Le tremblement de terre en Turquie a presque totalement disparu des médias. Quelles sont les informations que nous ratons actuellement.
L’intérêt des médias diminue malheureusement rapidement lors de telles catastrophes. Mais la misère ne s’arrête pas lorsqu’une opération de sauvetage prend fin. Au moment où nous parlons, 25 membres du Corps suisse d’aide humanitaire sont à l’œuvre en Turquie. C’est l’événement du siècle, une catastrophe aux proportions gigantesques.
Que font ces secouristes sur place?
Une équipe s’occupe des abris d’urgence. Les personnes touchées par le tremblement de terre ont peur de retourner dans leurs maisons. Nous construisons des abris, distribuons des couvertures. Nous avons reçu 300 tentes de notre entrepôt de matériel décentralisé à Dubaï, qui sont maintenant installées à Gaziantep. Nous soutenons également un hôpital qui manque de personnel et d’équipement.
La Chaîne suisse de sauvetage, qui compte 78 membres et qui est spécialisée dans le sauvetage et les premiers soins médicaux aux personnes ensevelies après un tremblement de terre, est intervenue pour la première fois durant votre mandat. Vous étiez en vacances. Cela vous fait-il mal au cœur?
Ça m’a vraiment attristé! On peut comparer cela au pompier qui attend d’éteindre un incendie. Mais bien sûr, personne n’espère la misère.
Comment avez-vous suivi les événements?
J’étais sur un voilier, quelque part au large. Si j’avais du réseau, je contactais mes collègues. C’est là que j’ai compris que tout se passait comme sur des roulettes. Fin mars, je prendrai ma retraite – désormais, on n’a plus besoin de moi. L’épreuve du feu est réussie.
Lorsque la Suisse prend parti, comme en Ukraine par exemple, cela complique votre travail. Qu’est-ce que cela signifie pour les personnes qui portent secours?
La Suisse jouit d’une grande crédibilité au niveau international. C’est essentiel, car sans cela, l’aide humanitaire est impossible. L’impartialité et la neutralité sont les fondements du travail humanitaire. La neutralité dans le contexte humanitaire signifie que celui qui a besoin d’aide doit en recevoir une, qu’il s’agisse d’un acteur du conflit ou de l’autre.
La misère vous préoccupe depuis 30 ans maintenant. Comment cela vous a-t-il changé en tant qu’être humain?
Parfois, je me sens comme Sisyphe: nous construisons quelque chose et le lendemain, c’est à nouveau bombardé. Cela ne conduit pas à la résignation, mais à la frustration. Le droit international est violé tous les jours en Ukraine, à seulement douze heures de route du siège genevois du Conseil des droits de l’homme de l’ONU. J’ai donc dû apprendre à redéfinir le succès: je ne peux pas résoudre seul les problèmes des Kurdes, mais peut-être ceux de cette famille kurde qui, grâce à notre travail, a de nouveau accès à l’eau potable.
Vous avez commencé votre carrière comme juriste à la Paradeplatz de Zurich, pourquoi le milieu bancaire vous a-t-il semblé trop étroit?
Depuis mon enfance, je voulais devenir avocat. Une fois que je l’ai été, ça ne ressemblait pas à ce que j’avais imaginé. Puis j’ai eu de la chance: je suis tombé sur une annonce dans le «Tages-Anzeiger». Le CICR cherchait un juriste. Le droit international m’avait toujours fasciné, mais il ne permet pas de gagner de l’argent sur la Paradeplatz. En lisant l’annonce, j’ai tout de suite su: «That’s it, c’est ce que je veux faire». Mon père était bien sûr horrifié: «Tu veux sauver le monde maintenant?» J’ai décroché le contrat et depuis, je ne l’ai jamais regretté.
Dans quoi vous êtes-vous engagé à l’époque?
Dans un travail qui a du sens et qui est très gratifiant, mais qui a aussi un certain prix. Il faut faire très attention à ne pas devenir un drogué de la crise. Quand les balles sifflent à nos oreilles, cela déclenche des montées d’adrénaline. À la longue, ce n’est pas bon pour la santé.
Où avez-vous vécu de près cette pluie de balles?
Dans les Balkans, pendant le siège de Sarajevo par exemple, au début des années 1990. Le chemin de l’aéroport au centre-ville passait par ce qu’on appelle la Sniper Alley, la ruelle des tireurs d’élite. Nous étions à bord d’un char à roues. Les snipers s’amusaient à nous tirer dessus. Leurs cartouches ne pouvaient rien contre nos véhicules, ils voulaient probablement juste nous faire peur.
Ces rencontres se passaient-elles toujours aussi bien?
Pendant la première guerre de Tchétchénie, nous avons construit un hôpital un peu à l’extérieur de Grozny. La nuit du 16 décembre 1996, des gens armés ont escaladé la clôture et ont abattu froidement six de nos recrues. Aujourd’hui encore, on ne sait pas qui était derrière ces meurtres.
Comment surmonte-t-on une telle horreur?
Parmi les victimes figuraient des infirmières que j’avais personnellement engagées. Cela fait maintenant plus de 20 ans – je ne pourrai jamais oublier cette tragédie.
Vous sentez-vous responsable?
Oui, bien sûr! C’était ma délégation. La sécurité est ma priorité absolue. Après l’attaque en Tchétchénie, nous sommes partis immédiatement. Un an et demi de travail a été détruit en une nuit.
Vous ne vous êtes jamais demandé ce que vous faisiez ici?
Il suffit d’entrer une fois dans une maison détruite et de rendre visite à la famille qui vit dans sa cave. Regarder dans les yeux angoissés des enfants. Ces rencontres me motivent à changer les choses: avec un petit effort, l’aide humanitaire a souvent un grand impact!
Pour pouvoir apporter une aide humanitaire, vous devez aussi vous asseoir à la table des méchants. Comment négocie-t-on avec eux?
Si cela sert la cause humanitaire, je suis prêt à parler aussi avec le diable. Pour faire passer un convoi de médicaments à travers une zone de combats, par exemple. Il faut alors séparer l’humanitaire du politique. Au Congo, un chef rebelle m’a un jour demandé: «Eh toi, pourquoi la paix est-elle meilleure que la guerre?» Je lui ai répondu que son objectif ne pouvait tout de même pas être que les habitants de son pays, y compris son propre peuple, soient exposés à une souffrance durable. Il faut toutefois veiller à ne pas devenir un missionnaire.
Comment gagne-t-on la confiance des parties en conflit?
Par une présence et un bon réseau. Cela implique de pouvoir s’ouvrir à d’autres cultures et habitudes. Il faut donc investir du temps et de la patience, boire de nombreuses tasses de thé ou même parfois quelques verres de vodka – dès dix heures du matin.
Après dix ans passés à la Direction du développement et de la coopération, vous prendrez à la fin du mois une semi-retraite. Vous vous présentez maintenant comme vice-président de la Croix-Rouge suisse. L’organisation humanitaire est en crise, elle est considérée comme divisée. Pourquoi voulez-vous vous lancer dans cette aventure?
C’est le travail humanitaire qui me fascine. Avec ma longue expérience dans le domaine et mes contacts, je pourrais très bien m’investir. À la Croix-Rouge, je ne veux pas être un conseiller que personne n’écoute. J’aimerais participer activement à l’organisation.