Ce week-end, je me rends à Paris. Lorsque j’explique à mes proches que c’est pour couvrir une compétition de jeux vidéo, j’ai le droit à deux réactions. Celle des personnes de mon âge, qui pourrait se résumer en «Trop stylé, profite à fond!» et celle des gens généralement un peu plus âgés.
Ces derniers ne comprennent pas pourquoi je vais voir des gens jouer sur leur ordinateur. Mais quand je mentionne que la compétition se déroulera à Paris-Bercy, devant 15’000 personnes sur place et des dizaines de milliers d’autres en ligne, je parviens à capter leur attention. C’est bon, j’ai la vôtre? Alors allons-y!
Ce samedi, j’observerai donc seize gars jouer à un jeu de voitures — TrackMania — à l’AccorHotels Arena (anciennement Paris-Bercy). Et parmi ces seize joueurs, il y a deux Romands: Sébastien «Affi» Affolter et Yann «Yannex» Perroulaz (le nom entre guillemets, c’est leur pseudo dans le jeu). C’est donc pour ça que je monte à Paris. Afin de relater, au mieux, les aventures de nos représentants qui vont vivre une expérience hors du commun.
Maintenant que les présentations sont faites, place à la vraie question: pourquoi des milliers de personnes convergent dans la capitale de l’Hexagone pour suivre la TrackMania Cup? Et, pourquoi, de manière générale, les gens se passionnent-ils autant pour les compétitions de jeux vidéo?
1. Parce que les jeux vidéo, c’est comme le sport
Attendez les puristes, ne partez pas tout de suite! Je sais que cette première réponse ne va pas plaire à tout le monde, et surtout pas à mon éminent collègue spécialiste du hockey Grégory Beaud. D’ailleurs vous remarquerez que cet article ne se trouve pas sous la rubrique «Sport».
Pourtant, y a-t-il vraiment une différence entre regarder 22 gars courir après un ballon et seize manier excellemment la manette ou le clavier? Pour Yannick Rochat, Professeur assistant en études vidéoludiques à l’Université de Lausanne (UNIL), la réponse est non: «Comme à Roland-Garros, on a un objet, avec des règles, qui met les spectateurs dans des situations de tension, de suspense et de rebondissements, développe-t-il. D’ailleurs, certains sports sont numérisés (ndlr: FIFA, NHL ou Madden).»
Et si votre contre-argument est: «Oui mais les jeux vidéo, ce n’est pas physique», je tiens à rappeler que les fléchettes ou la pétanque sont considérées comme des sports (enfin, peut-être pas par tout le monde).
Frédéric «Torrix» Boy, président du Lausanne eSport, partage le point de vue de Yannick Rochat: «C’est comme une finale de Champions League. Il y a une différence entre la vivre sur place ou la regarder à la télévision.» Et, contrairement au match Liverpool – Real, les places sont bien plus accessibles: entre 35 et 45 euros. «En plus, tu sais que ça tombe dans les poches d’un gars que tu apprécies.» Et ce gars en question, c’est ZeratoR.
2. Parce que les streamers ont des monstres communautés
Adrien «ZeratoR» Nougaret est l’un des streamers les plus connus au monde. C’est lui qui a créé la TrackMania Cup et qui animera sa dixième édition sur scène, samedi soir. Et pour comprendre son impact dans le milieu du gaming francophone, Torrix me résume cela parfaitement: «ZeratoR pourrait décider d’organiser un tournoi de mini-golf, il parviendrait à remplir Paris-Bercy.» L’influence de ce streamer est telle qu’il est l’instigateur d’un événement caritatif — le ZEvent — qui a récolté 10 millions d’euros en 2021.
Le spécialiste de l’UNIL explicite cet enthousiasme autour des streamers en général. «Les gens ne sont pas uniquement là pour la performance — ils ont un véritable attachement à ces personnes, assure Yannick Rochat. Les streamers ont cette capacité, tout en restant assis sur leur chaise à intéresser, à envoûter les gens et raconter des histoires avec seulement leur clavier et leur souris.»
Et Affi aura l’occasion d’expérimenter cette aura au plus près samedi. «Il y a un engouement créé par ZeratoR autour de cet événement. Les gens viennent pour le spectacle. Si ce n’était que des fans du jeu, il y aurait maximum 1000 personnes», insiste le jeune Vaudois. Ils seront donc 14’000 de plus à l’encourager lui et ses camarades sur scène.
3. Parce que c’est un phénomène générationnel
Si vous ne comprenez pas pourquoi des milliers de personnes se rendent à ces compétitions, c’est peut-être que vous êtes trop âgés. La majorité des gens dans le public feront partie de ma génération et auront grandi avec les jeux vidéo, qui font partie de leur quotidien.
C’est en tout cas une thèse soutenue par Yannick Rochat: «Il y a un clash générationnel dans les jeux vidéo. On l’a vu dans d’autres domaines comme la musique ou la mode.» Cette affirmation va de pair avec mon expérience personnelle: mes parents sont largués, tandis que mes amis se réjouissent de suivre l’événement devant leur ordinateur.
Au bout du fil, le professeur assistant m’explique également qu’il est «plus simple pour une génération de rejeter et de s’opposer que de comprendre». Pour soutenir sa thèse, il prend l’exemple d’Antoine de Caunes. Avant-gardiste sur plusieurs sujets, l’animateur a pourtant exprimé son désarroi face aux streamers.
4. Parce que TrackMania est un jeu accessible
Mais le jeu TrackMania va peut-être réconcilier les générations. Contrairement à d’autres jeux vidéo, les règles sont simples: la première voiture qui franchit la ligne l’emporte. Ce jeu est donc «regardable» par tout le monde. Une affirmation que soutiennent mes trois intervenants.
«C’est l’exemple de ce que doit être l’eSport aujourd’hui. 'Easy to learn, hard to master' — 'Facile à apprendre, difficile à maîtriser'», s’exclame Torrix. Affi est du même avis: «Les parents peuvent venir avec leurs enfants. Et ils peuvent même se prêter au jeu.» Ce sera par exemple le cas de sa propre famille, qui fera le déplacement depuis Gland (VD) pour le soutenir à Bercy. De son côté, Yannick Rochat soutient cette analyse d’un jeu avec des «règles assez simples».
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Bien sûr, tous les jeux vidéo qui remplissent des salles entières ne sont pas aussi accessibles. Des jeux comme League of Legends ou Dota 2 larguent même des personnes passionnées comme moi. Mais avec des communautés de fans hardcore, les compétitions remplissent quand même les salles.
Une chose est sûre: peu de personnes ne toucheront pas le puck dans le public ce samedi. Et, pour ceux qui risquent d’être perdus, ZeratoR a gentiment tourné une vidéo pour expliquer les règles de sa TrackMania Cup aux néophytes. Si ça, ce n’est pas sympa.
Vous pouvez suivre gratuitement la TrackMania Cup 2022 en direct sur la chaîne Twitch de ZeratoR samedi, dès 18h.