Maria José Soler est une restauratrice attentive. Cela fait 20 ans qu'elle tient le Ristorante Indipendenza sur la place du même nom. Son établissement peut accueillir une centaine de personnes, dont soixante sur la terrasse. Toute son attention est portée sur ses chers clients.
Pourtant, elle ne peut pas s'empêcher de garder un œil constant sur la place d'en face par-dessus le comptoir. Son téléphone portable est toujours à portée de main. En cas de besoin, le numéro direct de la police communale est enregistré dans son répertoire. Pas pour les restos baskets, ni même pour les cambrioleurs. Ce qu'elle redoute, ce sont les réfugiés. «Il pleut aujourd'hui. Ils ne sont pas dehors. Mais quand le soleil brille, ils envahissent la place.»
Le restaurant se trouve à proximité du centre d'asile, sur la place. Cette piazza est un véritable lieu de rencontre pour les migrants. Mais selon la restauratrice portugaise, ils ne cessent de causer des problèmes. Tout a commencé il y a six mois, lorsque les choses ont commencé à dégénérer. Pour de nombreux migrants et réfugiés, Chiasso est en fait un point de passage vers le nord – en somme, c'est la Lampedusa de la Suisse.
La tenancière a plus d'un exemple à citer: «Ils se battent et cassent tout. Ils viennent sur ma terrasse pour harceler et insulter les clients. Ils sont ivres. Ils dérangent tout le monde! Parfois, ils entrent dans le restaurant et volent les smartphones des gens qui mangent. Impossible de laisser son portable sur la table. Dès que tu tournes le dos, ils le piquent. Ils ont même essayé de nous voler les haut-parleurs!»
«Ils sont tout simplement trop nombreux»
Lors du débat «Elephantenrunde» de Blick TV dimanche soir, le président de l'UDC Marco Chiesa a été clair face aux autres invités de la table ronde: «Personne n'aimerait habiter à Chiasso!» Pour Maria José Soler, le président n'exagère pas. «Cette situation est de la mauvaise publicité pour Chiasso. Les touristes ne viennent plus ici. De nombreux magasins ferment ou déménagent.» La ville de Chiasso a pourtant toujours été accueillante. Maria José Soler conclut: «Ils sont simplement trop nombreux. Comment pourrait-on les accueillir? Nous sommes une petite ville.»
De l'autre côté du comptoir, dehors, Bajoz Musa traverse la piazza avec son parapluie rouge et blanc aux couleurs de la Suisse. Il a quitté la Gambie il y a huit ans pour venir à Lausanne. «C'est là que j'ai rencontré ma femme, une Tessinoise. Nous avons un petit garçon», raconte-t-il. Depuis, il a obtenu un permis de séjour et a décroché un emploi.
C'est pour sa famille qu'il a déménagé à Chiasso. «Il y a beaucoup de gens racisés dans cette ville», explique Bajoz «Certains volent dans les supermarchés, et ça, ça m'énerve.» Dans leur pays, ils pourraient être tués pour de tels délits. Bajoz Musa constate par ailleurs une augmentation du racisme à Chiasso depuis lors: «Les gens qui ne me connaissent pas me traitent de criminel juste parce que je suis noir.»
«Les gens ont peur»
Il pleut des cordes. Des gens se tiennent sous les arcades. Elena ne veut pas dire son nom de famille, mais elle a besoin de s'exprimer. Elle est vice-présidente de la commission de quartier du centre. «Nous demandons une rencontre avec la conseillère fédérale Elisabeth Baume-Schneider», explique la Tessinoise. Selon elle, cela ne peut pas continuer comme ça. «Les parents n'amènent plus leurs enfants à la place de jeu. Les gens ont peur.»
La femme du kiosque en profite pour s'incruster à la conversation. Elle non plus ne veut pas être nommée. «Beaucoup de migrants sont ivres dès le matin. Certains sont des gens bien, mais d'autres ne le sont pas.» La commerçante raconte qu'on a déjà voulu lui piquer des cigarettes, alors qu'ils avaient de l'argent dans leur porte-monnaie.
Le maire de Chiasso Bruno Arrigoni l'admet: il ne faut pas sous-estimer la situation. Mais la déclaration de Marco Chiesa est exagérée, selon lui: «Il est vrai que les gens, surtout les plus âgés, sont inquiets», assume le Tessinois, «et notre police municipale a les mains liées». Selon lui, 500 interventions ont déjà eu lieu cette année en lien avec des migrants. Si l'un d'entre eux est pris en train de voler ou de faire des dégâts, il sera libéré peu de temps après, explique le maire. «Le problème, c'est le nombre de migrants», poursuit le politique.
Il y a dix ans, 125 réfugiés et migrants vivaient à Chiasso. En 2017, un centre supplémentaire a été construit. Le nombre serait alors passé à 350 personnes. Aujourd'hui, un troisième centre d'hébergement a ouvert: on compte désormais de 600 réfugiés au total. «C'est trop pour une localité de 7800 habitants», constate Bruno Arrigoni. «Il y aurait pourtant une solution simple: répartir les réfugiés qui arrivent dans d'autres villes tessinoises!»
Le nombre de réfugiés qui arrivent par le sud de la Suisse a doublé ces derniers mois, explique le capitaine Luca Cometti. La nouvelle route des Balkans passant par la région adriatique en serait la cause. Depuis 22 ans, le chef d'intervention de la douane sud est confronté aux mouvements de réfugiés. «Aujourd'hui, les migrants savent exactement où ils vont. La plupart du temps, ils traversent la Suisse pour se rendre dans des pays comme l'Allemagne et la France, là où ils retrouvent leur diaspora», explique Luca Cometti.