Le naufrage du Vibiscum Festival, révélé par Blick, fait couler beaucoup d’encre. À quelques jours de sa 3e édition, qui devait se tenir du 30 mai au 2 juin, l’organisation a confirmé son annulation. Du jamais vu, s’étrangle Michael Drieberg, directeur de Live Music Production et patron de Sion sous les étoiles.
Selon l’organisateur bien connu des Romandes et des Romands, «les errements» de l’événement veveysan fait mal à l’ensemble de la profession. En outre, ce spécialiste du monde du spectacle dézingue William von Stockalper, le boss du Vibiscum Festival, et l’exhorte à rembourser les personnes ayant acheté un billet aujourd’hui caduc. Interview sans — aucune — langue de bois.
Michael Drieberg, la leçon principale du fiasco du Vibiscum Festival, c’est qu’il faut être organisateur professionnel pour organiser des trucs avec succès?
Ouais, ce qui était déjà une évidence l’est encore plus. Vibiscum Festival, c’est la chronique d’un naufrage annoncé. Le festival était mort-né.
Qu’est-ce qui vous permet de dire ça?
Le minimum n’y était pas. Déjà, le site. Je trouve que c’était n’importe quoi de la part de Vevey de donner une autorisation à un festival de cette ampleur à côté de la ville de Montreux et donc du Montreux Jazz.
À lire aussi
La région n’aurait pas pu, au contraire, profiter du dynamisme amené par un nouvel acteur conséquent?
Non, impossible avec une manifestation qui ambitionnait de réunir plusieurs dizaines de milliers de personnes. Le public n’est pas extensible. Il y aurait forcément eu de la déperdition d’un côté ou de l’autre. Et puis, la place du marché de Vevey… On se rappelle qu’un concert d’Eros Ramazzotti, prévu en 2010, avait été annulé après avoir fait un flop. Mais bon, il est visiblement plus facile de dire que d’autres nous ont mis des bâtons dans les roues que d’assumer son échec.
Vous faites allusion aux propos de William von Stockalper, qui avait affirmé dans «L’Illustré» en juin 2023 qu’une trentaine de musiciens avaient refusé son offre après avoir été menacés par d’autres festivals. Vous avez menacé des artistes, Monsieur Drieberg?
(Il bondit) Mais non! Personne n’a fait ça, les choses ne se passent pas ainsi dans notre milieu. Ce qu’il s’est passé, c’est que quand vous arrivez après des festivals qui ont 20 ans, 30 ans, voire 40 ans d’histoire, les artistes et les agents ne vous donnent pas la priorité. C’est tout. Vibiscum Festival a essayé de contourner cette réalité en faisant fonctionner la planche à billets. Ils ont payé trop cher des artistes qui, du coup, sont venus. Mais sans réussir à remplir. C’est le drame.
C’était néanmoins ambitieux de miser gros tout de suite. Vous ne trouvez pas?
Ce qu’ils n’ont pas compris, c’est qu’on ne construit pas un festival comme ça. Un festival, c’est une organisation qui s’inscrit dans la durée. Au début, vous êtes en déficit. Je ne connais aucun festival dont ce n’était pas le cas. Puis, vous montez progressivement grâce au bouche-à-oreille. Après cinq ans, on regarde si vous êtes rentables ou non. À ce moment, soit on continue, soit on tire la prise.
C’est ce que vous avez vécu à Sion sous les étoiles?
On a commencé avec 7000 personnes, c’était catastrophique. Puis, l’année suivante, 15’000. Celle d’après, 30’000. Aujourd’hui, nous en avons 60’000. Mais ça nous a pris huit ans. Vous devez avoir les reins solides. Car, après avoir accumulé les pertes, il faut payer.
Dans le cas du Vibiscum Festival, qu’est-ce qui vous choque le plus?
Déjà, un festival annulé quelques jours avant son début, je n’ai jamais vu ça. Normalement, on va au bout puis, si nécessaire, on remet en question l’événement après. En agissant comme il le fait, l’organisateur crée du tort à tout le monde. Aux artistes pas entièrement payés, bien sûr, mais aussi aux fournisseurs. Je trouve qu’on ne parle pas assez d’eux dans cette affaire, c’est scandaleux! Ce comportement jette l’opprobre sur toute la profession. Heureusement, on n’est pas tous comme ça et on ne vit pas ce genre de chose tous les jours. Mais, à deux mois des festivals de l’été, cette affaire crée un climat désagréable.
Que craignez-vous?
Les billets se vendent parfois près de deux ans à l’avance. Si le lien de confiance est rompu entre les acheteurs et les organisateurs, c’est toute la profession qui souffre. Vibiscum Festival et ses errances nous font du mal à tous.
Quid des billets déjà vendus et dont on ne sait pas s’ils seront remboursés?
Je trouve cela indécent. C’est dingue, avec des sponsors comme Nestlé, qu’ils ne prennent même pas le temps de la réflexion et qu’ils osent glisser entre les lignes le jour même de l’annulation qu’ils ne rembourseront probablement pas les gens. Je croyais par ailleurs que William von Stockalper, qui est arrivé avec ses gros bras, avait de l’argent. Eh ben qu’il le sorte! On ne peut pas juste se dire que c’est foutu, qu’on ne paie personne et retourner s’occuper de son club de foot. C’est trop simple!
Il se murmure que William von Stockalper savait que faire de l’argent serait difficile avec Vibiscum Festival, ce n’était donc a priori pas son but. Quelle motivation l’a porté, selon vous?
Tous les patrons de foot tirent la langue et cherchent de l’argent. Ils sont très envieux de ce qu’a réussi à faire Christian Constantin avec sa choucroute, mais aucun n’arrive à faire la même chose. Peut-être qu’à Vevey quelqu’un s’est dit qu’en donnant les rênes à celui qui s’occupait du sponsoring du côté de Sion était une bonne idée.
Il y avait de quoi, non?
Avec un business plan un petit peu sérieux, n’importe qui aurait vu qu’investir trois ou quatre millions de francs à risque dans un festival avait plus de chance de couler un club de sport que de lui remplir les poches. C’était de la folie.
Cette affaire pose aussi la question des profils hors norme. Le succès dans l’événementiel d’un Claude Nobs, cuisinier de formation, et d’un Daniel Rossellat, mécanicien-électricien/animateur socioculturel/journaliste, ce n’est plus possible?
L’époque n’est plus la même, mais précisons tout de même que Claude Nobs était aussi le directeur suisse de Warner. Ce n’est donc pas grâce à ses talents derrière les fourneaux qu’il a réussi ce qu’il a réussi. Ensuite, je suis même plus radical: un nouveau grand festival dans la région, avec un budget de cinq à 20 millions de francs, c’est ça qui n’est plus possible aujourd’hui. Il n’y a plus la place.