Une nouvelle journée de grève et de manifestation est prévue ce mardi dans la fonction publique vaudoise. Souvenez-vous. Après un premier coup d’éclat en décembre, entre environ 3000 (selon la police) et plus de 4000 (selon les syndicats) personnes avaient défilé dans les rues lausannoises, le lundi 23 janvier. Aujourd’hui, la demande est toujours la même: une indexation entière des salaires.
La raison détaillée de cette troisième mobilisation, qui débutera par un défilé, dès 17h30, depuis la place du Château, à la Cité à Lausanne, en direction du Département des finances à la rue de la Paix? Les syndicats et le Conseil d’État s’écharpent sur les mesures à prendre pour permettre aux fonctionnaires de faire face à l’augmentation du coût de la vie.
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Pour mémoire, le 8 décembre dernier, le gouvernement a fixé le taux d’indexation à 1,4%, hausse assortie d’une prime correspondant à 0,8% du salaire pour les classes 1 à 10 — jusqu’à 116’000 francs par an — du personnel de l’État. Ce qui équivaudrait en réalité à une diminution cachée des salaires, selon les syndicats, puisque l’Office fédéral de la statistique calcule le taux d’inflation à 2,8%.
Peu avant d’aller battre le pavé, Raphaël Ramuz, secrétaire syndical au Syndicat des services publics (SSP), tape du poing sur la table. Il dénonce, dans un entretien accordé à Blick, les arguments «fallacieux» du Conseil d’État et des partis de centre-droit. Et refuse catégoriquement que les grévistes soient qualifiés de «privilégiés». Interview.
Raphaël Ramuz, vous serez combien, ce mardi soir, à crier sous les fenêtres du Château Saint-Maire?
Je ne peux pas vous le dire avant d’y être et d’avoir compté les manifestantes et manifestants. Mais cette mobilisation devrait être encore plus importante que la précédente, puisque aux établissements scolaires s’ajoutent désormais d’autres institutions, comme le CHUV, le Centre d’accueil Malley-Prairie et l'Université de Lausanne. On voit que notre action essaime. Différents acteurs du social ont saisi l’organe de conciliation pour pouvoir faire grève. Les commissions du personnel de sept hôpitaux régionaux ont adopté une résolution. On part sur une grosse vague de contestation à l’égard de la politique du gouvernement Luisier (ndlr: la libérale-radicale Christelle Luisier est la présidente du Conseil d’État vaudois).
Vous dénoncez les arguments «fallacieux» du Conseil d’État et de la présidente du Parti libéral-radical vaudois, Florence Bettschart-Narbel, qui s’est exprimée dans nos colonnes. Pouvez-vous argumenter?
Nous avons publié un fact-checking qui reprend point par point les contrevérités du gouvernement Luisier et de l’Alliance vaudoise (ndlr: l’UDC, le PLR et le Centre). En substance, nous rappelons que le Conseil d’État a choisi de ne pas consulter les organisations syndicales et de fixer un taux d’indexation de 1,4%. Un taux qui est largement plus bas que les taux adoptés par l’écrasante majorité des autres Cantons, y compris par les Cantons bien plus pauvres que Vaud.
Quoi d’autre?
Pour défendre ses décisions, le gouvernement parle «d’une approche globale». Mais il mélange en réalité des pommes, des poires et des clés à molette. Mettre dans le même panier le taux d’indexation de 1,4%, une prime de 0,8% — que tout le monde ne touchera pas et qui est unique — ainsi que les annuités (ndlr: la progression salariale annuelle d’un employé de la fonction publique), c’est malhonnête. Et c'est d’ailleurs une assimilation que la plupart des Cantons ne font pas. De plus, il y ajoute des mesures qui sont absolument nécessaires, comme l’augmentation des régimes sociaux, mais pas suffisantes et totalement déconnectées de la question de l’indexation.
Au final, la réalité se mesure aussi en monnaie sonnante et trébuchante. Et, dans les faits, les fonctionnaires vont bel et bien être augmentés, non?
Ne pas décider la pleine indexation revient à une baisse de salaire. Cela signifie très concrètement que le gouvernement Luisier a décidé que le service public n’est pas sa priorité et que c’est aux salariées et salariés de payer les conséquences de la crise. C’est un choix que nous refusons et contre lequel nous allons lutter.
Sur le fond, vous êtes surpris que le Conseil d’État, à majorité de droite, applique une politique… de droite?
Surpris, non. En désaccord, oui. Il faut être clair: le Conseil d’État a décidé de dévaloriser le travail des salariées et salariés des services publics et parapublics du canton alors même que la loi lui permettait d’en faire autrement. Et, surtout, qu’il avait les moyens de permettre à ses employées et employés de conserver leur pouvoir d’achat. Au lieu de se cacher derrières des éléments de langage malhonnêtes, le gouvernement Luisier devrait assumer ses choix politiques afin qu’un vrai débat puisse avoir lieu.
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La majorité de gauche a été perdue parce que la socialiste Cesla Amarelle a été éjectée du Conseil d’État, à cause, notamment, de la grogne du monde enseignant et syndical. Vous reconnaissez votre part de responsabilité dans la politique que vous dénoncez aujourd’hui?
Je ne partage pas du tout votre analyse! Notre syndicat n’a pas pris part à la campagne et n’a appelé à voter pour ou contre personne. Il ne nous appartient pas de choisir notre employeur, nous ne sommes pas des faiseurs de rois. En outre, nous avons aussi critiqué durant la dernière législature l’action de la socialiste Rebecca Ruiz, tout comme celle de ministres de droite. Et ces personnes sont toujours là. Madame Amarelle n’a pas été réélue, c’est le jeu électoral. Nous luttons avec la même énergie pour nos conditions de travail, qu’importe qui est à la tête du département en charge.
Mais vous comprenez que vos revendications puissent susciter la grogne d’une partie de la population? Les fonctionnaires peuvent être perçus comme des privilégiés, surtout après la pandémie, où la sécurité de l’emploi leur a été garantie. Et là, il faudrait que celles et ceux qui n’ont pas eu cette protection — et qui n’auront, pour certains, pas d’augmentation du tout malgré l’inflation — vous soutiennent?
Attendez… Les employées et employés du secteur de la santé et du social ne pouvaient effectivement pas être virés immédiatement durant la pandémie. Mais, je crois que, pendant cette crise sanitaire, elles et ils ont quand même démontré leur utilité, non? Toutes ces personnes ont prouvé qu’elles étaient capables de beaucoup travailler, malgré des conditions difficiles.
Et donc?
Je ne pense pas que la sécurité de l’emploi durant la pandémie soit un argument pour dire aux salariées et salariés des services publics de calmer leurs revendications. Sans se focaliser sur les soignantes et les soignants, on peut aussi évoquer les enseignantes et enseignants, qui ont fait un suivi remarquable durant l’école à distance. Bref. Ce qu’a montré la pandémie, c’est la supériorité du service public sur l’organisation marchande de la satisfaction des besoins et l’absolue nécessité de l'organiser collectivement.
Dans vos revendications, pourquoi ne demandez-vous pas une pleine indexation pour tout le monde?
Pour tout le monde?
Eh bien pour toutes et tous, y compris dans le privé.
Mais… Bien sûr que, dans notre esprit, c’est ce que nous voulons et que nous sommes solidaires du secteur privé! Mais là, concrètement, nous nous adressons à un employeur qui est l’employeur étatique. Nous estimons par ailleurs que ce n’est pas en affaiblissant les salariées et les salariés du public et parapublic que cela aidera celles et ceux du privé. Au contraire.
Je reformule ma question: demanderez-vous, ce mardi soir, une pleine indexation pour tout le monde, y compris pour le privé?
Pour nous, encore une fois, la concurrence entre les salariées et salariés des différents secteurs n’a pas de sens. Nous soutenons tous les mouvements qui demandent une indexation pleine, ce soir y compris. Car les personnes dont le salaire n’est pas indexé sont celles qui paieront la crise économique. Et on ne voit pas pourquoi cela serait aux salariées et salariés de payer les pots cassés, comme le souhaite malheureusement le gouvernement Luisier.