Malaise sur deux roues à Prilly et Renens
Un cours de vélo débutantes pour femmes, est-ce forcément sexiste?

Dans le cadre de leur Semaine du vélo, les villes vaudoises de Prilly et de Renens ont décidé de dispenser un cours débutantes uniquement ouvert aux femmes. Pourquoi avoir fait ce choix, et peut-il se justifier? Blick a posé la question aux principaux concernés.
Publié: 03.05.2022 à 16:56 heures
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Dernière mise à jour: 04.05.2022 à 09:20 heures
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Les Villes de Prilly et Renens ont décidé de dispenser un cours uniquement ouvert aux débutantes.
Photo: KEYSTONE
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Lauriane PipozJournaliste Blick

Un «cours de vélo 'débutantes' pour femme»? L’un des intitulés du programme de la semaine du vélo de Prilly et Renens, qui s’est déroulée entre le 27 et le 30 avril dans l’Ouest lausannois, a de quoi surprendre. Est-on face à un stéréotype de genre, un peu comme celui qui prétend que les conductrices sont des dangers au volant? Selon les organisateurs, conduiraient-elles moins bien leur petite reine? Ces questions méritent d’être posées.

Ce cours s'est tenu le jeudi 28 avril dernier. Contacté au préalable, Colin Jequier, chef du service Énergie et environnement de la Ville de Prilly, est catégorique: cette offre n’est pas discriminatoire, bien au contraire. Cette semaine propose diverses animations pour promouvoir le deux-roues et encourager les habitantes et habitants à passer à ce type de mobilité douce, avec également d’autres leçons mixtes – mais pour un niveau plus avancé.

Rien de polémique, assure-t-on à Prilly

«Une problématique de genre dans la pratique du vélo existe bel et bien, avance le chef de service. Notamment – mais pas uniquement – au sein des populations migrantes ou allophones.» Mais il n’y a rien de polémique, assure-t-il.

À l’origine de cette idée, nul préjugé, mais l’expérience d’une travailleuse sociale de proximité pour les jeunes du centre de loisirs, ainsi que des retours de Pro Velo Lausanne, qui dispense des cours de bicyclette pour les migrants et migrantes: «Dans certaines cultures, l’apprentissage du vélo est encore réservé aux garçons. Nous cherchons à créer un environnement confortable, dans lequel les femmes peuvent aussi se retrouver.»

L’action poursuivrait donc un but inclusif, nous dit-on: montrer que chacune et chacun peut passer à ce mode de transport durable, respectueux de l’environnement. «D’ailleurs, je ne vous cache pas qu’un homme suivra aussi cette leçon destinée à un public féminin», souffle Colin Jequier.

Mais les participantes sont-elles prévenues? Risquent-elles d’être incommodées? «Nous voulons croire que non, rétorque son assistante, Maria-Caridad Eggler. Ce cours n’a pas un objectif partisan. Nous voulons simplement que les habitantes se sentent concernées, qu’elles osent prendre leur place sur la route.» Elle enchaîne: «D’ailleurs, c’est un moniteur qui enseignera, elles le savent et ce n’est pas un problème!»

Des voies cyclables pas assez sécurisées

Rebecca Joly, municipale chargée de la Mobilité à Prilly, ajoute une raison plus politique. Elle précise d’emblée qu’elle n’est pas chargée de la Semaine du vélo. Mais la Verte soutient cette action à 100%. Selon des études, les activités à risques seraient plus facilement pratiquées par des hommes. «Or, à Lausanne, les voies cyclables ne sont pas tout à fait sécurisées, lâche-t-elle. On peut facilement avoir peur sur deux roues! Notre offre s’adresse également à elles, qui craignent plus facilement de prendre la route. C’est prouvé.»

Au bout du fil, Lucie Schoch, spécialiste des questions de genre dans le sport, acquiesce. Et rappelle qu’il y a plusieurs facteurs. L’experte souligne qu’une grande enquête de la Ville de Lausanne s’est récemment penchée sur le sport urbain. Le sondage qu’elle contient confirme que le sexisme a son importance: dans la Capitale olympique, près d’une habitante sur cinq aurait été victime d’actes ou de propos sexistes dans le cadre de sa pratique sportive. Il n’est donc pas si étonnant que seules 10% des sondées aient affirmé être à l’aise en faisant du sport en ville.

Lucie Schoch précise: «Si ces données concernent le sport en général, elles sont certainement valables dans le cadre de la mobilité. Dans ces conditions, il est tout à fait possible qu’on soit plus réticente à se rendre d’un point A à un point B sur un deux-roues, et qu’on lui préfère les transports en commun!»

«Cette demande existe»

À propos de l’action de la Ville de Prilly, l’experte hésite. Est-ce une bonne chose? «Quelque part, on entretient presque l’idée que les débutantes sont des femmes.» Lucie Schoch rebondit: «Je défends la mixité dans le sport, mais il faut quand même prendre en compte un fait: ce type de cours répond à une demande. Les femmes reconnaissent qu’elles ont parfois besoin d’un cadre rassurant pour faire du sport, qu’elles ne sont pas toujours à l’aise dans la rue.»

L'experte tranche: «On peut en penser ce que l’on veut, mais cette offre sportive destinée à un public féminin correspond à un besoin. Beaucoup doivent s’orienter vers des structures privées pour y répondre. Et même si on peut essayer de discuter cela, de le casser, on ne peut pas le nier.»

Sur place, à Malley, nous retrouvons une cycliste en herbe sortie du cours de débutantes. Leila a appris à rouler à l’âge adulte, mais n’était plus montée sur un deux-roues depuis longtemps. Deux éléments l’ont poussée à s’inscrire à cette leçon: son aspect initiatique d’abord, et l’appel exclusif à un public féminin ensuite. Or, la participation d’un homme ne l’a finalement pas incommodée, assure-t-elle, très enthousiaste. «La personne qui nous a accueillis nous a bien expliqué que toute l’équipe était au même niveau et s’est assurée que sa présence ne nous dérangeait pas.»

«Une grande cohésion»

Colin Jequier se dit très satisfait du déroulement de la leçon. Il relève en particulier «une grande cohésion entre les participantes et le participant, qui avaient des différences d’âge, de culture et de genre». Au total, six débutantes étaient présentes, dont une femme accompagnée de ses deux filles d'environ 10 ans et une personne non-francophone. «Comme il s'agissait d'un cours d'initiation, tout le monde a fait preuve de beaucoup d'humilité», se réjouit-il.

La Ville de Prilly pense à pérenniser ce cours. Mais peut-être avec une formule un peu différente. Après ce premier essai concluant, Colin Jequier n'est pas fermé à l’idée de proposer cette même offre aux deux genres. Doit-on comprendre que l’exclusion de participants masculins précisée dans l’intitulé n’était pas utile? Il réfléchit quelques secondes. Il dit entendre la problématique, mais souligne que l’annonce a attiré l’œil des débutantes. C’était le but visé. «Finalement, l’aspect initiatique et la mise à disposition du matériel ont peut-être joué un plus grand rôle que la non-mixité, concède-t-il. Mais il s’agissait d’un premier test.»

Le chef de service est toujours convaincu qu'une promotion de la petite reine est encore à réaliser auprès de la population féminine. Mais sa forme reste à déterminer.

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