La manifestation contre les violences sexistes et sexuelles qui a eu lieu il y a presque un an à Lausanne a-t-elle incité à la haine, au racisme et à la violence? C’est la conclusion surprenante à laquelle le Ministère public vaudois est arrivé, à la suite d’une dénonciation de la police lausannoise. Verdict: l’organisatrice de la manifestation pacifique est condamnée à payer 500 francs d’amende ou à cinq jours de prison, a appris Blick.
Comment en est-on arrivé là? Pour répondre à cette question, il faut revenir au 25 novembre 2021. Ce jour-là, environ un millier de personnes défilent dans les rues de la capitale vaudoise. Comme à chaque manifestation, les panneaux fleurissent et celles qui se qualifient de «féministes identitaires», le collectif Némésis, s’invitent dans la parade.
«Violeurs étrangers: expulsion»
Arrivées à la place Saint-François, quatre militantes du groupuscule brandissent une banderole sur laquelle est inscrit: «Violeurs suisses: prison. Violeurs étrangers: expulsion». Rapidement repérées, elles sont expulsées par des personnes présentes dans le cortège.
À quelques encablures, d’autres activistes sortent des panneaux bien connus des mouvements contestataires. On y lit «ACAB», pour «All Cops Are Bastards», soit, en français, tous les flics sont des bâtards.
Comment en est-on arrivé à une condamnation en bonne et due forme? L’organisatrice du rassemblement s’interroge encore. «Il y avait quelques policiers sur place qui ont assisté à la scène sans intervenir pour autant», explique-t-elle à Blick.
«À la fin, j’ai demandé aux policiers si tout était ok et ils m’ont répondu que c’était tout bon, poursuit la jeune femme. Leur seul souci: nos militantes chargées du bon déroulement du rassemblement n’étaient pas assez visibles selon eux». À noter que ces dernières portaient tout de même des gilets jaunes, afin de se démarquer des manifestants. En somme, rien ne laissait présager selon elle d’une potentielle plainte, encore moins venant de la police.
Propos haineux selon le Ministère public
Et pourtant, trois mois plus tard, l’organisatrice reçoit un mandat de comparution. On l’accuse de ne pas avoir respecté les exigences requises pour le bon déroulement des événements. «L’autorisation de manifester que j’avais signée stipulait qu’aucun écrit ou quelque support que ce soit qui pourrait heurter la sensibilité d’autrui ou exalter des idées de haine, de racisme ou de violence, ne serait toléré», précise la militante.
Le Ministère public détaille la procédure: «En sa qualité d’organisatrice, cette personne a fait l’objet d’une dénonciation de la police lausannoise pour insoumission à une décision de l’autorité, en raison de la présence des banderoles 'ACAB et 'Violeurs suisses: prison. Violeurs étrangers: expulsion'».
La condamnation est communiquée à l’organisatrice en juillet dernier: une ordonnance pénale stipulant la somme de 500 francs d’amende, convertible en peine privative de liberté de 5 jours. «Le Ministère public considère que tant la référence au renvoi de violeurs étrangers que le terme 'ACAB', sont propres à exalter des idées de haine, de racisme ou de violence», peut-on lire sur les documents officiels que Blick a pu se procurer.
Criminalisation des féministes de gauche?
La militante a décidé de faire recours et sera à nouveau convoquée en décembre. Le collectif de la grève féministe Vaud estime en effet qu’il s’agit là d’une tentative de répression d’un mouvement pour plus de justice et d’égalité.
«Je ne suis pas responsable des messages véhiculés par un groupuscule d’extrême-droite qui n’a pas été invité à participer à la manif du 25 novembre. C’est injuste. Quant aux panneaux ACAB, je n’en ai jamais brandi, mais tout comme le collectif, je respecte la liberté d’opinion et je soutiens les personnes qui mettent en lumière les violences policières», signale l’organisatrice.
D’autres militantes du collectif de la grève féministe Vaud notent que tout s’est toujours très bien passé avec la police jusqu’à maintenant, à quelques détails près. «Les autorités se montrent toujours plus restrictives, alors que toutes nos manifestations se passent de façon pacifique», nous confient certaines d’entre elles.
Némésis: les pros de l’infiltration
À noter que les membres de la vague violette certifient que les autorités ont été averties plusieurs fois du danger que représente le groupuscule Némésis.
Plusieurs d’entre elles ne se sont d’ailleurs pas privées de s’introduire dans d’autres rassemblements organisés par le collectif vaudois, comme le 8 mars 2022, lors de la Journée internationale des femmes, ou le 14 juin 2022, date à laquelle se déroule traditionnellement la grève féministe.
De leur côté, les membres de Némésis, auteures des banderoles condamnées, ont-elles été appréhendées pour leurs actions ou leurs propos? Pas du tout. Contactée par Blick, la porte-parole de la section suisse de Némésis confie n’avoir pas eu de problèmes avec les autorités. Une information confirmée par le Ministère public, qui indique que parmi les autres personnes présentes, une seule a fait l’objet d’une plainte d’un policier pour injure. La procureure a rendu une ordonnance de non-entrée en matière.