Cet homme est un phénomène. Il n'était pas le plus talentueux, mais à force de travail, DJ Bobo s'est hissé au rang de superstar. Depuis plus de 30 ans, cet Argovien d'origine a fait (plusieurs fois) le tour du monde, se produisant sur les plus grandes scènes de chaque continent.
Malgré son statut de superstar, René Baumann de son vrai nom, est toujours resté ce gentil voisin, sans histoire. Pas de liaisons, pas de scandales. Bobo ne boit pas. Selon son autobiographie, même pas de sirop contre la toux avec de l'alcool, le vin blanc dans la fondue doit être bien cuit. Et bien sûr, il ne fume pas.
Si normal, si inoffensif
Grâce à ces vertus très helvétiques, le chanteur est devenu très populaire dans le pays. Selon une étude, Bobo est l'un des supports publicitaires les plus attrayants pour les entreprises suisses. Il est facile de s'y identifier. 85% des Suisses connaissent son visage, seul Roger Federer est plus connu.
La comédie musicale «Last Night a DJ Took My Life» montre aux Suisses à quel point son image d'homme irréprochable est trompeuse. La pièce raconte l'histoire de Lori Glori, 64 ans. En 1994, la chanteuse noire chante des tubes de Bobo comme «Pray» ou «Respect Yourself», reçoit en studio 10'000 marks allemands (environ 8000 francs à l'époque) et signe un prétendu reçu. En réalité, elle vient de céder ses droits d'auteur. Alors que la chanteuse se retrouve à la rue, Bobo gagne des millions avec sa voix. Il ne répond jamais à ses appels. Un tribunal rejette plus tard la plainte de Lori Glori. Jusqu'à aujourd'hui, c'est la femme de Bobo, Nancy, qui fait semblant de chanter sur la voix de Lori lors des concerts.
DJ Bobo garde le silence sur cette histoire. Par l'intermédiaire de son manager, il déclare qu'il ne fera aucun commentaire et qu'il ne veut pas d'entretien.
La médiocrité comme emblème
DJ Bobo joue beaucoup sur la médiocrité et l'authenticité. «Je suis un compositeur médiocre, un danseur médiocre, un rappeur médiocre, un chanteur médiocre – tout est médiocre.» DJ Bobo, étalon-or de la sacro-sainte médiocrité suisse.
A première vue, il est dur de lui donner tort: pourquoi diable quelqu'un d'aussi moyen à tant d'égards connaît-il un tel succès?
Mais DJ Bobo n'est pas un médiocre ordinaire. Il a compris très tôt deux choses: Premièrement, en Suisse, personne ne peut viser trop haut. «Le Suisse ne veut pas entendre que je suis le plus génial», a-t-il déjà déclaré en interview. Deuxièmement, l'assiduité et la ruse sont plus importantes que le talent.
DJ la nuit, boulanger le matin
Peter René Baumann naît en 1968 et grandit à Kölliken (AG) en tant que fils d'une fleuriste et d'un travailleur immigré italien. Le père, Luigi, quitte la famille avant la naissance de René.
A la maison, René s'exerce aux mouvements de l'Electric Boogie devant le miroir, danse à la maison des jeunes. Il s'essaie brièvement au tag, mais se fait prendre et doit nettoyer des wagons CFF. Pour faire plaisir à sa mère Ruth, il suit une formation de boulanger-pâtissier. La nuit, il fait le DJ, mais il est toujours à l'heure au fournil à quatre heures du matin.
S'ensuivent des concerts dans des discothèques de campagne et des centres commerciaux, une deuxième place au championnat suisse des DJ. Ses trois premiers singles sont des échecs. Personne ne veut de DJ Bobo et de sa musique, le public quitte à chaque fois la piste de danse. Mais René n'abandonne pas.
En 1993, il réussit à percer avec «Somebody Dance with Me». René Baumann détrône Whitney Houston de la première place du hit-parade suisse, la chanson devient un méga-hit international.
S'ensuit une carrière sans équivalent dans notre pays: 150 disques d'or, 29 de platine et 2 de diamant, 5 millions de spectateurs aux concerts, une fortune estimée à 25 millions de francs. DJ Bobo se produit avec Michael Jackson, les Backstreet Boys et le boysband *NSYNC assurent ses premières parties. Il remplit 21 fois le Hallenstadion – plus que tout autre musicien. Aujourd'hui encore, il fait partie des artistes suisses les plus streamés.
Villa d'été avec plage privée, hiver à Miami
La superstar se présente dans les médias comme un homme simple, un père de famille normal. Pourtant, sa vie n'a plus grand-chose de banal depuis longtemps: depuis 2008, il vit avec sa femme et ses deux enfants dans une villa à Kastanienbaum, dans le canton de Lucerne, avec une piscine intérieure et une zone de baignade privée au bord du lac. Ils passent l'hiver dans une résidence secondaire à Miami, en Floride. Il donne rarement des interviews et reste à l'écart des événements de promotion. Dans un pays où l'on rencontre même des conseillers fédéraux dans le train, René Baumann, de son propre aveu, n'a plus fait de courses depuis des années. Il ne prend ni le bus ni le train.
Dans le livre «Les années oubliées», un écrit critique de son premier label, son premier producteur dévoile à propos des débuts de Bobo: «C'était un très bon DJ, mais il n'avait aucune idée du business de la musique. Il suivait chacune de nos activités de très près, prenait des notes, notait tout consciencieusement».
Une habitude qui s'est avérée payante par la suite. Lorsque les ventes de disques s'effondrent dans les années 2000, les musiciens doivent changer de mentalité. Aujourd'hui, les artistes gagnent surtout leur vie grâce aux spectacles et au merchandising. Peu de gens l'ont compris et ont capitalisé dessus aussi rapidement que DJ Bobo.
Il tourne tous les deux ans dans des arènes et des parcs d'attractions, se produit devant des têtes de tigres de plusieurs mètres de haut et en costume de vampire dans des spectacles parfaitement adaptés au public familial et commercialisés à outrance: des clés USB imprimées, des tigres en peluche, jusqu'à avoir son propre encart dans le journal, la marque DJ Bobo est omniprésente.
Un flair peu commun
Ses spectacles sont intemporels et compatibles avec presque tout le monde. Un visiteur a écrit un jour qu'à la fin du spectacle, on s'attendait à ce que le Conseil fédéral apparaisse sur les créneaux du «Magic Castle» et salue la foule.
Artistiquement, René Baumann est peu exigeant, c'est le cas de le dire. Il ne sait pas lire la musique et ne maîtrise aucun instrument (à part les leçons de piano de son parrain et un peu de flûte à bec). Qu'il en soit ainsi. Dans un documentaire de la SRF, DJ Bobo affirme qu'un tube se définit par ce que le public aime: «Pour moi, la seule chose qui compte, c'est si les gens chantent ou dansent avec moi.»
Sa compétence principale, dit-il, est de reconnaître les talents des gens: «Je flaire tout de suite.» Dans l'émission «Le plus grands talents suisses», c'est lui qui est à chaque fois le premier à buzzer pour dire «non».
Le succès prend le pas sur l'intégrité
Mais ce qui est peut-être le plus suisse chez la superstar, c'est son sens des affaires. Toujours privilégier le rendement, quitte à faire fi du sens moral.
DJ Bobo a plus d'une fois privilégié le succès à l'intégrité. Le refrain de son premier hit était d'ailleurs volé. Après un accord, il a dû payer des royalties aux Etats-Unis pour chaque disque. Plus tard, on a reproché à son conseiller d'avoir triché sur les chiffres de vente pour obtenir un prix.
Bobo s'est également montré impitoyable envers Emel Aykanat. A 16 ans, elle chantait le refrain de «Somebody Dance with Me». Une participation aux crédits avait été convenue avec DJ Bobo en cas de succès de la chanson. Mais ensuite, elle raconte qu'on lui a présenté des reçus pour des cachets de représentation qui ont été modifiés ultérieurement – elle aurait ainsi cédé ses droits d'auteur. Une méthode qui ressemble à celle que Lori Glori aurait subie. Emel Aykanat parlait alors d'une «énergie criminelle considérable». Son avocat a menacé de porter plainte, un accord extrajudiciaire a finalement été trouvé. Emel Aykanat reçoit désormais des droits d'auteur d'un montant à six chiffres.
Selon le livre «Les années oubliées», une troisième chanteuse – Jennifer – doit également se battre avec un avocat pour obtenir une part du chiffre d'affaires. Selon le livre, DJ Bobo n'épargnait pas non plus ses proches, sa femme et lui payaient toujours séparément le restaurant, malgré son succès.
La longue liste des personnes trahies
Tanja Geuder a été chanteuse et danseuse pour DJ Bobo de 1994 à 1997. Lors d'un spectacle, elle tombe dans un trou, elle explique que la scène avait été modifiée peu de temps auparavant. L'épaule de Tanja Geuder est brisée, la jeune maman ne peut plus se produire et se retrouve sans revenu. Elle n'aurait jamais reçu de dédommagement, dit-elle. Un avocat lui conseille de ne pas porter plainte pour des raisons financières.
Gutze Gautschi, 75 ans, se sent lui aussi trahi. Avec Mark Wyss, ils ont signé René Baumann en 1992, ont produit son premier album et l'ont aidé à percer. DJ Bobo n'a cependant montré aucune gratitude (dans sa biographie, les producteurs apparaissent seulement comme «les gars de Fresh Music»).
Lorsque DJ Bobo change de label, il réenregistre toutes ses chansons – avec de nouvelles chanteuses, souvent avec sa femme Nancy. Il économise ainsi les royalties pour les anciens ayants droit et les deux producteurs. Il n'aurait jamais déclaré proprement les nouveaux enregistrements comme tels.
Gutze Gautschi affirme que le cas de Lori Glori était déjà considéré comme une arnaque dans les années 90: «Si quelqu'un donne sa voix pour un tube, on lui attribue un pourcentage. C'est ce que font les labels sérieux.» L'attitude de Bobo envers la chanteuse montre son vrai caractère.