Dès l'entretien d'embauche, en 2019, Silvie Kolb* a ressenti une étrange sensation au creux de son ventre: «Mon futur chef m'a félicitée de manière très exagérée, même pour des choses qui paraissaient évidentes. C'était comme s'il portait un grand masque souriant», se souvient l'employée de commerce. Malgré son impression, elle accepte le poste. Elle n'entendra plus jamais de compliments par la suite.
Au début, Silvie doit apprendre à s'orienter dans ces nouveaux longs couloirs. Afin de devenir plus efficace, elle demande le soutien de son chef. Mais il n'est jamais disponible. Le pire, ce sont les réunions. Quand elle veut dire quelque chose, on l'interrompt. Elle est nouvelle et elle doit écouter, tel est l'argument du patron. Dans ce contexte autoritaire, Silvie ne peut pas réellement participer. «J'étais traitée comme une petite fille», confie-t-elle.
Réagir le plus tôt possible
«Il vaut la peine de réagir tôt, idéalement avant que certaines habitudes de comportement ne se soient installées, explique Karin Rosatzin, directrice de l'association Conflits Au Travail. Les employés ont le droit de réclamer un rendez-vous avec leur supérieur pour parler de ce qui ne va pas. Il est important qu'elles décrivent précisément comment elles se sentent traitées, qu'elles apportent des exemples concrets à ce sujet et qu'elles formulent leurs attentes.»
Avec le temps, Silvie Kolb réalise qu'il y a quelque chose que son chef ne peut pas donner à ses collaborateurs, mais qu'il réclame beaucoup pour lui-même: la reconnaissance. Il s'y complaît, rejette ses erreurs sur les autres, et scrute les réactions de ses employés. «Si on l'acclamait, il nous laissait tranquille. Si on ne rentrait pas dans son jeu, il nous déclarait la guerre», explique Silvie Kolb. Elle, elle a décidé de ne pas y jouer, et cela lui a coûté cher. Lorsqu'elle se défend, elle s'attire non seulement les foudres de son chef, mais elle se met aussi à dos ses collègues, qui craignent de se montrer trop solidaires. Cela va si loin que presque plus personne de l'équipe ne lui parle.
Lors des réunions, elle ne se connecte plus qu'en ligne. Se confronter aux autres est devenu trop douloureux. Quelques mois plus tard, elle apprend qu'elle n'est pas la première «victime» de son patron. Il y a manifestement toujours eu quelqu'un sur qui il s'acharnait. «Lorsque toute une équipe s'est 'unie' contre une personne, il devient très difficile de changer la dynamique, explique Karin Rosatzin. Au lieu de se retirer, il vaut mieux aborder rapidement le sujet avec ses coéquipiers. Ainsi, on reste connecté avec l'équipe, on ne se met pas dans le rôle de l'outsider et on apprend peut-être davantage sur comment les autres gèrent cette situation difficile.»
Se justifier, pour tout et son contraire
La situation au travail devient de plus en plus insupportable pour Silvie Kolb. Elle ne reçoit plus de feedback, et encore moins de reconnaissance. «Tout ce que je faisais était considéré comme mauvais. Mon chef n'acceptait aucune opinion différente de la sienne, il n'était jamais prêt à faire des compromis». Lorsqu'elle lui parle des problèmes qu'elle rencontre, il ne l'écoute pas et oriente à chaque fois la conversation dans une toute autre direction.
En outre, il veut savoir exactement ce que Silvie fait durant sa journée. A chaque fois qu'elle inscrit quelque-chose dans le calendrier de l'équipe, elle doit se justifier. «En plus de me sentir abandonnée, je me sentais aussi totalement surveillée, contrôlée.» Pire encore: on lui retire, petit à petit des tâches et certaines responsabilités. «Lorsqu'un responsable refuse le dialogue, il faut alors chercher de l'aide ailleurs, auprès du service du personnel, du supérieur du chef s'il en a un, ou d'un syndicat», explique Karin Rosatzin.
Les entretiens annuels deviennent une source d'angoisse pour Silvie Kolb, même des semaines à l'avance. Durant quatre années de suite, ses performances sont toujours évaluées de la même manière: tout juste suffisantes, mais pas assez bonnes pour que cela mérite une augmentation de salaire.
Le service du personnel n'a rien fait
Vers la fin de sa période de travail, le chef la rétrograde, invoquant des problématiques mineures, comme ses compétences sociales. «Ça m'a fait très mal, car dans mes emplois précédents, on a toujours loué ma serviabilité et mon esprit d'équipe», confie Silvie Kolb.
«Pendant l'entretien d'évaluation, il est possible de demander, pour chaque point d'évaluation, des exemples concrets sur lesquels se base l'évaluation respective du supérieur, souligne Karin Rosatzin. S'il y a encore des points en suspens ou si l'on ne comprend pas une évaluation, on peut aussi demander un nouvel entretien après l'évaluation du collaborateur.»
En dernier recours, Silvie Kolb s'adresse au service du personnel. Mais celui-ci lui fait clairement comprendre qu'il est du côté de l'employeur et les espoirs de Silvie Kolb s'effondrent. «Le verdict était écrit dès le départ: je devais partir, le chef resterait». Une autre option aurait été de s'adresser auprès d'un syndicat qui aurait pu la représenter et jouer le rôle de médiateur dans cette affaire. Mais à ce moment-là, Silvie Kolb n'avait tout simplement plus la force de se battre. Malgré l'injustice à laquelle elle était confrontée, elle a préféré partir. Entre-temps, elle a trouvé un nouveau poste, dans lequel elle se sent bien.
*Nom d'emprunt