La rentrée arrive, les classes sont pleines. Ou presque. Dans la mêlée, il manque peut-être un élément essentiel au cours: une enseignante ou un enseignant… diplômé. Car cette année, les effectifs des écoles alémaniques ont eu du mal à être complétés, si bien que certains cantons engagent des personnes non titrées. Comme à Berne, où environ une ou un professionnel sur 10 n’a pas de diplôme.
En comparaison, les établissements romands ne sont pas à plaindre: la grande majorité des enseignantes et enseignants primaire ont été engagés sans devoir faire de concessions particulières sur leur formation. Mais certains cantons ont tout de même eu davantage de difficulté que d’autres à mettre une personne adulte devant le tableau noir, a appris Blick.
Au ras des pâquerettes
À Neuchâtel par exemple, si la rentrée «s’est très bien déroulée», le marché reste «relativement tendu», explique Jean-Claude Marguet, chef du Service de l’enseignement obligatoire. Celui-ci évoque une difficulté «dans la dernière ligne droite» pour recruter.
Le canton a misé sur du personnel à temps partiel ou des jeunes retraités pour compléter ses effectifs. À titre d’exemple, en 2021-2022, environ 2,5% des personnes embauchées n’ont pas de diplôme. Pour 2022-2023, les chiffres ne sont pas encore disponibles, mais devraient être proches.
La situation est similaire en Valais. «On l’a vu venir, assure Jean-Philippe Lonfat, responsable du Service de l’enseignement. Il y a eu la réforme de la CPVAL (ndlr: La Caisse de prévoyance du personnel de l’Etat du Valais), dans laquelle nous avons réussi à éviter un nombre élevé de départs anticipés. Parallèlement nous avons pris d’autres mesures anticipatoires.»
Lesquelles? «Nous avons notamment augmenté les effectifs d’entrée à la HEP Valais. Mais le Haut-Valais a tout de même dû faire appel à quatorze étudiants en fin de formation. Ceux-ci travaillent sous la responsabilité d’enseignants expérimentés.»
Le canton de Fribourg, quant à lui, a des difficultés à recruter depuis plusieurs années et de façon plus marquée dans la partie germanophone du canton. Celui-ci communiquera les chiffres officiels d'ici quelques jours. Le problème serait structurel, explique, Marianne Meyer Genilloud, porte-parole de la Direction de la formation et des affaires culturelles.
Elle souligne, entre-autres, l’introduction de la deuxième année d’école enfantine sur l’ensemble de son territoire il y a une dizaine d’années (créant une centaine de classes supplémentaires), couplée à l’entrée en vigueur de la loi sur la scolarité obligatoire. Cette dernière a incité des enseignants à quitter leur poste pour rejoindre des directions d’établissement.
Un effet post-pandémie?
La situation est moins tendue pour les cantons de Vaud, du Jura ou de Genève, qui n’ont pas eu de difficultés particulières à recruter. Et ce n’est peut-être pas le fruit du hasard. «Nous faisons un travail important pour promouvoir les formations et le métier d’enseignant», appuie Laetitia Progin, adjointe à la direction de la formation de la HEP Vaud. À l’image du canton de Vaud, la solution se cache peut-être dans une promotion plus accrue du métier.
Mais remplir les bancs des étudiants en sciences de l’éducation n’est peut-être pas suffisant pour éviter un manque de professionnelles et professionnels à l’avenir. Certaines étudiantes et étudiants ne postulent plus directement après avoir obtenu leur diplôme. «Ils préfèrent parfois des remplacements à un poste fixe, constate Jean-Philippe Lonfat. D’autres encore choisissent de poursuivre leur formation à l’université. C’est la première fois que je remarque une telle tendance.»
Le chef du Service de l’enseignement valaisan présuppose aussi un effet post-pandémie sur la jeune génération fraîchement diplômée: celle-ci souhaiterait voyager ou faire un master ailleurs avant de commencer à travailler.
«Si rien ne change, nous irons vers une pénurie»
À cela, s’ajoutent les difficultés de la profession. Certains enseignantes et enseignants primaires semblent au bord du burn-out. «Le temps n’est pas élastique», souffle Manon*, qui travaille dans les classes vaudoises depuis 8 ans. Elle rebondit: «Je vois beaucoup de collègues qui craquent. Ils ne se reconvertissent pas forcément, mais prennent une autre fonction, ou se forment pour aller en enseignement spécialisé…»
Le métier devrait-il être revalorisé? La question ne semble pas simple. Il y a 26 systèmes éducatifs différents, rappelle Laetitia Progin, adjointe à la direction de la formation de la HEP Vaud. «La problématique devrait aussi être traitée en fonction du canton, car les réalités ne sont pas forcément les mêmes, au niveau entre autres du statut et des salaires.»
«Le plus gros problème, ce sont les enseignants qui arrêtent, ou qui baissent leur taux d’activité», explique Philippe Martin, responsable des secteurs de l’enseignement et du social au syndicat SSP. Celui-ci demande entre autres une réduction des tâches à côté de l’enseignement et une baisse du nombre d’élèves dans les classes. «Si rien ne change, nous irons vers une pénurie.»
La revalorisation de la profession pourrait donc davantage se faire en ciblant le temps et la charge de travail plutôt que d’envisager des hausses de salaire. C’est en tout cas ce que compte faire le Canton du Valais: «Nous travaillons justement sur cet aspect, qui vise à donner plus de temps pour encadrer les élèves», indique encore Jean-Philippe Lonfat, réaffirmant au passage qu’enseigner est un métier difficile qui demande des compétences multiples.
*Nom connu de la rédaction