L'élection du Conseil fédéral en dit long sur les rapports de force qui régissent la politique suisse. Les candidats socialistes à la succession d'Alain Berset, Beat Jans et Jon Pult, ne sont guère questionnés sur leurs positions vis-à-vis du secteur de la santé, de la finance ou de la culture. Non, la question décisive ces jours-ci semble être toute autre: lequel des deux plaît le plus aux agriculteurs?
A Berne, l'agriculture ne dispose certes pas d'une manne financière aussi importante que les organisations internationales, les assurances ou l'industrie, mais elle possède un atout bien plus important. Le secteur économique le plus vieux fait partie intégrante de l'identité fédérale. La Confédération est un Etat de banquiers et de paysans, qui se situe à la croisée des chemins entre l'argent, l'esprit et le lisier.
Les agriculteurs transforment habilement cette situation en capital politique. La Berne fédérale est un champ qu'ils labourent en leur faveur. Ils parviennent souvent à renverser des affaires gouvernementales, à inverser des décisions parlementaires et à attribuer des sièges au Conseil fédéral.
Qui est la Conférence des parlementaires paysans?
«Ce que le paysan ne connaît pas, il ne le mange pas», dit le dicton populaire. Ce n'est donc pas un hasard si Beat Jans et Jon Pult doivent se rendre demain lundi à leur première audition auprès des représentants agricoles au Parlement.
Ce curieux cercle s'appelle la Conférence des parlementaires paysans, à ne pas confondre avec le Club Agricole de l'Assemblée fédérale – un groupe parlementaire officiellement répertorié et ouvert à tous. La Conférence des parlementaires paysans, en revanche, est une association à l'aspect clandestin: les conseillers nationaux et les conseillers aux Etats ne peuvent y siéger que sur invitation de l'Union suisse des paysans (USP). Impossible de trouver une liste publique de ces élus.
Le comité est présidé par Markus Ritter, conseiller national du Centre et président de l'USP. Quant au secrétariat, il est mis à disposition par l'USP. Fondée en 1897, la Conférence des parlementaires paysans a pour objectif d'unir les forces au-delà des frontières partisanes – entre les libéraux et les catholiques conservateurs au départ et entre les partis du Conseil fédéral aujourd'hui.
Avoir du pouvoir? «C'est le but»
Les résultats des élections fédérales d'octobre ont accru l'influence de la Conférence des parlementaires paysans. Selon Markus Ritter, la trentaine de membres des quatre dernières années a été remplacée par «une quarantaine» d'élus pour la nouvelle législature. Résultat: le poids de ce groupe ne fait plus aucun doute et la séance de présentation de demain est considérée par certains comme l'audience d'un haut tribunal. La conférence a donc beaucoup d'influence et de pouvoir? «C'est le but», a répondu Markus Ritter dans le magazine «St. Galler Bauer» du 3 octobre.
Blick a voulu savoir ce qui attendait les deux candidats au Conseil fédéral lundi. Chacun disposera de 30 minutes. «Pendant les dix premières minutes, ils pourront se présenter brièvement et dire quelque chose sur leur lien avec l'agriculture», explique Markus Ritter. Il ajoute que la rencontre devra aussi leur permettre «d'établir le contact avec nos membres».
Suivra ensuite une série de questions, après quoi les membres discuteront de chaque entrevue. Aucune décision commune ne sera prise: «Ce n'est pas comme si nous comptions les voix, précise Markus Ritter. Mais l'impression laissée par les candidats et la manière dont ils sont perçus seront certainement déterminantes.»
Elisabeth Baume-Schneider et ses moutons
La force du groupe réside dans sa taille. Pas moins de quatre groupes politiques sont représentés par les membres de la conférence. Voici comment s'exerce l'influence des parlementaires paysans: «Les membres se rendent ensuite dans la salle des pas perdus et dans les groupes parlementaires, où ils font part de leurs impressions, explique Markus Ritter. Comme il s'agit de la première audition après celle du Parti socialiste, cela permet de lancer la discussion entre les députés.» Il est donc très important de voir «comment les candidats se présentent et s'ils peuvent inspirer confiance, s'ils sont en phase avec le ton des personnes présentes».
L'année dernière, on a pu constater à quel point la présentation face à ce groupe d'élus paysans est essentielle. La conseillère aux Etats bâloise Eva Herzog était considérée comme la favorite pour succéder à la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga, mais la Jurassienne Elisabeth Baume-Schneider et ses moutons à nez noir ont fait mouche auprès des paysans. La bergère amatrice a ensuite remporté le siège gouvernemental.
Markus Ritter n'essaye pas de cacher le poids de son instance préélectorale officieuse. Il souligne non sans fierté l'importance de ces auditions, «comme on l'a également vu avec Elisabeth Baume-Schneider. Je ne la connaissais pas du tout avant, je l'avais juste saluée quelques fois d'un 'bonjour'. Si on se vend bien ici, c'est qu'on a réussi son début de campagne.»
Pas tous de vrais paysans
Faiseurs de rois, les parlementaires paysans peuvent aussi collectionner les mandats en souliers vernis. Il n'est pas nécessaire de sentir l'écurie, on peut simplement occuper une fonction cadre dans une organisation agricole. On peut par exemple citer:
- Le conseiller aux Etats du Centre et avocat Daniel Fässler, président de l'Association des propriétaires suisses de forêts
- Le centriste Benedikt Würth, président de l'Association suisse AOP-IGP
- Le conseiller aux Etats UDC et expert fiscal Werner Salzmann, président de l'Association suisse pour l'équipement technique de l'agriculture
- La conseillère nationale UDC et éducatrice de la petite enfance Nadja Pieren, présidente de l'Association des producteurs de légumes des cantons de Berne et de Fribourg.
Que pense aujourd'hui Markus Ritter de «sa» conseillère fédérale Elisabeth Baume-Schneider? «Elle a répondu à nos attentes.» Selon lui, elle est perçue comme sympathique par la population. «Elle contribue aussi à une bonne culture au sein du Conseil fédéral.»
«Tout est ouvert»
Dans la course entre Beat Jans et Jon Pult, le premier a un handicap, car il doit s'expliquer sur des interventions contre l'agriculture conventionnelle. Rien de rédhibitoire pour Markus Ritter: «Pour l'instant, tout est ouvert.»
Lorsqu'on lui demande s'il est à la tête du lobby le plus puissant de Berne, le tireur de ficelles se montre tout de même modeste: «C'est exagéré. Nous sommes un petit groupe.»