté dans une zone militaire interdite», a indiqué un porte-parole de l'appareil judiciaire iranien à l'agence Reuters. Le Suisse aurait pris des photos de la zone militaire et collaboré avec des pays ennemis, selon les accusations de Téhéran.

Soupçon d'espionnage

Selon nos informations, le Suisse a été arrêté en novembre. Mais rien ne s'est passé par la suite. Ce n'est que le 10 décembre que l'ambassade suisse à Téhéran a été informée par les autorités iraniennes qu'un ressortissant suisse avait été arrêté pour soupçon d'espionnage.

Le Département des affaires étrangères (DFAE) affirme que l'ambassade a tenté quotidiennement d'obtenir plus d'informations sur les circonstances de l'arrestation et la position actuelle du Suisse détenu. L'ambassade voulait rendre visite au soixantenaire en prison mais n'y a jamais pu. La Confédération a «clairement communiqué à plusieurs reprises» aux autorités iraniennes que le refus de l'accès consulaire était contraire à la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques.

Suisse, ou pas Suisse?

Toujours selon nos informations, les Iraniens ont d'abord fourni un faux nom. «Les autorités iraniennes ont fourni des informations imprécises sur l'identité de la personne détenue, de sorte qu'il n'a été confirmé que le 31 décembre 2024 qu'il s'agissait effectivement d'un ressortissant suisse», confirme le DFAE à Blick. «Le 9 janvier 2025, l'ambassade a été informée que le Suisse s'était suicidé en prison.»

Cette histoire soulève des questions sur le devoir d'assistance. Les prisons doivent tout entreprendre pour éviter les suicides. Selon les informations iraniennes, le Suisse aurait demandé à un autre détenu de lui apporter de la nourriture de la cantine de la prison. Une fois seul dans sa cellule, le Suisse se serait pendu avec un morceau de tissu «après avoir éteint la lumière de sa cellule et s'être mis hors de vue des caméras de surveillance».

Le 9 janvier, la Suisse a demandé aux autorités iraniennes de mener une enquête sans faille. Le Ministère public de la Confédération a ouvert une procédure et a autopsié le corps de l'homme de 64 ans: la procédure est toujours en cours. Pendant le Forum économique mondial de Davos, le ministre des Affaires étrangères Ignazio Cassis a demandé des explications au vice-président iranien Mohammed Djawad Sarif.

L'espionnage concerne aussi les touristes

Beaucoup d'éléments n'ont pas encore été élucidés. Engager un Suisse pour espionner l'Iran: les Israéliens ou les Américains ne peuvent-ils pas faire mieux? Simon Wolfgang Fuchs, spécialiste de l'Iran et chercheur à l'université de Jérusalem, répond à Blick. «L'accusation d'espionnage peut toucher des touristes inoffensifs et naïfs qui ne sont pas conscients qu'ils ne devraient pas faire voler de drones en Iran. Ou des chercheurs qui travaillent sur des sujets prétendument problématiques.»

Le Suisse était-il un touriste ou un espion? Son profil n'a pas pu être précisé.
Photo: keystone-sda.ch

Mais si les données iraniennes sont exactes, elles sont «stupéfiantes», estime Wolfgang Fuchs. «Fin octobre, Israël a mené une grande vague d'attaques sur plusieurs cibles en Iran, probablement aussi sur une base des Gardiens de la révolution qui sert à la production de missiles iraniens.» Malgré toute la supériorité technologique des services secrets israéliens, il faut de la main d'œuvre sur place. Mais comme les services secrets ne révèlent jamais l'identité de leurs intermédiaires, il est difficile d'obtenir des précisions.

Wolfgang Fuchs estime qu'il est possible que le Suisse ait été un touriste et qu'il ait été utilisé dans le cadre de «la diplomatie des otages». «L'Iran a déjà retenu à plusieurs reprises des personnes et pour une longue durée afin de les utiliser au moment opportun.» Il est toutefois difficile de cerner les dessous du pouvoir en place. «Le président Peseshkian s'efforce de lancer une offensive de charme en direction de l'Occident. Cette offensive est certes couverte par le Guide de la révolution, mais elle ne coïncide pas avec les opinions d'autres membres du clergé ou les aspirations des Gardiens de la révolution.»

Pourquoi Ignazio Cassis n'est-il pas intervenu?

Reste à savoir pourquoi le ministre des Affaires étrangères Ignazio Cassis, son secrétaire général Markus Seiler, tout de même ex-chef des services secrets, ou l'actuel chef du Service de renseignement de la Confédération (SRC), Christian Dussey, tout de même ex-ambassadeur à Téhéran, n'ont rien entrepris pour pouvoir voir le Suisse de son vivant.

D'autres pays se battent comme des lions pour leurs détenus. Le DFAE a fait savoir qu'Ignazio Cassis et Markus Seiler n'ont été informés du cas que le 9 janvier, soit le jour de la mort du Suisse. Le SRC précise que «pour protéger ses activités opérationnelles, il ne s'exprime en principe pas sur d'éventuels cas individuels».

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