Faute de professeurs qualifiés en Suisse, les écoles engagent des personnes sans diplôme d'enseignement. La pratique, qui se cantonnait jusque-là à des petits postes ou des remplacements, est en train de prendre de l'ampleur.
L'association faîtière des enseignantes et enseignants suisses (LCH) suit cette évolution avec inquiétude. La présidente de l'association, Dagmar Rösler, a parlé assez franchement lors d'une conférence organisée pour la rentrée scolaire qui se profile. La qualité de l'enseignement est en grand danger. Souvent, on ne peut plus parler d'éducation, mais seulement d'encadrement. «Si j'apprenais que ma fille est confiée à un enseignant sans formation, je ne sais pas si je pourrais encore bien dormir», se désole la présidente.
«Un bon contact avec les élèves ne suffit pas»
Les paroles de Dagmar Rösler traduisent la crainte de voir sa propre profession dévalorisée. Pour Katharina Maag Merki, 58 ans, spécialiste des sciences de l'éducation à l'université de Zurich, une chose est sûre: il y a tout lieu de s'inquiéter. «Je suis tout à fait d'accord avec Madame Rösler. La recherche montre clairement que c'est l'enseignant qui détermine si les élèves peuvent apprendre ou non. Sa compétence professionnelle est centrale», assure la professeure. Elle-même a suivi autrefois une formation d'enseignante primaire, a donné des cours pendant plusieurs années et a été présidente de la Société suisse pour la recherche en éducation.
«Un enseignant doit savoir comment transmettre des connaissances, comment soutenir l'apprentissage, détaille Katharina Maag Merki. Quelqu'un sans formation pédagogique a peut-être un bon contact avec les élèves, mais cela ne suffit pas lorsqu'il s'agit d'atteindre des objectifs d'apprentissage.» Même un cours accéléré, tel que celui proposé par les Hautes écoles pédagogiques face à la situation d'urgence, ne suffit pas.
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La pandémie a aggravé les choses
L'association des enseignants tire la sonnette d'alarme et assure que la pénurie d'enseignants n'a jamais été aussi grave. Katharina Maag Merki se montre quant à elle plus modérée: «Il y a toujours des années où il y a pénurie.» L'année actuelle cumule toutefois de nombreux problèmes. «Lors de la pandémie de Covid-19, les écoles étaient à la limite. Et maintenant, il y a aussi la crise ukrainienne. Cette combinaison rend les choses très difficiles», concède l'universitaire.
Katrin Messerli Kallen, coprésidente de l'association des directeurs d'école de Berne, affirme que de très nombreux enseignants proches de la retraite en ont eu assez après la période sévère de pandémie. «Ils sont épuisés et ont pris une retraite anticipée», assène-t-elle.
D'après la directrice d'école, c'est une nouveauté dans le canton de Berne que des personnes non qualifiées soient également engagées pour des taux d'occupation plus importants, voire même comme professeurs de classe. De tels cas sont toutefois minoritaires. Seuls 9% des enseignants du canton n'ont pas de diplôme à faire valoir. Ce chiffre inclut également les personnes qui suivent actuellement une formation d'enseignant.
En outre, les autorités bernoises soulignent que les enseignants sans formation ont en moyenne des taux d'occupation nettement inférieurs et que la majorité d'entre eux ne sont engagés que pour une durée limitée.
Des taux d'occupation bas, plus de problèmes
C'est précisément dans les cantons qui se plaignent actuellement de la pénurie d'enseignants que le taux d'occupation moyen est très bas. Dans les cantons de Berne, d'Argovie et de Soleure, il est inférieur à 60%, selon le rapport sur l'éducation de 2018. Les taux d'occupation bas, de 50% ou moins, sont nettement moins répandus en Suisse romande qu'en Suisse alémanique – où la pénurie d'enseignants est nettement moindre.
Katharina Maag Merki estime qu'il est judicieux que les temps partiels soient autorisés, mais qu'un taux d'occupation moyen inférieur à 60% est nettement trop bas. «Les écoles ont aussi le pouvoir de créer un environnement de travail attrayant», assure la spécialiste.
Mais pour remédier durablement à la pénurie d'enseignants, elle estime que c'est surtout à la politique d'agir. La formation doit par exemple être améliorée en permanence et il faut faire en sorte que les enseignants restent plus longtemps en poste. «Nous ne parvenons pas encore à mettre sur pied un système éducatif dans lequel tous les enfants sont encadrés par des professeurs formés, déplore l'universitaire. Quand on sait à quel point l'éducation est importante pour un pays, surtout pour un pays comme la Suisse, c'est une catastrophe.»