Depuis le milieu du 19e siècle, la Raiffeisen est synonyme de succès. Le modèle coopératif a été créé par le réformateur social allemand Wilhelm Raiffeisen afin d’aider les paysans pauvres. Cette forme de commerce communautaire s’est rapidement répandue et la première caisse Raiffeisen a vu le jour en Suisse en 1899 à Bichelsee (TG) à l’initiative d’un pasteur. Aujourd’hui, on compte un demi-milliard de sociétaires Raiffeisen dans le monde. Rien qu'en Suisse, la banque compte quatre millions de clients, dont la moitié sont des coopérateurs.
Pendant des décennies, Raiffeisen a été considérée en Suisse comme une banque proche du peuple, avec des succursales indépendantes dans tous les villages. En 1985, il y avait 1229 coopératives.
Lorsque, pendant la crise financière, les banquiers ont soudain été considérés comme des arnaqueurs et des semi-criminels, la Raiffeisen a conservé sa réputation de «bonne banque». Le CEO de l’époque, Pierin Vincenz, un Grison charmant, qui parle les langues nationales au lieu de l’anglais et qui avait la décence de posséder une résidence secondaire au Tessin plutôt qu'à l'étranger, était également en accord avec cette image.
La Raiffeisen représente alors une sorte de Suisse en miniature: une organisation fédéraliste, des valeurs proches du terrain, le droit de vote aux AG pour chacun et chacune. La «famille Raiffeisen», comme la banque se nomme elle-même, dépense en plus chaque année des millions pour sponsoriser des courses de ski et des maillots de clubs sportifs locaux.
Une banque comme les autres désormais
Mais sous Pierin Vincenz, la banque est devenue similaire aux autres, économiquement parlant, explique le professeur Peter V.Kunz. Elle s’est développée, a été classée comme banque d’importance systémique en 2014 en tant que troisième plus grande banque de Suisse, et en 2020, son bénéfice s’élevait à 900 millions de francs. «Ce n’est pas une entreprise de bienfaisance, ils veulent faire des bénéfices, et c’est normal», explique-t-il. Enfin, selon lui, la Raiffeisen doit désormais remplir les mêmes conditions que n’importe quelle grande banque. «En tant que coopérative, elle a une meilleure image, mais celle-ci est trop bonne par rapport à la réalité», affirme-t-il. Ce n'est pas l'avis du service de presse de la Raiffeisen qui le contredit. A notre demande, il s'exprime et assure que le modèle coopératif, avec une voix pour chaque copropriétaire, continue de rendre la Raiffeisen unique.
L’affaire Vincenz fait donc vaciller cette réputation historique. L'ex-chef de la banque est accusé d'avoir investi dans d'autres entreprises dans le dos de Raiffeisen et d'avoir transmis des notes de frais personnelles pour d'énormes montants, notamment dans divers clubs de streap-tease du pays. Face à Blick, les clients de Raiffeisen qualifient le scandale de «honteux», «presque incompréhensible», ils n’ont «pas de mots pour le qualifier».
Malgré tout, la moitié de la Suisse et une PME sur trois restent des clients de la Raiffeisen. Le nombre de clients a également augmenté au cours des dernières années. D’une part, les clients bancaires suisses sont indolents, explique le professeur Peter V.Kunz. La plupart d’entre eux ne résilient leur compte que lorsqu’ils ont peur d’une faillite. D’autre part, Raiffeisen est toujours considérée comme plus sympathique qu’UBS et Credit Suisse.
Et cela a peut-être aussi à voir avec le fait que beaucoup font la différence entre la centrale de Saint-Gall et leur Raiffeisen locale. «La Raiffeisen est une coopérative, nous sommes enracinés ici et cela n’a donc pas grand-chose à voir avec Pierin Vincenz», déclare par exemple le client de la banque.
Peter V. Kunz doute que la success story de Raiffeisen se poursuive dans 20 ans. En raison des fusions et des mesures d’économie, il y a de moins en moins de filiales locales. Aujourd’hui, il existe encore 219 coopératives et 823 sites. «Si les clients ne peuvent plus se rendre à l’AG du village, la Raiffeisen perdra son âme», assure Peter V.Kunz. La numérisation menace le modèle d’enracinement régional: les jeunes n’ont plus besoin des banques physiques. Pour la Raiffeisen, la jeune génération numérique est peut-être, à long terme, le plus grand problème que l’affaire entourant son ancien chef.
(Adaptation par Thibault Gilgen)