Une voix masculine pousse un gémissement lascif, puis décrit explicitement ce qu'il voudrait faire à Corina. Pour la joueuse et streameuse de Suisse orientale, dont le pseudonyme en ligne est CorinaBrx, l'expérience n'est pas rare: «Il arrive que des coéquipiers ou des hommes qui regardent mon live me disent: 'Femme, retourne à la cuisine!' ou: 'Montre plutôt tes seins!'»
Une étude de l'institut de sondages Ifop citée par le journal français «Libération» a récemment montré l'ampleur effrayante du sexisme dans le monde des jeux vidéos. Selon cette enquête, 40% des femmes ont déjà entendu des commentaires sexistes ou ont été sexualisées en jouant en ligne, et ce taux monte même à 66% dans les jeux de combat.
«Oh non, une femme!»
La joueuse Tamara Büttiker, membre du comité directeur de l'E-Sports Federation Schweiz, connaît bien ce comportement stéréotypé. Dans les jeux en ligne, une femme est souvent considérée comme une coéquipière qui soutient l'équipe, «mais pas comme celle qui peut faire les mouvements décisifs».
Si une femme s'exprime dans le micro de son casque pendant un jeu en ligne, il n'est pas rare d'entendre: «Oh non, une femme!». Certains hommes n'hésitent pas non plus à interrompre prématurément les parties lorsqu'ils se retrouvent dans la même équipe que des femmes. «De telles réactions sont extrêmement frustrantes. Elles expliquent pourquoi certaines femmes se retirent de ce monde ou évitent de jouer avec des inconnus», explique Tamara Büttiker. Elle tient toutefois à souligner que le sexisme est répandu dans le domaine amateur, mais pas dans l'e-sport suisse professionnalisé.
La moitié des joueuses gardent leur genre secret
En raison de remarques déplacées et d'autres formes de harcèlement, les joueuses occasionnelles arrêtent progressivement – ou s'autocensurent: elles mettent leur micro en sourdine ou choisissent un nom de joueur neutre en termes de genre. Selon l'étude d'Ifop, près de la moitié des joueuses de jeux de tir et de combat ont caché au moins une fois leur genre à leurs coéquipiers pour se protéger.
Si la webcam est activée pendant les jeux, le problème s'aggrave d'autant plus. CorinaBrx est la plus grande streameuse helvétique. Concrètement, cela signifie qu'elle se filme en train de jouer, de chanter ou de cuisiner sur la plateforme vidéo interactive Twitch, tout en bavardant avec le public. Lors du streaming de jeux vidéos, le visage de la personne qui joue apparaît en plus petit en haut de l'écran filmé, avec un chat interactif à droite. Depuis la pandémie de Covid-19, les jeux en direct sont en plein essor.
Une analyse réalisée par des chercheurs de l'Université de l'Indiana le montre: Alors que les utilisateurs discutent le plus souvent de sujets liés au jeu avec des streamers masculins, des termes tels que «hot» ou «babe» reviennent nettement plus souvent avec les streameuses.
Clichés sur les rôles dans les jeux
Un algorithme de Twitch est pourtant sensé filtrer de tels termes. Selon Corina, l'IA ne reconnaît toutefois pas certaines expressions, par exemple en suisse allemand, c'est pourquoi elle fait surveiller le chat par des modérateurs. Mais elle ne se sent pas découragée par les commentaires: «Je ne le prends pas personnellement - il est bien connu que les gens se permettent tout et n'importe quoi, cachés derrière leur anonymat.» La plateforme Twitch souligne que ses utilisateurs peuvent également bloquer des expressions spécifiques si elles sont discriminatoires, obscènes ou hostiles.
Certains critiques estiment que les clichés sur les rôles dans les jeux encouragent une attitude sexiste. Leur argument: les femmes continuent de se voir attribuer le rôle de victimes dans de nombreux jeux vidéo, les héroïnes animées portent souvent des vêtements moulants et non fonctionnels ou balancent ostensiblement leurs hanches. Exemple des plus choquants: en 2019, le jeu en ligne «Rape Day», dans lequel des femmes pouvaient être violées et assassinées. La plateforme en ligne responsable a décidé de ne pas publier ce «jeu» après une tempête de critiques.
La princesse Peach se sauve désormais elle-même
Selon les experts, le nombre de jeux vidéo dans lesquels les personnages féminins ne correspondent plus à un cliché misogyne a toutefois augmenté ces derniers temps. Et au cinéma, c'est le plombier Mario qui doit actuellement aider son frère Luigi à se sortir d'une galère – tandis que la princesse Peach l'y aide.
Dans les jeux Nintendo, il était jusqu'à présent courant que ce soit Mario qui libère la princesse du royaume des champignons.