Ce lundi, le Conseil national doit voter pour ou contre l'entrée en matière du projet d'action collective. Attention! Il ne s'agit pas de football ou autre sport d'équipe. Non, l'action collective dont on parle ici consiste en la possibilité légale pour plusieurs personnes ayant subi un même dommage de se regrouper pour demander ensemble des indemnisations devant un tribunal, comme c'est déjà le cas chez nos voisins européens, mais aussi aux Etats-Unis, au Canada, au Mexique, au Brésil, en Argentine, en Australie, au Japon, en Corée du Sud, en Afrique du Sud, etc…
Le conseiller national socialiste vaudois Roger Nordmann estime que cette lacune du droit suisse n’a que trop duré: «Les consommateurs et consommatrices sont de plus en plus confrontés à de grands groupes internationaux face auxquels il est très difficile de faire valoir ses droits. En plus, les transactions d’achats de biens et de prestations se font de plus en plus par internet, ce qui rend le contact informel très difficile. Dans ce contexte, la possibilité d’une plainte collective est donc un contrepoids indispensable et urgent à mettre en place. C’est tout simplement une question de bon fonctionnement des marchés.»
Aujourd'hui, pour défendre de manière générale ses droits civils devant les tribunaux suisses, mieux vaut être riche, voire très riche. Car l'accès effectif à la justice demeure limité pour les Helvètes lambda, alors que la situation s'est améliorée dans l'Union européenne selon les observateurs des droits de l'homme. L'intégration dans le droit civil du principe d'action collective dans le droit suisse permettrait de diminuer cette inégalité de traitement et, accessoirement, de confirmer que la Confédération partage bel et bien les valeurs démocratiques du monde libre…
La droite fait barrage
Mais voilà, une bonne partie de la droite, constamment éperonnée par les organisations faîtières de l'économie qui détestent cet instrument, font barrage depuis plus de dix ans à ce projet considéré pourtant par de nombreux experts comme une version très modérée de l'action collective. Rien à voir, par exemple, avec les fameuses class actions américaines et les dédommagements astronomiques qu'elles peuvent permettre d'obtenir parfois. Le projet, qui pourrait être enterré par le Conseil national ce lundi 17 mars, tiendrait plus de la simple mise à niveau dans un monde où les malversations et les escroqueries sévissent plus jamais à des échelles industrielles et planétaires.
«Cette opposition est encouragée par les milieux économiques, surreprésentés par la droite du parlement, qui défendent les vendeurs et les importateurs. Et ceux-ci n’ont pas envie que les consommateurs soient mieux protégés. Le fonctionnement équitable du marché ne les intéresse pas. Mais j’espère me tromper», estime Roger Nordmann, démissionnaire du Conseil national et qui vit donc ces jours sa dernière session parlementaire.
La Chambre du peuple décidera du sort de cette loi
L'aspect le plus troublant, pour ne pas dire le plus suspect, de ce projet de loi, c'est son âge! Cela fait douze ans que ce mécanisme est en discussion à Berne. Et en 2021, après que le Conseil fédéral eut enfin adopté le projet et le message relatif à l’action collective (intitulé Action des organisations et transaction collective), ce fut au tour de la Commission des affaires juridiques du Conseil National de faire jouer d'interminables prolongations à ce projet de loi, en demandant encore et toujours des rapports complémentaires avant de se prononcer.
Ce que fit finalement ladite commission en octobre dernier mais en refusant l'entrée en matière sur le projet de loi. Et c'est ainsi que la chambre dite «du peuple» décidera ce lundi si ce même peuple mérite ou non de pouvoir défendre de manière plus solidaire et donc plus efficace ses intérêts face à des entreprises possiblement véreuses et leurs escouades d'avocats d'affaires, comme c'est déjà le cas pratiquement dans tous les pays développés et démocratiques.
Projet au ralenti depuis la démission de Simonetta Sommaruga
A l'époque c'est la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga qui s'était beaucoup engagée pour faire avancer ce dossier face aux forces temporisatrices. La socialiste était d'autant plus motivée qu'avant d'entamer sa carrière politique, elle avait elle-même été directrice de la Fondation pour la protection des consommateurs en Suisse allemande.
Avec la démission, fin 2022, de Simonetta Sommaruga, ce dossier a perdu son seul véritable soutien au gouvernement. Et c'est notamment la conseillère nationale Verte vaudoise Sophie Michaud-Gigon, secrétaire générale de la Fédération romande des consommateurs (FRC), qui fait tout son possible pour maintenir en vie à Berne le projet de l'action collective.
«Pour répliquer à la campagne d’Economiesuisse dans la NZZ, je m'efforce avec des collègues de défendre l'excellente documentation fournie sur des années par l’administration et le Conseil fédéral sur le projet d'action collective. Je tiens énormément à ce projet qui ne constitue aucunement un danger pour l'attractivité économique de ce pays et qui permettra simplement aux lésés de se défendre alors qu’aujourd’hui, ils y renoncent souvent par manque de moyens financiers. Le statu quo ne profitera qu'aux entreprises qui violent le droit, en un mot qu'aux tricheurs!»
Plusieurs scandales auraient pu finir en plainte collective
Et la secrétaire générale de la FRC de rappeler que l'action collective aurait permis aux personnes lésées et vivant en Suisse de défendre leurs droits dans de nombreuses affaires retentissantes. Dans le désordre, citons le scandale VW qui a touché 175'000 propriétaires de voitures en Suisse avec leurs véhicules émettant bien plus de CO2 que ce que la marque allemande prétendait sournoisement.
C'est aussi Philips et ses respirateurs soupçonnés de contenir des produits chimiques nocifs. C'est encore le scandale de prothèses de hanches qui concernent plus d'un millier de cas en Suisse ou encore celui des implants mammaires (plus de 300 cas). Sans oublier la faillite de Lehman Brothers pour laquelle l’introduction d’une action collective contre Crédit Suisse aurait peut-être contribué à obtenir plus rapidement une indemnisation pour les lésés en Suisse, qui avaient été mal conseillés par la banque et avaient perdu tout ou partie de leurs économies.