Cette semaine, les CFF ont enfin pu présenter un bénéfice, une première depuis la pandémie de Covid-19. Dans une interview accordée à Blick, le CEO Vincent Ducrot explique pourquoi il se fait tout de même beaucoup de souci pour les finances de son groupe. Le Fribourgeois précise ce que devraient être selon lui les transports publics en Suisse dans quelques années.
Vincent Ducrot, les journalistes distribuent rarement des compliments. Il est temps de faire une exception: je dois attendre mon train nettement moins souvent qu'il y a quelques années. Comment y êtes-vous parvenu?
Nous avons beaucoup investi dans la planification et la communication interne. Les services Voyageurs, Infrastructure, Sécurité, Informatique et Immobilier collaborent aujourd'hui beaucoup plus étroitement qu'auparavant. Avec le nouveau centre de contrôle du trafic ferroviaire suisse à Berne, nous allons maintenant encore plus loin. Nous pouvons ainsi réagir immédiatement si des problèmes surviennent quelque part.
Pouvez-vous donner un exemple?
Prenons un chantier où les trains doivent ralentir pour des raisons de sécurité. Selon le plan, le retard est de 10 secondes, mais dans la réalité, il est de 20 secondes. Cela peut suffire à dérégler notre système. Si le trafic voyageurs a un lien direct avec l'infrastructure, cela aide à résoudre rapidement le problème.
La ponctualité est bonne, mais le confort laisse souvent à désirer: aux heures de pointe, je dois m'asseoir dans les escaliers entre Winterthour et Zurich. Ce matin, entre Zurich et Berne, tout le monde n'avait pas non plus de place assise. Devons-nous nous y habituer?
Sur les courts trajets de moins de 15 minutes aux heures de pointe, il n'y a souvent pas de places assises libres, comme dans un métro. Mais sur les trajets plus longs, nous voulons bien sûr que personne ne reste debout. En raison de notre système ouvert, qui ne nécessite pas de réservation, il n'est toutefois pas possible de le garantir à tout moment. C'est là que nous voulons intervenir, en faisant circuler plus de trains, de manière plus flexible, là où ils sont demandés.
Vincent Ducrot est CEO des CFF depuis environ quatre ans. Auparavant, le Fribourgeois avait déjà travaillé pour la compagnie ferroviaire entre 1993 à 2011, dans le domaine de la gestion de projets. Jusqu'à ce qu'il soit nommé directeur général des Transports publics fribourgeois (TPF).
Sur le plan privé, Vincent Ducrot a dû affronter un drame en 2017: sa femme, avec laquelle il a eu six enfants, est décédée des suites d'une longue et grave maladie.
Vincent Ducrot est CEO des CFF depuis environ quatre ans. Auparavant, le Fribourgeois avait déjà travaillé pour la compagnie ferroviaire entre 1993 à 2011, dans le domaine de la gestion de projets. Jusqu'à ce qu'il soit nommé directeur général des Transports publics fribourgeois (TPF).
Sur le plan privé, Vincent Ducrot a dû affronter un drame en 2017: sa femme, avec laquelle il a eu six enfants, est décédée des suites d'une longue et grave maladie.
Sous votre égide, les CFF sont redevenus plus fiables. Mais votre prédécesseur Andreas Meyer maîtrisait mieux les finances. Vous êtes d'accord?
La comparaison n'est pas tout à fait juste: nous avons dû lutter pendant près de trois ans contre le Covid. Cela nous a coûté des voyageurs et beaucoup d'argent, environ trois milliards de francs. L'augmentation de l'endettement est presque exclusivement due à la pandémie. Cette année, nous avons à nouveau pu dégager un bénéfice. Cela nous réjouit, mais ça ne suffit pas.
Malgré tout, on a l'impression que vous investissez beaucoup d'argent dans l'infrastructure, le personnel et l'exploitation, et que vous spéculez sur le fait que la Confédération finira par payer la facture.
Ce n'est pas vrai, bien au contraire. Sous ma direction, nous avons pris des mesures en matière de coûts et d'efficacité: d'ici 2030, nous voulons dépenser six milliards de francs en moins. Les pouvoirs publics financent l'infrastructure et l'exploitation. Les CFF doivent investir de leur propre chef dans le matériel roulant et les gares. Nous sommes toutefois tenus de respecter le service public. Notre objectif n'est donc pas de réaliser un bénéfice aussi élevé que possible, mais d'offrir un service de qualité à nos clientes et clients.
Peter Füglistaler, chef de l'Office fédéral des transports (OFT), estime que vous n'accordez pas assez d'importance à l'autofinancement des CFF.
Peter Füglistaler a un point de vue différent du nôtre: il a l'impression que les chemins de fer se limitent à demander de l'argent public. Nous voulons remplir notre mandat le mieux possible, tout en évitant de contracter une énorme montagne de dettes. C'est ce que notre propriétaire, la Confédération, exige de nous.
Après l'annonce des résultats annuels, Peter Füglistaler s'est prononcé contre le fait que le Parlement vous accorde une subvention en capital unique de 1,15 milliard de francs pour réduire la dette. Si l'Assemblée fédérale venait à adopter cette position, quelles en seraient les conséquences?
Nous devrions renégocier nos objectifs financiers avec la Confédération. Nos dettes ont augmenté pendant la pandémie pour atteindre plus de onze milliards de francs. C'est nettement plus que ce que nous autorisent les directives. Nous ne pourrons pas réduire cette dette dans la mesure requise par nos propres moyens. Et pour pouvoir proposer l'offre des années à venir, des investissements massifs sont nécessaires. Le soutien de la Confédération est donc nécessaire, nous sommes heureux de chaque franc. Nous voulons à tout prix éviter que les CFF n'aient plus qu'à procéder à un redressement financier total.
Sur les CFF
Est-ce un risque réel?
Pas aujourd'hui, pas demain. Mais si nous continuons à agir comme nous l'avons fait ces dernières années, cela ne se passera pas bien. Nous devons assumer des coûts énormes, bien que nous fassions des bénéfices dans le trafic grandes lignes et avec nos biens immobiliers. Même 267 millions de francs d'excédent comme cette année, c'est trop peu pour réduire la dette et financer les investissements, par exemple dans de nouveaux trains. Pour être durable sur le plan économique, nous avons besoin d'un bénéfice de 500 millions de francs par an.
Vous exhortez donc les politiques à faire preuve de retenue dans la poursuite du développement de l'infrastructure.
Nous construisons pendant que les trains circulent. Notre système arrive à ses limites. Chaque franc que nous investissons dans l'extension entraîne des coûts subséquents de 3%, année après année. Un projet d'infrastructure d'un milliard de francs nous coûte donc 30 millions de francs par an, car nous devons maintenir les liaisons durant l'installation des nouvelles infrastructures ferroviaires. Nous devons donc réfléchir très attentivement aux domaines où le calcul coûts/bénéfices est correct. De plus, lorsque nous planifions l'installation de nouvelles infrastructures, nous devons avoir une vision globale. Nous ne pouvons pas simplement nous contenter de satisfaire les besoins locaux.
Vous demandez que l'offre de transports publics en Suisse soit à l'avenir «plus flexible, plus fréquente, plus rapide». En même temps, vous vous opposez à de nouveaux projets d'extension. Comment cela s'accorde-t-il?
Nous voulons introduire la cadence au quart d'heure sur l'ensemble du territoire suisse. Grâce à la numérisation, cela est déjà possible avec le réseau ferroviaire existant. Il n'est pas forcément nécessaire de construire de nouvelles infrastructures coûteuses, qui n'apporteraient que quelques secondes de gain de temps de trajet. Nous devons toutefois renoncer à des choses auxquelles nous nous sommes habitués au fil des ans: nous devrions desservir les centres de manière plus flexible et, s'agissant des petites gares, nous devons réfléchir à l'endroit où il serait judicieux qu'un train s'arrête.
Et comment les pendulaires vont-ils arriver devant leur porte?
Nous devons développer les transports publics locaux et miser davantage sur les trams, les bus à la demande ou ce que l'on appelle le Light Rail. Le tramway de la vallée de la Limmat entre Zurich-Altstetten et Spreitenbach (AG) montre que cela peut fonctionner. Ce nouveau tramway est très bien exploité. Parallèlement, le réseau ferroviaire dont nous avons besoin pour garantir la cadence au quart d'heure est délaissé. Notre objectif est de permettre aux voyageurs de faire leur trajet porte à porte plus rapidement. Le train est un transport fort sur les moyennes et longues distances.
Un tel changement de paradigme nécessite une planification globale. Qui doit mettre en place les transport publics du futur?
C'est l'OFT qui en est responsable. Toutefois, une étroite collaboration avec les cantons, les villes ainsi que les petites et grandes entreprises de transport est nécessaire. Avec nos idées, nous souhaitons lancer un vaste débat sur le rail à partir du milieu du siècle.
C'est le problème: en Suisse, beaucoup trop d'acteurs ont leur mot à dire dans la planification des transports. Non seulement la Confédération, les cantons, les villes et les CFF, mais aussi 250 entreprises de transport et 18 communautés tarifaires.
Les chemins de fer suisses sont un modèle de réussite, ce que l'étranger nous envie. Notre fédéralisme et les processus de démocratie directe sont un défi. Mais je suis convaincu qu'il est possible de réformer ensemble les transports publics en Suisse. Pour cela, nous devons avoir le courage de réfléchir à des tabous comme le principe des nœuds ferroviaires.
Quel est le rôle du ministre des Transports Albert Rösti dans ce contexte? Jusqu'à présent, il a surtout fait parler de lui à propos du tournant énergétique, de la SSR et du loup.
Albert Rösti connaît très bien les chemins de fer et nos idées d'avenir. Il s'en est occupé de façon intense. Je suppose donc qu'il s'impliquera davantage dans ce débat le moment venu.