Le 13 février dernier, le Conseil d'Etat demandait officiellement à l'Arcom, l'autorité de surveillance de la presse audiovisuelle française, d'exercer un contrôle accru sur la chaîne CNews. Le jugement appelait notamment à «prendre en compte la diversité des courants de pensée et d’opinions représentés par l’ensemble des participants aux programmes diffusés».
Alors que les chaînes CNews et C8 souhaitent renouveler leur présence sur le câble, plusieurs membres éminents du groupe Canal+ – qui détient les deux chaînes – ont été auditionnés par la commission parlementaire sur les fréquences d'attributions de la TNT. Parmi les personnalités auditionnées: les présentateurs vedettes (et controversés) de CNews Pascal Praud et Laurence Ferrari, le directeur général de la chaîne Serge Nedjar, ou encore le PDG de Canal+ Maxime Saada.
Levée de bouclier du côté de CNews
Forcément, la décision du Conseil d'Etat est revenue à plusieurs reprises au cours de l'audition. «Si les règles changent, nous nous y conformerons. Nous serons attentifs et curieux d’en connaître les modalités», a déclaré devant les députés le PDG de Canal+ Maxime Saada.
«La France serait sans doute la seule démocratie au monde à commencer à ficher les journalistes et les éditorialistes», a-t-il clamé. L'animatrice vedette de la chaîne Laurence Ferrari a quant à elle fait part de ses «inquiétudes concernant la mise en œuvre de la régulation du temps de parole».
Dans sa décision du 13 février, le Conseil d'Etat avait donné raison à Reporters sans frontières, qui accusait CNews d'être un média d'opinion et non d'information. Faux, a répondu Maxime Saada devant les commissaires: «Il ne fait aucun doute dans l’esprit du public et dans mon esprit que CNews est une chaîne d’actualité.»
Pascal Praud, présentateur de l'émission controversée «L'Heure des Pros», a renchéri en défendant la ligne éditoriale de la chaîne: «Si vous vous contentez d’être purement factuel et d’être un lecteur de dépêches, les gens, vous ne leur apprendrez rien.» Et d'ajouter: «Il faut leur apporter effectivement une mise en perspective, un décryptage, une analyse ou même la controverse, pourquoi pas, qui permet justement d’avoir un échange pluraliste.»
Des dérapages assumés... partiellement
Interrogé sur les multiples dérapages survenus sur C8 dans l'émission «Touche pas à mon poste», présentée par Cyril Hanouna, le PDG de Canal+ a reconnu que des limites avaient pu être franchies, mais il a surtout défendu l'émission phare de la chaîne son animateur vedette: «Ce qui fait le succès de Cyril Hanouna, c’est sa nature, sa spontanéité », a martelé Maxime Saada. Et de reconnaître: «cela peut donner lieu, quand on est en direct, à des débordements.» Le dirigeant a néanmoins assuré que le groupe s'était conformé à toutes les sanctions prononcées, lesquelles ont été qualifiées de «pas dissuasives» par le rapporteur de la commission Aurélien Saintoul (LFI).
Le dernier dérapage en date, survenu mardi sur CNews, a lui été qualifié d'«erreur inacceptable» par le directeur général de CNews Serge Nedjar. Pour rappel, l'émission «Enquête d'esprit» avait diffusé une infographie présentant l'avortement comme «la première cause de mortalité dans le monde». Le directeur de la chaîne a ensuite expliqué la diffusion de cette fake news par «un problème technique». Selon lui, l'infographie fallacieuse aurait été décelée puis corrigée après l'enregistrement de l'émission, mais une version exempte de ces rectifications aurait été diffusée par erreur.
Le rôle de Vincent Bolloré au cœur des débats
Serge Nedjar, a également réfuté jeudi tout interventionnisme ou «pression» de l'actionnaire principal du groupe Canal+ Vincent Bolloré, qui l'appelle «pratiquement quotidiennement ou tous les deux jours» concernant les audiences de la chaîne. «Je n'ai jamais subi aucune pression de la part de Vincent Bolloré», a martelé M. Nedjar, auditionné par la commission d'enquête parlementaire sur l'attribution des fréquences TNT. «Je n'ai aucune intervention de la part de M. Bolloré pour effectuer mon travail», a-t-il assuré au sujet du milliardaire, régulièrement accusé d'ingérences dans les médias qu'il contrôle via Vivendi, maison mère du groupe Canal+ et ses chaînes comme CNews et C8.
«Je crois que M. Vincent Bolloré vient à peu près une ou deux fois par mois chez Canal», a expliqué M. Nedjar, interrogé par le rapporteur de la commission d'enquête Aurélien Saintoul (LFI) sur la fréquence de ses échanges avec l'homme d'affaires. «Je ne suis pas au même endroit, car nous sommes maintenant dans un autre immeuble (que Canal+), je vais donc une ou deux fois par mois chez Canal pour parler avec (son patron) Maxime Saada (...) et j'ai la chance de rencontrer à ce moment-là, quand il est là, Vincent Bolloré», a précisé le patron de CNews.
«Jamais d'échanges téléphoniques?», l'a alors relancé le député. «Pratiquement quotidiennement ou tous les deux jours pour me parler des audiences, pour nous féliciter ou pour nous rassurer quand les audiences ne sont pas bonnes (...) et savoir comment les gens se trouvent à CNews», a répondu M. Nedjar. «Il se trouve qu'en ce moment, on bat BFMTV tous les jours, donc évidemment j'ai la chance de l'avoir plus souvent», a-t-il ajouté, alors que les deux chaînes d'info rivalisent pour la première place. BFMTV est restée la première chaîne d'info en 2023, mais se voit rattraper par CNews. Pour la première fois, les deux chaînes avaient fait jeu égal en décembre, avec 2,6% de part d'audience chacune sur l'ensemble du mois.
(Avec AFP)