Le groupe Swatch et les responsables de la ville sont nerveux
La tension monte à Bienne, toujours enchaînée au destin du groupe Swatch

En tant que ville qui abrite l'industrie d'exportation horlogère, Bienne souffre: le marché asiatique achète de moins en moins de montres suisses, et cela se répercute sur la santé financière de la région. Bienne aurait-elle dû se détacher d'entreprises comme Swatch?
Publié: 28.07.2024 à 09:41 heures
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Dernière mise à jour: 28.07.2024 à 09:59 heures
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Bienne est considérée comme une ville horlogère. Les grandes entreprises Swatch Group et Rolex y offrent des emplois.
Photo: Linda Käsbohrer
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Joschka Schaffner

Les aiguilles de l'horloge Omega près de la place centrale de Bienne tournent depuis longtemps. Le panneau auquel elle est accrochée raconte l'histoire de la ville horlogère. Omega, «synonyme d'excellence et d'innovation depuis 1848», appartient aujourd'hui à Swatch Group, l'entreprise qui a sauvé la ville au début des années 80. A l'époque, l'Asie a inondé l'Europe et la Suisse de montres bon marché et a poussé la fière industrie horlogère suisse – ainsi que l'Arc jurassien – au bord de la ruine.

Aujourd'hui, c'est à nouveau la Chine qui met les horlogers en difficulté. Non pas en tant que pays fabricant, mais en tant qu'acheteur. Le marché asiatique s'affaiblit. Au premier semestre, le chiffre d'affaires de Swatch Group a chuté de 14,3% et les bénéfices de presque trois quarts.

Bienne et la Chine sont étroitement liés

Entre Bienne et Pékin, il y a environ 8000 kilomètres. Et pourtant, les villes sont plus proches qu'on ne le pense. Et pas seulement parce qu'à quelques mètres de la petite Omega de la place centrale de Bienne, ce n'est pas une autre montre analogique suisse qui indique la date et l'heure, mais des petites lampes LED d'Extrême-Orient.

Le marché international et la ville de Bienne, qui abrite principalement des entreprises d'exportation, sont étroitement liés. Cette relation se remarque tout particulièrement lorsque l'industrie horlogère rencontre des difficultés. La petite ville bilingue de Bienne est en effet lente à se libérer de la dépendance envers ses deux géants de l'horlogerie, Rolex et Swatch Group, qui rapportent des millions chaque année à la ville.

«Si un petit virus sévit sur le marché de l'exportation, nous tombons tous instantanément malades ici», image Urs Stauffer, qui a été administrateur des impôts de Bienne pendant une quinzaine d'années jusqu'en 2021. Dans un café, cet homme de 71 ans explique à Blick comment la politique biennoise a raté le virage de sa transition.

Une dépendance au marché d'exportation horloger

Il est clair depuis longtemps que la ville dépend fiscalement des marchés d'exportation et de l'industrie horlogère. Les autorités n'ont pas su s'adresser à d'autres secteurs économiques plus résistants à la crise. Et aujourd'hui encore, elles ne montrent aucune volonté de changer cela. «C'est ce que je reproche aux responsables de la ville.»

A peine 300 mètres plus loin, le maire Erich Fehr et le directeur des finances Beat Feurer reçoivent Blick pour un entretien. Après une courte promenade dans la vieille ville de Bienne, ils prennent place dans une salle de réunion de la direction.

Le mauvais semestre de Swatch Group ne les fait pas trembler. «Quand l'industrie horlogère va mal, ce n'est souvent qu'à court terme, nous ne sentons pas d'urgence», explique Erich Fehr.

Beat Feurer ajoute que dans le domaine de l'exportation, il y a toujours des marchés qui s'affaiblissent. Il laisse néanmoins transparaître une légère critique à l'égard de Swatch. La concurrence genevoise se porte en effet à merveille. «Rolex s'est positionnée différemment de Swatch Group. Mais c'est une décision de l'entreprise. Nous n'avons aucune influence là-dessus.»

La situation pourrait empirer à Bienne

Le patron du groupe Swatch Nick Hayek est d'ailleurs nettement critiqué pour ses décisions, et cela se répercute sur le cours de la bourse. Les actionnaires reprochent à la direction de s'en tenir à la voie choisie malgré la crise et de ne pas vouloir supprimer d'emplois. Un changement de direction est même réclamé. «Les critiques nous encouragent d'autant plus à poursuivre la mise en œuvre de notre stratégie», a rétorqué Nick Hayek en début de semaine dans le «Bieler Tagblatt».

«La critique a toujours été présente», affirme le directeur des finances Beat Feurer. Pour la ville, ce qui se passe en bourse n'est pas important, mais ce sont la disparition des emplois et l'effondrement des recettes fiscales qui inquiètent. Le Swatch Group se veut néanmoins rassurant en réitérant l'importance pour eux du site de Bienne, comme l'écrit l'entreprise à la demande de Blick: «Des investissements de plusieurs centaines de millions ont été réalisés ces dernières années.» Entre autres dans un prestigieux bâtiment qui sera le nouveau siège principal, ainsi qu'un nouveau bâtiment de production. Et à l'avenir aussi, le groupe veut continuer à investir.

Nick Hayek et le Swatch Group se montrent confiants dans leur capacité à redresser la barre au second semestre. Si cela ne se produit pas, cela pourrait aussi avoir des conséquences fiscales. «J'imagine que la ville pourrait connaître une année relativement difficile», déclare l'ex-administrateur des impôts Urs Stauffer. En effet, Bienne tire une part importante de ses impôts sur les entreprises de l'industrie horlogère. L'administration municipale n'est pas en mesure de répondre à quel pourcentage de cette somme provient effectivement de la poche de Rolex et du Swatch Group, déclare Beat Feurer. Il manque des chiffres sur les différentes entreprises.

Bienne sait parfaitement à quel point Swatch et Rolex sont importantes pour le budget fiscal, rétorquent plusieurs sources bien informées à Blick. Les deux entreprises représentent presque la moitié des recettes fiscales annuelles des personnes morales.

Un endettement élevé malgré les grands groupes

Malgré l'argent des groupes horlogers, Bienne est fortement endettée. Près d'un milliard de francs. La ville est au milieu d'un programme d'économies. Les impôts sont élevés. Et la ville compte autant de bénéficiaires de l'aide sociale par habitant qu'aucune autre en Suisse. C'est aussi une conséquence de l'industrie horlogère: elle a fait en sorte que ce soient surtout des personnes à faibles revenus qui s'y installent.

De ce côté-là au moins, la situation s'améliore: les recettes fiscales augmentent, surtout ces deux dernières années. Mais Bienne a quand même clôturé l'année 2023 avec un bilan peu positif, malgré un déficit budgété.

Ces dernières années pourtant, de plus en plus de personnes à haut revenu sont venues s'installer. «Nous avons lancé une campagne dès 2017 pour que les Biennoises et les Biennois incitent les personnes extérieures à venir s'installer ici.» «Bienvenue à Bienne» devait permettre de récolter 10 millions de francs d'impôts supplémentaires en l'espace d'une décennie. «Les chiffres montrent que cela fonctionne», affirme le maire Erich Fehr.

Le parc d'innovation comme solution?

Les avis sont toutefois partagés sur la raison de la venue de ces gens. Pour Urs Stauffer, c'est la diminution de l'espace habitable dans d'autres villes. Pour Erich Fehr, cette implantation est la preuve d'une promotion économique qui fonctionne. «Bienne reconnaît les besoins actuels. C'est pourquoi nous avons créé le parc d'innovation avec le canton et la Haute école spécialisée bernoise il y a onze ans. C'est une de nos mesures les plus importantes.»

Le parc d'innovation de Bienne est l'un des cinq sites en Suisse qui associent des institutions scientifiques à des partenaires industriels. La question de savoir s'il est la bonne solution pour la ville reste controversée. «Il n'apportera guère de valeur ajoutée, réplique Urs Stauffer. On y fait de la recherche et du développement. Il est illusoire d'espérer que cela crée de nombreux emplois qui auront un impact fiscal.»

Le maire Erich Fehr feuillette la pile de papiers qui se trouve devant lui. Sur l'une des feuilles, on peut voir les logos des entreprises qui ont choisi Bienne comme site d'implantation ces dernières années. L'entreprise industrielle schaffhousoise Georg Fischer, par exemple. Ou l'entreprise technologique Harting, qui va prochainement s'agrandir. «Là où la ville est sollicitée et où elle peut faire quelque chose, nous avons fait ce qu'il fallait», affirme-t-il.

La ville ne voit pas de dépendance

Urs Stauffer voit les choses différemment concernant le lien entre la ville et l'industrie horlogère. «Si nous additionnons le total des recettes fiscales dans les zones industrielles uniquement, c'est tout simplement insuffisant à mon avis.»

Certaines voix pointent un autre problème: plusieurs entreprises qui se sont installées à Bienne ces dernières années profitent encore si massivement d'allègements fiscaux qu'elles ne doivent verser à la ville que quelques milliers de francs par an.

Erich Fehr et Beat Feurer ne veulent toutefois pas voir de dépendance vis-à-vis des entreprises horlogères. «Mais c'est évidemment sûr, les grandes entreprises horlogères sont importantes pour Bienne. Elles sont un modèle pour toute une industrie.»

Le maire sortant – Erich Fehr ne se représentera pas à l'automne – semble préférer minimiser les problèmes plutôt que de les nommer. «Parfois ça monte un peu, parfois ça descend un peu. Les Biennoises et les Biennois vivent avec cela. Cela ne nous empêche vraiment pas de dormir», s'exclame-t-il en riant. Il feuillette à nouveau le dossier qui se trouve devant lui et finit de s'extasier devant les grandes entreprises qui ont rejoint le parc d'innovation.

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