Le projet du Beau-Rivage fait des vagues
«Un yacht sur les quais pour quelques privilégiés?! Neuchâtel, c'est pas Ibiza!»

À Neuchâtel, le Beau-Rivage veut amarrer un yacht de luxe à deux pas de sa terrasse. En l'absence d'une marina, les discrets nouveaux propriétaires du cinq-étoiles souhaitent construire un ponton privé sur les quais. Les écologistes voient rouge.
Publié: 23.04.2022 à 06:03 heures
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Dernière mise à jour: 23.04.2022 à 09:56 heures
Le Beau-Rivage n'a pas été en mesure de spécifier la taille exacte du yacht commandé, qui devrait mesurer plus de 10 mètres (image d'illustration).
Photo: Keystone/Shutterstock
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Amit JuillardJournaliste Blick

Céline Vara a le mal de mer. «Neuchâtel, c’est pas Verbier, c’est pas Ibiza!, réagit la conseillère aux États verte, sollicitée par Blick. Les autorités vont devoir faire une réelle pesée d’intérêts. Qu’est-ce qui est le plus intéressant pour cette ville? Avoir un yacht, même petit, installé à l’endroit le plus emblématique de son bord du lac dont seuls quelques privilégiés bénéficieront, ou continuer à offrir un beau panorama à toutes et à tous?»

L’information est presque passée inaperçue. Mais si le projet aboutit, il pourrait bien changer la vue sur les Alpes promise par les quais et les poissons pourraient avoir un nouvel ami. Les nouveaux propriétaires — de prime abord une société de Singapour (lire encadré) — du Beau-Rivage veulent faire mouiller un bateau à moteur de luxe en face de l’hôtel de 66 chambres et quatre suites, a annoncé Denis Wang, son administrateur, dans les colonnes d'«Arcinfo». Ce cinq-étoiles sis sur l’esplanade du Mont-Blanc, les pieds dans l’eau, se situe à 500 mètres du port le plus proche.

Le Beau-Rivage avait accueilli Cristiano Ronaldo et l'équipe nationale du Portugal lors de l'Euro 2008.
Photo: KEYSTONE/Sandro Campardo

Dimensions exactes du yacht inconnues

«Le yacht est commandé et va arriver dans quelques mois, développe le Vaudois d'origine chinoise, joint par Blick. Dans l’idéal, nous avons envie de l'amarrer devant l’hôtel (ndlr: où il n’y a aujourd'hui pas de place prévue à cet effet). Si ce n’est pas possible légalement, nous chercherons une autre solution.» Quelle est la taille de l’embarcation achetée? «Ce n’est pas moi qui l’ai commandée, je n’ai pas encore les dimensions exactes. Elle fera plus de 10 mètres de long mais ne sera pas plus grande que celles qu’on voit déjà naviguer.» À titre de comparaison, les navires privés les plus massifs immatriculés dans la région des Trois-Lacs tapent dans les 15 à 20 mètres. Aucune limite de taille n’est inscrite dans la loi.

L’objectif du projet est clair: servir des repas et offrir des possibilités de baignades exclusives à des VIP — une douzaine à la fois au maximum. «Avec les prestations de service disponibles actuellement par ici, les clients haut de gamme et les touristes d’affaires préfèrent se loger à Montreux, Lausanne ou Zurich, déplore l'administrateur. Pourtant, les entreprises horlogères du coin les reçoivent régulièrement. Un yacht, c’est une force d’attraction, qui servirait aussi à faire rayonner cette ville et ce canton.»

Au bout du fil, la Verte Céline Vara s'émeut: «Ne créons pas de précédents! Il y a des ports, il faut s’y tenir».
Photo: KEYSTONE/Jean-Christophe Bott

Céline Vara, avocate de métier, n’est pas convaincue et s’étonne de la voie choisie, à l’heure où l’hôtellerie cherche à limiter son impact climatique. «Je ne crois pas que Neuchâtel ait ce genre de clientèle ni n’en ait besoin, estime la Neuchâteloise. Un bateau qui resterait là à longueur de journée et d'année serait un problème. Pour les autorités, tout sera une question de proportionnalité. Quelle taille? Pour combien de temps? Avec quelle infrastructure? Quel dérangement pour la faune? Il faudra que le Canton analyse la future demande avec précaution. Ne créons pas de précédents: il y a des ports, il faut s’y tenir.»

«Nous nous montrerons très critiques»

Pro Natura Neuchâtel abonde. «Si l’on parle d’un aménagement nouveau, comme un ponton d’accès, dans un endroit pas prévu à cet effet, nous allons nous montrer très critiques, avertit Yvan Matthey, chargé d’affaires. Le but n’est pas de se retrouver avec des bateaux stationnés en dehors des zones portuaires et il ne faudrait pas que ça fasse appel d’air! Nous allons attendre une éventuelle mise à l’enquête publique. Sans un projet plus détaillé, il est impossible aujourd'hui de faire une analyse juridique.» À ce stade, l’association de défense de l’environnement n’a pas été informée d’une quelconque procédure en ce sens.

Et pour cause: «Nous n’avons pas encore déposé de demande formelle, concède Denis Wang. Mais nous sommes en discussion avec les autorités communales et cantonales. La Ville et l’État se montrent ouverts à nos différents projets de développement, dont font aussi partie la rénovation des chambres, l’ouverture d’un nouveau bar pour les jeunes et une éventuelle extension, dans des locaux connexes, consacrée à de la restauration légère. Vous voyez, nous voulons aller vite, c'est le rythme asiatique!» Contacté, le Service cantonal des automobiles et de la navigation (SCAN) n’a de son côté pas connaissance d'une requête d’immatriculation.

Sauvé malgré le Covid

La Ville confirme toutefois des discussions «constructives». «Nous avons eu des contacts avec les nouveaux propriétaires, qui nous ont fait part de leur volonté de donner un nouveau dynamisme à l'hôtel, développe Violaine Blétry-de Montmollin, conseillère communale (exécutif) chargée du dossier. Nous sommes en train d’analyser les différentes propositions qui nous été présentées avec les services internes de la Ville et le Canton, notamment en ce qui concerne ce projet de ponton pour son yacht. Ces processus déboucheront sur des demandes de permis de construire, à déposer par le Beau-Rivage, et qui seront traitées par les services cantonaux et communaux concernés.»

Violaine Blétry-de Montmollin, élue PLR en charge du dossier, se réjouit surtout de pouvoir conserver un hôtel de standing dans la région.
Photo: KEYSTONE/Valentin Flauraud

L’élue libérale-radicale se réjouit surtout de pouvoir conserver un hôtel de standing dans la région. «La Ville est heureuse de constater que la vie de ce cinq-étoiles va être pérennisée, en particulier au sortir de la période Covid qui a beaucoup impacté la branche, souligne-t-elle. Dans la région, le besoin est réel et la nouvelle équipe veut redonner à l’établissement l’ampleur d’un vrai cinq-étoiles.»

Les autorités cantonales, via le Département de l’économie, ont rencontré les nouveaux propriétaires en même temps. La décision finale quant à la construction d'un ponton reviendra au Département du développement territorial et de l’environnement. «Nous pouvons vous confirmer qu’en cas de volonté d’amarrer un bateau via une bouée ou un ponton provisoire sur le lac, c’est bien le Canton qui est compétent dans la mesure où il s’agit du domaine public cantonal, écrit Mathieu Erb, secrétaire général, dans son courrier électronique. À ce jour, nous n’avons pas été saisis […] d’une demande à ce sujet.»

L'inquiétude du Beau-Rivage

Si le projet devait se révéler impossible, alors le Beau-Rivage devrait se rabattre sur un port, dont la gestion est de la compétence communale. Mais le chemin pourrait bien être semé d’embûches, tant les places manquent. «Déjà pour une embarcation de taille raisonnable, c’est difficile, atteste Philippe Burri, directeur du SCAN. Selon nos calculs, il manque déjà environ 1000 places dans le canton. Résultat, les privés louent des hangars ou renoncent.»

Denis Wang assure que l'hôtel (ici en haut de l'image à gauche) contribue à garder les quais propres.
Photo: KEYSTONE/GAETAN BALLY

L’écran de mon téléphone s’allume: un message de Denis Wang, inquiet. «En matière d’environnement, il n’y a pas de raison que notre hôtel devienne un mauvais exemple à cause d’un bateau indifférent de ceux déjà permis sur le lac de Neuchâtel. Au contraire, nous nettoyons régulièrement l’espace public alentour.» Et l'administrateur du palace d’insister: «Grâce à notre service haut de gamme — y compris le yacht — nous allons attirer l’attention du public sur le besoin de propreté autour de l’esplanade du Mont-Blanc, dans et hors de l’eau.»

Qui sont vraiment les nouveaux propriétaires du Beau-Rivage?

Le ou les acheteurs du cinq-étoiles neuchâtelois souhaitent rester discrets. En novembre 2021, un communiqué indiquait que l'hôtel avait été racheté par une société d'ingénierie et d'investissement basée à Singapour ayant déjà noué des liens avec le canton. Sans donner davantage de détails ni de noms. Aujourd'hui encore, l'administrateur du Beau-Rivage, Denis Wang, Vaudois d'origine chinoise, assure à Blick que c'est cette société qui possède l'établissement.

Mais la réalité semble plus complexe. Selon «Arcinfo», le Beau-Rivage serait également lié à La Soleille, un «family office» qui gère le patrimoine d'une ou plusieurs familles, sis à Neuchâtel, mais qui possède des bureaux à Shanghaï.

Après le départ de l'ancien propriétaire, Thomas Maechler, la direction du palace a aussi changé. C'est désormais Alice Yu qui tient les rênes du palace.

Le ou les acheteurs du cinq-étoiles neuchâtelois souhaitent rester discrets. En novembre 2021, un communiqué indiquait que l'hôtel avait été racheté par une société d'ingénierie et d'investissement basée à Singapour ayant déjà noué des liens avec le canton. Sans donner davantage de détails ni de noms. Aujourd'hui encore, l'administrateur du Beau-Rivage, Denis Wang, Vaudois d'origine chinoise, assure à Blick que c'est cette société qui possède l'établissement.

Mais la réalité semble plus complexe. Selon «Arcinfo», le Beau-Rivage serait également lié à La Soleille, un «family office» qui gère le patrimoine d'une ou plusieurs familles, sis à Neuchâtel, mais qui possède des bureaux à Shanghaï.

Après le départ de l'ancien propriétaire, Thomas Maechler, la direction du palace a aussi changé. C'est désormais Alice Yu qui tient les rênes du palace.

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