Les cantons font pression
Alors que les combats en Ukraine font rage, Beat Jans doit limiter le statut de protection S

La Russie bombarde l'Ukraine avec une violence qu'elle n'a plus connue depuis des mois. Pendant ce temps, Beat Jans a la délicate mission de définir des zones prétendument sûres en Ukraine.
Publié: 06:03 heures
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Dernière mise à jour: 07:47 heures
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De graves attaques russes ont eu lieu cette semaine à Kiev.
Photo: AP
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Céline Zahno

Beat Jans, le ministre en charge de l'asile, doit restreindre ces prochains jours le statut de protection S des réfugiés ukrainiens. Et ce, alors que les débats font rage sur une éventuelle paix en Ukraine. «Je pense que nous avons un accord avec la Russie», a récemment déclaré le président américain Donald Trump. Il doit désormais également s'accorder avec le président ukrainien, Volodymyr Zelensky. 

Mais on ne peut pas réellement parler d'accord de paix, Trump semblant plutôt mettre le couteau sous la gorge de Zelensky. Il lui donne une sorte d'ultimatum pour la paix. Selon les médias, le plan de paix que les Américains ont présenté aux représentants ukrainiens à Paris oblige l'Ukraine à céder des territoires aux Russes, faute de quoi les Etats-Unis menacent de stopper net les négociations.

Pendant ce temps, la Russie attaque l'Ukraine plus massivement que jamais depuis plusieurs mois. Il y a deux semaines, des missiles ont tué plus de 30 personnes dans la ville de Sumy, au nord-est de l'Ukraine. Dans la nuit de mercredi à jeudi 24 avril, Kiev a été visée par des missiles et drones russes. Au moins douze personnes ont perdu la vie.

Un devoir ingrat

Pourquoi le Département fédéral de justice et police (DFJP) devrait-il spécialement suivre ces développements avec inquiétude? Cela s'explique par le fait qu'en décembre dernier, le Parlement a approuvé une motion de la conseillère aux Etats de l'Union démocratique du centre (UDC) Esther Friedli, afin de renforcer le statut de protection S. Les élus souhaitent que ce statut soit accordé uniquement aux personnes provenant de régions «entièrement ou partiellement occupées par la Russie, ou dans lesquelles se déroulent des combats plus ou moins intenses». Beat Jans a ainsi hérité d'une tâche ingrate: définir des zones sûres en Ukraine.

Le Secrétariat d'Etat aux migrations (SEM) s'active. «Le SEM est actuellement en train de définir les régions sûres et non sûres afin de pouvoir mettre en œuvre la motion», explique un porte-parole. Pour Beat Jans, ce devoir devient un exercice d'équilibriste politique. La pression politique interne est très forte: à peine la motion a-t-elle été adoptée que les cantons ont déposé leurs exigences auprès du SEM.

La Norvège comme point de repère

Le SEM dit s'être inspirée de la Norvège en «analysant sa pratique» pour mettre en œuvre la motion. N'étant pas membre de l'Union européenne (UE) non plus, la Norvège est jusqu'à présent le seul Etat à avoir défini des zones sûres en Ukraine. 

Toutefois, la Norvège montre justement à quel point la tâche est ardue. Ce n'est qu'en janvier que le pays a classé des nouvelles régions d'Ukraine comme sûres, considérant 14 zones ukrainiennes sur 24 comme sûres. Comme Kiev, où au moins douze personnes ont péri cette semaine dans une attaque. Et ce n'est pas un cas isolé, des attaques se sont produites dans d'autres zones jugées «sûres». 

Le directeur de l'Office norvégien des étrangers a déclaré en janvier aux médias norvégiens qu'il était difficile d'utiliser le terme «sûr». L'organe observe la situation en Ukraine de près afin de procéder à d'éventuels ajustements, en retirant des régions de la liste.

L'intérêt d'une coordination avec l'UE

La volatilité de la situation sécuritaire n'est pas le seul facteur d'incertitude pour Beat Jans. Autre chose importante: les règles de l'UE pourraient être adaptées sous peu. D'après nos informations, le Conseil de l'UE devrait discuter en juin prochain de l'avenir du statut de protection S à l'échelle européenne. Le média européen «Euractiv» dispose des mêmes informations. Selon une source interne à l'UE, plusieurs options sont discutées. La prolongation du statut de protection n'étant qu'une possibilité parmi d'autres. 

«La Suisse se coordonnera avec l'UE sur la prolongation ou l'éventuelle suppression du statut de protection S», déclare un porte-parole du SEM. La Confédération aura tout intérêt à se coordonner avec ses voisins européens. Faute de quoi elle risque de se retrouver à la traîne, dans le cas où par exemple des Etats de l'UE obtiennent une plus grande marge de manœuvre pour mettre en place leurs propres solutions et établir des règles plus strictes.

La pression des cantons

En plus des défis liés à la politique extérieure, les cantons font pression. Peu après que l'Assemblée fédérale a approuvé le durcissement du statut de protection S, certains cantons ont adressé une lettre au SEM. Ils n'y vont pas par quatre chemins: ils ne souhaitent plus accueillir des Ukrainiens venant de régions non disputées ou non occupées par la Russie. 

Beat Jans a tenté de calmer le jeu. Afin de décharger les cantons, la Confédération a fait un pas de leur côté en prolongeant le temps d'accueil dans les centres fédéraux d'asile fédéraux des personnes ukrainiennes pour lesquelles une décision négative se profile. 

Malgré cela, certains cantons continuent de faire pression pour une procédure plus rapide. C'est notamment le cas du directeur des affaires sociales de Thurgovie, Urs Martin: «La motion Friedli doit être mise en œuvre immédiatement.» Selon lui, l'encadrement adéquat des personnes en quête de protection représente un grand défi pour le canton.

Plus de logements adéquats

«Le SEM travaille à l'amélioration de la situation et la baisse du nombre de demandes d'asile contribue globalement à une détente», reconnaît Gaby Szöllösy, secrétaire générale de la Conférence des directrices et directeurs cantonaux des affaires sociales (CDAS). Toutefois, la situation reste tendue. «Dans les cantons et les communes, cette détente n'est de loin pas perceptible partout», ajoute-t-elle. 

Contrairement à la Confédération, les cantons accueillent les personnes à long terme. Certains cantons et communes ne trouvent plus de logements adéquats ni de personnel d'encadrement suffisant pour les nouveaux arrivants. Tant que la situation ne change pas, la pression sur Beat Jans restera forte.

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