Un verdict historique a été rendu ce jeudi 19 décembre par la cour criminelle du Vaucluse à Avignon (F). Dominique Pelicot, responsable d’avoir orchestré, pendant dix ans, 92 viols abjects sur son ex-femme, Gisèle, qu’il droguait, violait et faisait violer par des inconnus, a été reconnu coupable de tous les crimes et délits qui lui sont reprochés.
Il passera 20 ans en prison, la peine maximale. Pour viols aggravés sur Gisèle Pelicot, une tentative de viol et viol aggravé sur la femme d’un coaccusé, mais aussi la captation d’images à caractère sexuel concernant sa fille Caroline et ses ex-belles-filles.
Bien que la police ait évoqué 83 violeurs au total, 50 autres accusés ont été jugés jeudi pour avoir, sur invitation de Dominique Pelicot, violé son épouse d’alors. Ils sont âgés de 27 à 74 ans. Aucun n’a été acquitté. Mais la cour criminelle a prononcé des peines de 3 à 15 ans de prison, en deçà des réquisitions des avocats généraux qui allaient de 4 à 18 ans de réclusion criminelle pour les co-accusés de Dominique Pelicot.
Ce procès inédit aura-t-il valeur d’exemple? Y aura-t-il un avant et un après Mazan? La Suisse pourra-t-elle s’en inspirer pour juger les violences contre les femmes et leur caractère systémique? Blick a posé la question à diverses personnalités romandes engagées.
Estelle Revaz, conseillère nationale (PS/GE)
«De cette affaire, je retiens avant tout l’incroyable courage et la dignité de Gisèle Pelicot. Je pense qu’elle peut représenter un symbole d’espoir pour beaucoup de femmes qui doivent affronter la justice pour des faits de viol ou d’agressions sexuelles. Mais ce procès a aussi montré que la notion de consentement n’est absolument pas intégrée dans la société actuelle: quand on entend tous ces accusés affirmer qu’ils n’ont pas fait exprès, qu’ils ont violé Madame Pelicot 'par accident', on ne peut qu’être choqué.
Il est incroyable de constater qu’en 2024, des gens se défendent encore de la sorte devant la justice. Cela doit aussi nous interroger en Suisse, alors que la nouvelle définition du viol basée sur 'un non est un non' est récemment entrée en vigueur. J’espère que cette affaire pourra contribuer à déclencher une prise de conscience dans la société. Le consentement n’est pas une 'coquetterie de bonne femme' comme on peut encore trop souvent l’entendre, il s’agit d’une notion fondamentale.
J’espère de tout mon cœur que la notion de consentement soit bientôt suffisamment intégrée dans la société pour que son intégration à la loi tombe naturellement sous le sens. Bien que je sois soulagée du verdict du procès de Mazan, il faut rappeler que de telles atrocités marquent les victimes à vie. Aucun verdict ne pourra réparer ce qui a été vécu. Mais ces peines montrent la gravité des actes commis et, en ce sens, cela me satisfait.
En effet, de nombreuses études en psychologie sociale démontrent que la plupart des coupables de viol s’appuient sur une réflexion rationnelle avant d’agir, en faisant une pesée d’intérêts 'bénéfices-risques'. Je suis donc très soulagée de voir que de vraies peines ont été édictées. Il est important, en Suisse aussi, qu’on réfléchisse à des peines qui soient à la hauteur des crimes commis lorsqu’il s’agit de viol. Cela fait aussi partie de la prévention: ce n’est pas seulement une question d’éducation. La société entière doit reconnaître et mettre en évidence la gravité de ces actes, afin de mieux les prévenir.»
Jacqueline de Quattro, conseillère nationale (PLR/VD)
«Ce cas va faire école parce qu’il secoue les consciences. Le droit français est beaucoup plus sévère que le nôtre, la mesure de la peine, 20 ans, est la même que pour un assassinat. C’est totalement justifié car ils ont détruit la vie d’une femme. Le tribunal a reconnu l’ignominie de l’exploitation sexuelle systématique, non consentie et contre rémunération d’un homme sur sa propre épouse. Pour les autres accusés, aucune excuse n’a été acceptée par les juges. Il n’y a plus d’impunité.
Ce jugement est un message fort aux victimes: Il vaut la peine de porter plainte! Le courage de Gisèle Pelicot donne de la force à celles qui hésitent. Actuellement, l’immense majorité des viols (entre 75 et 90% selon les études) ne sont pas dénoncés. Parce qu’il faut tout revivre, tout expliquer, affronter les doutes; les juges, le public, son agresseur et sa famille. C’est dur, mais l’impunité est pire, car elle donne comme signal que le viol d’une femme ne serait pas si grave. Et les féminicides commencent souvent par des violences sexuelles: On en recense en moyenne 25 par année en Suisse.
Gisèle Pelicot fait preuve d’un courage incroyable, en refusant le huis clos pour que tout le monde se rende compte que les violeurs pouvaient être Monsieur Tout-le-monde. Il n’y a pas que les puissants ou les psychopathes: cela peut être n’importe qui. Le message aux victimes est essentiel: 'Vous serez prises au sérieux, le crime sera jugé à la hauteur de sa gravité'. Ce cas va faire changer les réponses à ce genre de crimes à l’avenir.
Chez nous également, la prise de conscience est forte. On ne peut pas, on n’aurait jamais dû! banaliser des crimes pareils. Les femmes sont plus vulnérables sur cet aspect-là, elles ont besoin de protection et de reconnaissance face à la gravité du crime. C’est un signal clair pour les tribunaux de Suisse et d’ailleurs, il faut dire 'stop' à ces crimes abjects.»
Mathilde Mottet, coprésidente des femmes socialistes
«Ce procès est extrêmement important, car il montre que le viol et les agressions sexuelles ne sont pas le fait de quelques individus 'malades', mais qu’il s’agit d’une affaire d’hommes en général. Cela a permis de déconstruire les mythes associés généralement aux violeurs, comme quoi, ils seraient d’une certaine nationalité ou pratiquerait telle ou telle religion.
Non, nous parlons d’une affaire de domination d’hommes sur les femmes. J’espère que tous les hommes questionneront leurs propres comportements. Mais j’observe aussi qu’il y a une banalisation des faits, comme si le plus important n’était pas la gravité des actes commis, mais le fait de s’être fait épingler. L’attitude de certains accusés empreinte de misogynie, le dédain qu’ils ont montré pour la victime, le fait qu’ils se retrouvent en groupe dans un entre-soi solidaire, m’a révoltée.
Un peu à l’image de ce qu’on retrouve dans la société au quotidien. En tant que femme, nous avons toutes, ou presque toutes, vécu une forme de violence sexuelle. En revanche, quand on en parle autour de nous, il n’existe pas d’agresseur, ni de violeur. Donc, il était primordial pour moi que ces agresseurs soient reconnus coupables.
Peu importe la durée de la peine, même s’il ne faut pas en sous-estimer la portée symbolique. Le plus important est de protéger les victimes, mais il faut aussi que les agresseurs apprennent, comprennent et s’améliorent. Il faut investir sur le suivi des auteurs de violences sexuelles pour pouvoir avancer ensemble en tant que société.»
Thomas Bläsi, conseiller national (UDC/GE)
«Il est invraisemblable que des profils de pères de famille, de frères et d'hommes normaux figurent sur le banc des coupables. Et pourtant... Pour le coup, je trouve que la justice française a rendu une décision forte. C'est extrêmement positif que la justice ait tapé fermement sur ces hommes qui ont tous abusé de la même femme. J'espère que ce cas changera quelque chose dans la relation entre le soignant et la patiente, notamment dans la prise en charge de la santé sexuelle féminine. C'est une question d'écoute, car le patient – en l'occurrence la patiente – est bien souvent celui ou celle qui connait le mieux son état de santé, qui est plus à même de le décrire.
C’est le crime maximum, celui qu’on ne pouvait même pas imaginer. Mais il faut bien penser que les affaires de viols peuvent exister au sein des couples. Il y a moins de cas comme Mazan que de cas où il n’y a qu’une seule victime et qu’un seul agresseur. Mazan doit nous servir de révélateur par rapport à une situation cachée: celle de la soumission chimique, sur laquelle nous avons lancé une motion rejetée par le Conseil fédéral.
Il est malheureusement trop facile de se procurer des médicaments de type benzodiazépines (p. ex. le Temesta) pour commettre un acte de soumission chimique. En Suisse, il serait impossible de remonter la trace des médicaments. Les médecins envoyant les ordonnances sur les téléphones des patients, ils peuvent les dupliquer à volonté et obtenir de nombreuses boites. En France, le système de sécurité est supérieur au nôtre – ce qui n’a pas empêché ces actes ignobles d’arriver.
Cela doit nous alerter sur le risque d’un 'Mazan' en Suisse, surtout au vu de notre arsenal légal et politique face à la problématique de la soumission chimique. Les autorités doivent sévir pour permettre aux pharmaciens d’exercer leur devoir de refus de vente. Il est très difficile à appliquer, car notre système d’ordonnances médicales et de suivi de la médicamentation est obsolète. C’est une cause d’intérêt public: 56% des soumissions chimiques sont accomplies à l’aide de médicaments qui sont obtenus via les pharmacies. Il en va de la responsabilité politique de protéger nos concitoyens face à ces abus. Si cela permet de sauver un seul enfant d’actes pédophiles ou une seule femme de viols dont elle n’a pas conscience, alors ça vaut la peine.»