Le point commun entre la canicule et la vie chère? Dès qu’elles pointent le bout de leur nez, les esprits s’échauffent. Surtout à Genève et en France voisine, où il suffit d’un (presque) rien pour que les tensions sur la question des frontaliers se ravivent.
Voici les ingrédients de la polémique du jour: un sénateur français — Loïc Hervé — qui accuse ses «amis suisses» de profiter des aides de l’Hexagone sur l’essence, et un conseiller d’État du bout du Léman — Mauro Poggia — qui semble menacer en retour de couper les allocations familiales suisses des travailleurs frontaliers résidant en France. Boum!
Le bras de fer se joue par médias interposés. Loïc Hervé a dégainé sur France 3 Auvergne-Rhône-Alpes, à propos de «la ristourne sur les carburants» qui passera de 18 à 30 centimes par litre à la rentrée. Visiblement agacé par le fait que tout le monde puisse profiter à la pompe de ce geste, indépendamment de sa nationalité, il lâche: «Il faut absolument qu’on aide en priorité les Français qui en ont le plus besoin. Il ne faut pas qu’on aide les riches, nos amis suisses, les touristes étrangers, il faut qu’on aide les Français qui bossent.»
De son côté, Mauro Poggia lui a répondu sur les réseaux sociaux. Et glisse, non sans ironie, que «les apparentes bonnes idées des uns peuvent en donner aux autres». Interview.
Mauro Poggia, vous menacez sérieusement de mettre fin aux allocations familiales pour les frontaliers?
Ce n’est pas une menace car ce n’est pas de ma compétence: ce n’est pas l’État qui verse ces allocations mais les partenaires sociaux. Il y a cependant matière à penser, oui! J’ai déjà songé à cette problématique, d’autant qu’à Genève on verse davantage que ce qu’exige le droit fédéral, pour tenir compte des loyers élevés.
Pourquoi?
Mettre fin à ces allocations supérieures serait une mesure juste, ne serait-ce que pour ne pas détourner les politiques mises en place en France. Il faudrait toutefois se demander si cela ne serait pas contraire aux accords bilatéraux. Mais, une fois encore, cela n’est pas de ma compétence. Il appartient aux employeurs genevois de venir avec ce sujet.
Donc vous ne vous êtes pas seulement lancé dans un exercice purement rhétorique. Votre publication trahit un véritable agacement…
Oui, effectivement. On ne peut pas parler du Grand Genève seulement quand cela nous arrange. Même si, en France, on semble affectionner ce double discours. En temps normal, les Français sont évidemment pour la libre circulation puisque la couronne qui entoure Genève est la région où le chômage est le plus bas de France. Et là, parce que l’essence est moins chère qu’en Suisse et que certains en profitent, il faudrait tout remettre en question? Attention. Parce que si on cherche le poil sur l’œuf, on finit toujours par le trouver.
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Mais l’élu du Mouvement citoyen genevois que vous êtes peut comprendre qu’un représentant des Français demande que les aides françaises bénéficient en premier lieu aux Français…
Oui, à la nuance près qu’il ne s’agit pas d’une aide étatique au sens propre. On ne parle pas d’une subvention versée aux stations-service pour aider les personnes à faire le plein mais d’une diminution des taxes. Le gouvernement est aujourd’hui un peu moins gourmand qu’hier dans ses taxes, c’est tout. Et allons plus loin dans la réflexion: est-ce que l’augmentation des ventes causée par la venue de résidents genevois ne crée pas des revenus fiscaux supplémentaires bienvenus pour l’État? Il est aussi nécessaire de rappeler que les taxes étaient moins élevées en Suisse qu’en France pendant des décennies et que les Français venaient faire le plein chez nous avant de rentrer chez eux, sans que cela ne dérange personne.
Donc vous ne trouvez rien à redire aux Genevoises et aux Genevois qui font faire le plein de l’autre côté de la frontière alors que le commerce local tire la langue?
Je comprends celles et ceux pour qui 100 francs de plus à la fin du mois font une différence. Mais je regrette cette situation pour le commerce genevois, qui a des charges et salaires plus élevés que son homologue français. J’aimerais mettre en garde les personnes qui ont les moyens de faire un effort en cette période et qui traversent tout de même la frontière pour économiser quelques dizaines de francs. Elles ne devront pas s’étonner si nos magasins ferment et que des gens se retrouvent au chômage! On ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre.
Qu’appelez-vous de vos vœux face à l’inflation, alors?
Il y a des entreprises qui, malgré la crise, s’en sont très bien sorties. Les employeurs qui le peuvent pourraient aider en augmentant les salaires. J’estime qu’une certaine répartition de cette prospérité est garante de la paix sociale dont l’économie a besoin.