L'entrepreneur Philippe Lathion tire la sonnette d'alarme
«La spéculation immobilière détruit le tourisme suisse»

En Suisse, une remontée mécanique sur quatre lutte pour sa survie. Pour l'entrepreneur Philippe Lathion, le tourisme suisse va mal. Et en matière d'hospitalité, la Suisse pourrait apprendre quelque chose des Autrichiens, déclare-t-il dans une interview accordée à Blick.
Publié: 04.11.2024 à 14:27 heures
Philippe Lathion a été président des remontées mécaniques de Télénendaz pendant 20 ans, il connaît le tourisme de montagne suisse sur le bout des doigts.
Photo: Andrea Soltermann
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Martin Schmidt

Hérémence, un village valaisan d'environ 1500 habitants, sera bientôt propulsé dans de toutes nouvelles sphères touristiques. En décembre, le nouveau complexe touristique Dixence Resort, qui devrait générer à l'avenir 80'000 nuitées par an, sera pleinement opérationnel. Le projet coûte plus de 120 millions de francs et prend des dimensions immenses. Les ouvriers sont encore à l'œuvre actuellement.

L'entrepreneur valaisan Philippe Lathion a été président des remontées mécaniques de Télénendaz pendant 20 ans, il connaît le tourisme de montagne suisse sur le bout des doigts. Pendant des décennies, il a pu analyser ce qui n'allait pas dans la branche. Au cours d'un entretien, il a fait visiter l'immense terrain de Dixence Resort à Blick

Philippe Lathion, vous auriez pu tout simplement vendre tous les appartements de vacances d'Hérémence et empocher un beau bénéfice. Pourquoi ce projet de complexe?
Nous et les autres investisseurs aurions alors commis la même erreur que l'on retrouve dans de nombreuses destinations en Suisse. Le complexe d'Hérémence est une destination touristique. Si nous vendions tous les appartements à des propriétaires qui ne les loueraient pas, il n'y aurait personne en semaine et en dehors des vacances pour rentabiliser le spa, les restaurants, les magasins de sport et les boutiques qui se trouvent dans le complexe.

Les destinations suisses ont donc trop de logements de vacances qui ne se louent pas?
Nous avons perdu beaucoup trop de nuitées dans les destinations touristiques suisses au cours des 20 dernières années. Les hôtels et les appartements loués sont essentiels à la survie d'une destination. En hiver, de nouveaux arrivant débarquent chaque semaine pour louer un équipement de ski, acheter des vêtements de sports d'hiver, manger au restaurant ou demander les services de l'école de ski. Les propriétaires d'appartements de vacances sont beaucoup moins souvent sur place et profitent moins de toutes ces offres. Le problème est particulièrement visible au niveau des remontées mécaniques.

Le Dixence Resort dispose d'un spa de 3300 mètres carrés et de nombreuses piscines.
Photo: Andrea Soltermann

Les remontées mécaniques luttent pourtant avant tout contre le changement climatique.
Le climat représente effectivement un grand défi. Mais en France ou en Autriche, le nombre de visiteurs journaliers dans les stations de ski a bien mieux évolué qu'en Suisse au cours des 20 dernières années, alors que le réchauffement climatique est le même. On dit trop souvent que les remontées mécaniques sont la colonne vertébrale des destinations.

Et ce n'est pas vrai?
Avoir des lits pleins dans les villages touristiques est plus important que les remontées mécaniques. On le voit par exemple dans le domaine skiable des Portes du Soleil. Les remontées mécaniques du côté français, à Avoriaz, réalisent un chiffre d'affaires d'environ 60 millions de francs. Là-bas, pratiquement tous les appartements de vacances sont loués. A Champéry, du côté suisse, de nombreux appartements de vacances ont été vendus et les remontées mécaniques ont beaucoup plus de mal à réaliser un chiffre d'affaires d'environ 20 millions de francs.

Un exemple de régions suisses qui s'en sortent bien?
En Suisse, Zermatt est l'exemple parfait d'une hôtellerie forte. Ses remontées mécaniques génèrent presque deux fois plus de chiffre d'affaires que celles de Verbier, une destination où de nombreux logements touristiques ont été construits, mais vendus.

«Nous devons critiquer les destinations suisses qui ne font rien pour faciliter la construction d'hôtels ou de complexes touristiques», déclare l'entrepreneur Philippe Lathion.
Photo: Andrea Soltermann

Les destinations suisses sont donc elles-mêmes responsables d'avoir vendu à prix d'or tous leurs appartements de vacances?
On ne peut pas vraiment dire ça. La vente de logements de vacances a permis aux destinations suisses de se développer. Mais aujourd'hui, le marché des résidences secondaires a pris le pas sur le marché de la location. Dans la plupart des destinations de Suisse, il n'y a pas assez de lits à louer, et ce n'est pas optimal. Nous devons donc critiquer les destinations qui ne font rien pour faciliter la construction d'hôtels ou de complexes touristiques.

Et pourquoi les stations suisses ne parviennent-elles pas à créer davantage de logements touristiques?
De nombreux acteurs ne veulent toujours pas voir qu'une trop grande focalisation sur le secteur immobilier pose problème à long terme. La rénovation des logements et leur revente génèrent à court terme de nombreux bénéfices pour les promoteurs, les agences immobilières, qui touchent des commissions, et les communes, qui perçoivent des recettes fiscales appréciables. Alors pourquoi changer de modèle?

La loi sur les résidences secondaires a permis de limiter massivement ce phénomène!
Mais la loi a également accéléré les ventes. L'offre s'est raréfiée et les prix ont encore plus augmenté. Dans ce contexte, une vente d'appartement est extrêmement lucrative. Et celui qui achète un logement de vacances cher n'a aucun intérêt à le louer. A Verbier, le mètre carré coûte plus de 25'000 francs. Cette spéculation immobilière détruit le tourisme.

Selon Philippe Lathion, le service des logements de vacances laisse souvent à désirer.
Photo: Andrea Soltermann

Que peut faire une destination de vacances lorsque pratiquement tous ses appartements ont été vendus?
On ne peut plus rien faire pour les logements de vacances. Il faut alors essayer de créer de nouveaux endroits à louer. Avec les hôtels, il est difficile en Suisse d'obtenir un rendement suffisant. Les coûts sont très élevés. En France, on a construit beaucoup de complexes hôteliers parce que les coûts d'exploitation sont plus bas. Ici, nous n'avons que peu de complexes hôteliers. Les politiciens doivent créer les conditions-cadres nécessaires. Le terrain ne doit pas être trop cher. Actuellement, ce sont surtout les remontées mécaniques qui sont soutenues financièrement. Mais si les endroits pour passer la nuit font défaut, ce n'est pas durable.

Ne peut-on pas également inciter d'avantage les propriétaires à louer leurs appartements de vacances?
Cela implique des atteintes au droit de propriété. Dans le cas des appartements de vacances loués, il y a en outre un autre problème. Les touristes qui louent un appartement se voient remettre la clé du logement en main propre à leur arrivée et doivent s'occuper eux-mêmes de tout, se procurer leurs forfaits de ski ou louer du matériel. Il y a un problème de service: une journée est ainsi rapidement perdue. La Suisse a certes les meilleures écoles hôtelières du monde, mais dans l'hôtellerie, l'hospitalité laisse à désirer.

Pourquoi pensez-vous cela?
Je vais vous donner un exemple. En Autriche, on demande aux clients le matin s'ils ont bien dormi. En Suisse, on leur demande s'ils ont bu quelque chose dans le minibar...

Vous voulez dire qu'il faut plus d'investisseurs comme vous?
Nous avons besoin de plus d'hôtels et de complexes touristiques qui offrent aux clients toutes ces prestations et un service de pointe. Le tourisme ne consiste pas à vendre une deuxième maison, mais une expérience unique.

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