L’argent ne tombe pas du ciel, mais presque, pour certains fonctionnaires de Swissmint. Les employés de l’entreprise publique qui frappe la monnaie suisse profitent d’une astuce à la limite de la légalité pour se remplir les poches. La magouille: ils acquièrent en tant que particuliers des pièces de collection de leur propre employeur avant de les revendre plus cher sur des plateformes comme Ricardo.ch.
L’affaire a éclaté au grand jour lors de l’émission de la pièce spéciale Platinum. En janvier 2022, la Monnaie fédérale a frappé pour la première fois une pièce de monnaie en platine, avec un tirage limité à 999 exemplaires. Prix: 799 francs. Comme ce fut le cas pour les précédentes pièces de collection, la demande était bien plus importante que l’offre.
Des prix qui s’envolent
Les serveurs de la boutique en ligne sont tombés en panne lors de la mise en vente. L’ensemble des pièces ont tout de même été écoulées en peu de temps. Fait curieux: la majorité des collectionneurs sont repartis bredouilles. Sur les plateformes de revente, le prix de la pièce de platine a explosé en quelques heures pour atteindre plus de 2500 francs. Aujourd’hui, certaines offres atteignent les 4000 francs.
Un collectionneur qui s’est adressé à Blick n’est pas parvenu à s’en procurer un exemplaire, malgré plusieurs tentatives. En revanche, en parcourant les plateformes de revente, il a découvert un profil dont le nom l’a interpellé: «Ronnie_75».
Ce dernier a pu vendre aux enchères une pièce Platinum quelques jours seulement après son émission pour près de 2500 francs, c’est-à-dire pour un bénéfice de 1700 francs. Ce qui l’a frappé, c’est que toutes les données concernant ce vendeur correspondent à Ronnie Mocker, le… directeur de Swissmint.
«Je trouve ça dégueulasse que nous, les collectionneurs de pièces, passions des heures sur la boutique en ligne pour repartir bredouille. Et que le directeur profite encore de notre malheur pour faire des bénéfices!», témoigne le collectionneur. Par ailleurs, il s’interroge: Ronnie Mocker a-t-il simplement eu de la chance, ou avait-il un accès privilégié par sa fonction?
Le chef de Swissmint pris les mains dans le sac
Interrogé par Blick, le patron de Swissmint admet qu’il est derrière le profil «Ronnie_75»: «Avec le recul, je vois que c’était imprudent et que cela n’a pas envoyé un bon signal. C’est pourquoi je regrette l’achat et surtout la revente.» Il souhaite désormais faire don de son bénéfice à la Ligue contre le cancer. Ronnie Mocker assure toutefois n’avoir enfreint aucune loi. Et qu’il n’avait pas d’accès privilégié.
Le chef n’est cependant pas le seul collaborateur de Swissmint à avoir eu la main heureuse. Au moins trois de ses collègues ont également pu acquérir une pièce Platinum, comme le rapporte la Monnaie fédérale sur demande.
«Rétrospectivement, la revente était maladroite et, après un examen critique, également inappropriée. Les collaborateurs de Swissmint sont informés qu’ils doivent s’en abstenir à l’avenir», avance la porte-parole de l’institution.
Néanmoins, il n’y a pas eu d’accès privilégié, que du hasard. «Nous comprenons que de telles suppositions aient été émises par des collectionneurs qui n’ont pas pu acheter de pièces eux-mêmes. Mais elles sont fausses», explique-t-on du côté de Swissmint.
A l’ordre du jour du Conseil national
Le conseiller national du Centre Marco Romano a par ailleurs soulevé la question de la vente de pièces de collection lors d’une session au Parlement en mars 2022. Il déplore que «les collectionneurs n’ont aucune chance d’acquérir la pièce, car l’afflux de nombreux spéculateurs a paralysé le site Internet de Swissmint».
L’élu doute des affirmations de Swissmint: «Malgré la limitation à une pièce par acheteur, certaines personnes ont mis en vente plusieurs exemplaires de la même pièce peu après son émission.»
Le marchand de pièces de monnaie zurichois Fabio Luraschi a aussi remarqué ce phénomène. Il est également reparti bredouille. «Ce type de commercialisation avec de petits tirages a commencé dans les années 1990», explique-t-il.
Dans le milieu des collectionneurs, l’affaire Platinum a suscité beaucoup d’émotions. Dans le magazine suisse consacré aux monnaies, le «Numis-Post», les auteurs ont même fantasmé sur des scénarios pour punir les responsables de Swissmint: «Ils devraient, en guise de punition, frapper à la main les 21 millions de pièces en circulation prévues pour 2022, avec une toute petite pince, et ce, dans l’obscurité.»