Alors que les écoliers fribourgeois retrouveront les classes ce jeudi et que les Tessinois seront les derniers à le faire ce lundi, de nombreuses inquiétudes agitent les préaux. Pénurie d’enseignants qualifiés, manque de moyens à disposition mais aussi découragements et déballages au grand jour de mauvaises expériences vécues par les enseignants du pays: l’école est-elle devenue un enfer?
«Je ne mettrai plus jamais les pieds dans une salle de classe», affirme une ex-enseignante devenue journaliste de Blick. La Zurichoise dresse un tableau très noir des quelques années passées devant des élèves. Et la situation dans l’enseignement ne s’est pas améliorée, loin de là, depuis son changement de carrière, assure-t-elle.
L’école est-elle vouée à la déchéance et les enseignants inexorablement condamnés au burn-out? Fort heureusement, non. Si des (ex-) profs dégoûtés existent, nombreux sont ceux qui croient encore fermement en la force de leur métier et à la jeunesse qu’ils côtoient tous les jours. «Du temps des philosophes de la Grèce antique, on critiquait déjà le comportement des jeunes qui ne suivaient pas les règles, alors je crois aujourd’hui qu’on est simplement dans la continuité de ce qui a toujours été», relativise Lucia Nasel-Fioravanti, enseignante dans le canton de Genève.
«Je me réjouis de chaque rentrée»
En plus de quarante ans de carrière, elle ne s’est jamais lassée de se retrouver face à des élèves: «Je me réjouis de chaque rentrée. Certes cela comporte son lot de stress, je me demande toujours si je serai prête. Mais je sais qu’une fois l’année lancée, celle-ci me réserve toujours de la satisfaction», explique-t-elle.
En 2021:
Genève: 103'380
Vaud: 92'268
Fribourg: 47'156
Valais: 28'561
Neuchâtel: 19'398
Jura: 5'834
Total: 296'597
Source: statistiques cantonales
En 2021:
Genève: 103'380
Vaud: 92'268
Fribourg: 47'156
Valais: 28'561
Neuchâtel: 19'398
Jura: 5'834
Total: 296'597
Source: statistiques cantonales
Très heureuse de nous avoir au bout du fil, elle tient toutefois à préciser: «Je ne suis pas là pour réfuter les témoignages difficiles et je les comprends. Il y a clairement un manque de moyens qui rend la vie difficile à certains profs.»
Mais pour cette enseignante chevronnée, le problème se situe aussi en amont. «On a trop tendance à croire que le métier est facile: des horaires courts, des vacances, on devrait avoir la belle vie. Mais on oublie que les études pour devenir enseignant sont très longues et que ce métier n’est pas fait pour tout le monde.» La Genevoise estime que les nouveaux arrivés sur le marché du travail doivent d’ailleurs se poser la question plus en profondeur: ce métier est-il fait pour eux?
Pour son cas personnel, Lucia n’en doute pas une seconde. «Je ne veux pas tout idéaliser et dire que je rentre chaque soir épanouie. J’ai été une enseignante qui a crié, qui a grondé, qui a suspendu ou qui a eu des conflits avec certains élèves, avoue-t-elle sans détour. Mais j’aime mes élèves — je n’ai pas peur de le dire.»
Les difficultés? Cela fait partie du métier et c’est même pour cela que la femme de 63 ans l’a choisi. Elle a enseigné à divers degrés, divers âges et même à des adultes. Mais le fil conducteur de sa carrière se dessine clairement: «J’ai toujours voulu aider les élèves en difficulté.» Pour elle, la collaboration au sein d’un collège est essentielle pour y parvenir.
«L’école ne doit pas baisser les bras»
La Genevoise estime aussi que l’école est naturellement à l’image de la société. Elle n’en veut pas le moins du monde aux jeunes qui peinent à trouver leur place. C’est la société dans son ensemble qui change, qui évolue et qui impose à la jeunesse des contraintes qu’ils n’ont pas choisies. Les réseaux sociaux, l’incertitude, les inégalités: ce ne sont pas eux qui les ont créés. «Je pense que l’école ne doit pas baisser les bras. Nous devons garder un équilibre et être le mur qui cadre nos jeunes. Comme pour d’autres piliers de notre société, nous avons tendance à nous décourager. Et c’est tout l’inverse que nous devons faire.»
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Tout comme il y a les bons et les mauvais chasseurs, il y a aussi les bons et moins bons pédagogues. Lucia en a une image très claire: «Le bon pédagogue est quelqu’un qui crée en permanence. Celui qui ne reprend pas son cours d’une année à l’autre, qui ne prend pas à la lettre les méthodes de ses collègues, mais qui est dans une création quotidienne, parviendra toujours plus à trouver des solutions et à stimuler sa classe», estime-t-elle.
«La prof qui m’a sauvé la vie»
L’histoire d’amour entre l’école et Lucia remonte à l’enfance, lorsqu’elle était elle-même élève. Si elle a «toujours aimé l’école», la Genevoise estime ne pas avoir eu une adolescence facile, elle se reconnaît même dans certains parcours de jeunes en difficulté. Et pour cause: arrivée en Suisse depuis l’Italie, sa voie était loin d’être tracée. L’accès à l’enseignement n’était, à l’époque, réservé qu’aux Suisses. Lucia a fait ses armes en tant que remplaçante, pendant ses études, mais il a fallu attendre 1986 et une naturalisation par mariage pour qu’elle puisse officiellement exercer son métier.
«L’école m’a permis d’élever mon statut social et — même s’il y a bien sûr des contraintes propres à chacun qui peuvent relativiser —, je suis persuadée qu’elle reste un formidable moyen de se réaliser.»
À la veille de la retraite, Lucia ne ressent aucune lassitude: «J’aime transmettre le savoir et offrir ce que j’ai eu la chance de recevoir.» Parmi les nombreux souvenirs de plus de quatre décennies de carrière, l’enseignante en cite un en particulier: «Un jour d’été, je me promenais au parc des Bastions avec une collègue. J’ai par hasard croisé un ancien élève qui venait de terminer sa scolarité le mois d’avant. En me voyant, il m’a salué chaleureusement et m’a présenté à ses amis qui étaient avec lui en disant: «C’est la prof qui m’a sauvé la vie!». Cela m’a beaucoup touchée.»
C’est pour ce genre de moment qu’elle est convaincue d’avoir fait le bon choix et qu’elle garde, à 63 ans, un amour profond pour son métier.
«La meilleure thérapie possible»
Si tout était à refaire, Lucia n’hésiterait pas une seconde: «L’école a été la meilleure thérapie possible pour moi». Elle affirme avoir un sentiment de reconnaissance infini pour tous ces jeunes qui lui ont «énormément apporté». «Peut-être que j’essaierais de moins gronder, moins crier», concède-t-elle. Mais cela fait partie du jeu également.
Si elle ne devait donner qu’un seul message d’espoir à la jeunesse, ce serait d'«apprendre à aimer l’école.» Tous ces jeunes doivent «se mettre en projet. Oser s’affranchir et créer quelque chose, trouver un but, avoir vraiment cette envie de réaliser des projets qui sont les leurs et utiliser l’école pour le faire».
Voilà qui pourra peut-être inspirer de nouvelles vocations en cette rentrée, sur le pupitre des élèves, comme sur celui des profs.