Nicola Di Giulio, député de l’Union démocratique du centre (UDC) au Grand Conseil vaudois, ne fait pas partie de celles et ceux qui, une fois confortablement assis sur leur fauteuil en plénum, se font tout petits durant la législature. Le franc-tireur qui est par ailleurs élu au Conseil communal (législatif) de Lausanne vient de sortir une drôle d’idée de son chapeau: jumeler la capitale cantonale avec Paksé, au Laos. Un État communiste dirigé par un parti unique et sous lequel la situation des droits de l’homme n’est pas tout rose.
Pour arriver à ses fins, l’enquêteur de police de formation a déposé un postulat — dont certains passages sont largement pompés sur Wikipédia — lors d’une récente séance de l’organe délibérant lausannois. Son texte a été renvoyé en commission. Une démarche farfelue, en clin d’œil au Parti socialiste qui règne en maître dans la cité olympique? Pas du tout. Nicola Di Giulio est on ne peut plus sérieux.
En témoigne son invitation adressée aux autorités fédérales, cantonales, communales, à la presse et au Comité international olympique. Cette missive aux allures très officielles donne rendez-vous à qui veut à Vers-chez-les-Blanc, le 16 novembre, à 17h.
La soirée, au code vestimentaire décontracté mais élégant, promet la présence de l’élu conservateur et de Latsamy Keomany, ambassadeur et représentant permanent de la République démocratique populaire lao auprès de l’Office des Nations unies et des autres Organisations internationales à Genève (ONUG). Fait piquant: Nicola Di Giulio a dû s’emmêler les pinceaux puisqu’il signe le document en tant que «Conseiller municipal de Lausanne». La vraie Municipalité appréciera.
Le PS toussote
Qu’en pense-t-on du fond et de la forme du projet de l’UDC? Contacté par Blick, Louis Dana ne cache pas sa lassitude. «La coopération internationale et les jumelages entre villes sont évidemment des pistes importantes à suivre pour les collectivités publiques, amorce le chef du groupe socialiste au Conseil communal. Mais dans le cas présent, Monsieur Di Guilio semble avoir tout fait dans le désordre. D’abord, en matière de coopération internationale, ce sont selon moi plutôt les Exécutifs qui doivent prendre des contacts. Je ne suis pas certain que la démarche de Monsieur Di Guilio ravisse la présidente du Conseil d’Etat Christelle Luisier Brodard ou le syndic Grégoire Junod, quand bien même Monsieur Di Guilio se fait appeler Conseiller municipal dans l’invitation adressée.»
La figure du parti à la rose grince des dents: «Le fait d’organiser une réception dont l’invitation a tous les atours de l’officialité – drapeau suisse, drapeau vaudois, signatures officielles – est pour le moins particulier. L’élégance aurait au moins été d’attendre la tenue de la commission qui doit traiter ce postulat et son éventuel renvoi à la Municipalité de Lausanne. Sa date n’a même pas encore été fixée!»
La droite sort la sulfateuse
Même son de cloche du côté du Parti libéral-radical (PLR). «La manière de procéder de Monsieur Di Giulio qui envoie une invitation pour un évènement aux autorités fédérales, cantonales, communales, à la presse et au CIO, avant même que la commission n’ait pu discuter du sujet, ne me semble pas adéquate, voire carrément cavalière», lance Anouck Saugy, conseillère communale lausannoise.
Cette dernière enchaîne les piques avec malice: «S’agissant du Laos et de Paksé, je doute que nous puissions réellement imaginer un 'pont entre les continents', comme le demande le titre du postulat de Monsieur Di Giulio. Le Laos est une république socialiste à parti unique où le pouvoir est concentré entre les mains du parti révolutionnaire populaire (PRPL). Le Laos n’a pas de véritable multipartisme et ne prévoit pas d’élections libres et concurrentielles puisque tout est contrôlé par le même parti. Or, le Groupe PLR est d’avis qu’un jumelage ne peut être considéré que si les deux villes en question partagent des valeurs communes. Ce n’est clairement pas le cas ici (même si le parti socialiste est très fort à Lausanne).»
Plus déconcertant, l’élu UDC ne semble même pas convaincre au sein de ses propres rangs. «Je me permets de vous répondre en ma qualité de chef du groupe UDC au Conseil communal, nous écrit Valentin Christe. Le postulat dont il est question a été déposé par Monsieur Di Giulio en son nom propre; l’UDC Lausanne n’y est associée d’aucune manière. Il sied de préciser que les membres du groupe UDC n’en ont pas été informés au préalable, contrairement à notre procédure interne habituelle.»
Mais qu’en pense-t-il personnellement? «Sur le fond, je ne suis pas absolument convaincu que cette démarche s’inscrive au plus près des préoccupations les plus urgentes des Lausannois concernant leur ville (deal, mendicité, toxicomanie, etc.), mais nous savons bien que le Conseil communal de Lausanne est le réceptacle de la créativité parfois débridée des conseillers communaux. Pour le surplus, je confesse n’avoir toujours pas exactement saisi pour quelle raison il conviendrait que Lausanne se jumelât avec Paksé plutôt qu’avec une autre ville, mais je ne désespère pas de le découvrir prochainement.»
Di Giulio persiste et signe
On l’aura compris: le grand projet de Nicola Di Giulio a peu de chances d’aboutir. Comment accueille-t-il ces réactions pour le moins défavorables? «Dans un contexte où certains élus semblent faire preuve de circonspection face à de nouvelles initiatives, il est essentiel de s’interroger sur l’importance des relations internationales, estime-t-il. Il est déplorable que certains se concentrent uniquement sur leurs préoccupations locales, négligeant ainsi des perspectives plus larges.»
L’ancien président du législatif lausannois ironise: «Il est compréhensible que des idées, particulièrement celles qui ne proviennent pas de la gauche, puissent être perçues comme hors de propos. Cependant, il est crucial de souligner que l’appartenance politique ne doit pas limiter la sensibilité à des appels au rapprochement. Lausanne, par son engagement européen, a toujours favorisé les rencontres et la coopération, notamment avec ses villes jumelles d’Akhisar (Turquie), Osijek (Croatie) et Pernik (Bulgarie). Le projet de jumelage avec Paksé, une charmante ville du Laos, représente une occasion en or pour renforcer ces liens. Ce partenariat pourrait également offrir aux Laotiens vivant à Lausanne un sentiment d’acceptation et d’écoute, contribuant ainsi à une meilleure intégration.»
Toujours d’après lui, il serait également étonnant de constater «le manque de suivi de l’actualité vaudoise par certains conseillers communaux». «La récente visite d’une délégation laotienne au Parlement vaudois illustre pourtant l’importance de ces relations internationales, argumente-t-il. Ce jumelage s’inscrit dans une volonté de promouvoir l’harmonie à travers le sport et de célébrer des valeurs communes. Il est temps de mettre en lumière ce projet et de l’explorer de manière approfondie.»