Un débat compliqué
Pourquoi la Suisse lésine-t-elle sur les économies d'énergie?

Fin août, le Conseil fédéral lancera sa campagne d'économie d'énergie. Les deux millions prévus à cet effet seront-ils suffisants? Et les Suisses sont-ils vraiment capables d'économiser? Les experts sont sceptiques.
Publié: 14.08.2022 à 12:40 heures
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Dernière mise à jour: 14.08.2022 à 14:44 heures
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Le conseiller fédéral Willi Ritschard (PS) savait comment utiliser un poêle de manière économique. Le Soleurois était monteur en chauffage.
Photo: Keystone
Peter Aeschlimann

Le major Willy Urech était un dur à cuire. Lorsque la «Schweizer Illustrierte» demanda en 1979 au conseiller aux Etats PLR et président de l'Association suisse pour l'énergie atomique comment il économisait de l'énergie, l'Argovien répondit au journaliste: «Dans notre maison, nous nous sommes habitués à une température de 18 degrés, même dans les pièces à vivre.»

Quatre décennies plus tard, la Suisse en est au même point. Une fois de plus, une crise nous donne du fil à retordre. A l'époque, les prix du pétrole avaient augmenté, notamment suite à la révolution islamique en Iran. Aujourd'hui, c'est le président russe Vladimir Poutine qui menace de fermer le robinet de gaz. Pour éviter le black-out, la solution est toujours la même: économiser!

«Pensez avec nous, économisez avec nous»

Ce qui n'a pas non plus changé au cours de toutes ces années, c'est le débat compliqué sur la politique énergétique. Pourtant, un concept qui paraît encore moderne aujourd'hui était déjà sur la table dans les années 70. Le responsable de cette idée novatrice? Un monteur en chauffage, le conseiller fédéral PS Willi Ritschard, premier – et seul, jusqu'à présent – ouvrier au gouvernement suisse. Dans le document en question, intitulé «Conception globale de l'énergie», il expliquait que l'approvisionnement en énergie devait être suffisant, économique et respectueux de l'environnement. Sa devise? Economiser l'énergie, réduire les dépendances, explorer de nouvelles sources d'énergie.

Pour le Soleurois Willi Ritschard, les économies d'énergie étaient une affaire d'Etat. En 1977, il lançait la campagne «Pensez avec nous, économisez avec nous». Et tentait de montrer l'exemple. Deux ans plus tard, alors âgé de 61 ans, il affirmait dans la «Schweizer Illustrierte»: «Le fait de toujours éteindre la lumière est devenu un réflexe primaire pour nous.» «Un autre conseil peut être amusant pour les jeunes, ajoutait sa femme Greti. Vous pouvez prendre votre bain à deux! Mais nous, nous n'utilisons pratiquement que la douche.»

L'approvisionnement en énergie, déjà un problème en 1979

La mascotte de la campagne, un petit bonhomme nommé Sparli, est parvenu à atteindre les gens: alors qu'en 1976, seuls 14% des Suisses pensaient que l'approvisionnement en énergie était l'un des problèmes les plus importants du moment, en 1979, ils étaient déjà quatre sur cinq à le penser. Il existe même des chansons de l'époque qui vantent les économies d'énergie.

L'écrivain et artiste de cabaret Franz Hohler en avait interprété une. «Nous devons devenir un peuple vertueux en matière d'énergie; lorsque l'Etat prendra des mesures, il sera déjà trop tard», avait-il asséné. Lui-même faisait des efforts d'économie, en refusant d'utiliser une machine à café ou une brosse à dents électriques. Mais ce n'est pas tout: «Cet hiver, nous avons arrêté le réfrigérateur. Nous avons gardé nos aliments dans petite boîte sur le balcon.»

Deux millions pour une campagne d'économie d'énergie

La Confédération veut lancer une campagne pour inciter à économiser l'énergie à la fin août. Celle-ci devrait coûter environ deux millions de francs. Deux questions se posent: cet argent est-il suffisant et les Suisses sont-ils vraiment capables d'économiser?

David Bosshart est un habitué de la face cachée de la croissance. Le philosophe et auteur (il est le père de l'essai «The Age of Less», ou «L'ère du moins» en français, par exemple) est sceptique. Selon lui, les épargnants ont besoin d'une forte conscience de soi, de bon sens et de discipline. Le problème? «Dès que le renoncement à certaines habitudes est perçu comme une perte de qualité de vie, on ne peut plus guère atteindre les gens rationnellement», déplore-t-il.

David Bosshart estime par exemple que l'on peut facilement prendre une douche de deux minutes au lieu de cinq. «L'entraînement à la robustesse plutôt que le confort nous rend plus aptes à affronter l'avenir», énonce-t-il. Le philosophe estime toutefois peu réaliste que la campagne d'économies de la Confédération entraîne un changement de mentalité au sein de la population: «Si l'on pouvait changer l'état d'esprit des gens avec deux millions de francs, ce serait un miracle.»

A titre de comparaison, la campagne d'information sur le Covid-19 a coûté jusqu'à présent environ 30 millions de francs à la Confédération. Avec les deux millions pour les économies d'énergie, on pourrait en réaliser une de taille moyenne, affirme Marianne Affolter, directrice du forum de campagne. Si l'action est efficace, le message pourrait atteindre 100 à 200 fois chaque personne en Suisse. Mais cette mesure ne suffit pas. «Les entreprises et les grands pollueurs qui doivent opérer de manière plus respectueuse de l'énergie sont également tenus d'agir.»

Les experts ne croient pas au succès de la campagne

Par rapport à la tâche à accomplir, le psychologue économique Christian Fichter estime que le budget est juste. «Je suis pessimiste», ironise-t-il. Selon lui, économiser ne séduit pas grand monde. La raison en serait l'évolution: celui qui étalerait ses privilèges aurait plus de chances de s'imposer socialement et de se reproduire. Celui qui serait radin serait considéré comme peu attirant.

Une crise mondiale pourrait inverser ces rapports, ajoute Christian Fichter. C'est là qu'il voit l'impact que pourrait avoir la campagne: «Celui qui est prévoyant et qui évite les risques a de meilleures cartes en main en temps de crise.» Le conseil de Christian Fichter au Conseil fédéral? Ne pas insister sur ce à quoi il faut renoncer, mais souligner les aspects positifs: «Si tu chauffes moins ton appartement, tu contribues à faire tomber Poutine!»

(Adaptation par Lliana Doudot)

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