Malgré le prolongement du Statut S jusqu'en mars 2026, beaucoup d'Ukrainiens peinent à trouver du travail sur le marché suisse. Si la Confédération semble incapable d'atteindre les objectifs qu'elle s'est fixée en la matière, Adrian Gerber, délégué fédéral de l'intégration professionnelle des personnes réfugiées, explique pourquoi la situation est particulièrement compliquée en Suisse et propose des conseils aux personnes concernées.
Adrian Gerber, la Suisse est l'un des pays d'Europe qui compte le moins de personnes avec un statut S. Qu'est-ce qui ne va pas chez nous?
Les conditions sont différentes dans chaque pays. On ne peut pas comparer des pommes et des poires.
Mais pourquoi le taux d'activité des Ukrainiens en Suisse n'est-il que de 28,5%?
Il y a plusieurs obstacles pour intégrer le marché du travail, qui est hautement spécialisé. A cela s'ajoute le fait que l'anglais n'est guère reconnu sur le marché du travail suisse. Un autre obstacle est la garde des enfants.
Dans d'autres pays, où le marché du travail est également très spécialisé, le nombre de personnes qui travaillent est pourtant deux fois plus élevé.
Dans d'autres pays, de nombreux réfugiés travaillent aussi à des taux d'occupation plus bas et dans des branches telles que l'agriculture ou le nettoyage. Les obstacles à l'entrée y sont par ailleurs moins élevés.
Le Conseil fédéral souhaite que 40% des Ukrainiens travaillent d'ici à la fin de l'année. Il est d'ores et déjà clair que l'objectif ne pourra pas être réalisé.
Il y a un an, la Suisse se demandait encore si elle devait soutenir les Ukrainiens en quête de protection. En fixant un objectif de taux d'emploi de 40%, le Conseil fédéral donne un signal fort: nous voulons intégrer les Ukrainiens en Suisse.
L'annonce des 40% n'était donc qu'une politique symbolique...
Non. C'est un objectif stratégique qui met toute la Suisse à contribution: les cantons, les communes, les entreprises et les Ukrainiens. Tous doivent participer. La Confédération peut quant à elle apporter son soutien.
Le Conseil fédéral veut donc intégrer les Ukrainiens en Suisse. Sauf que le statut S est orienté vers un retour au pays.
Intégration et retour ne sont pas contradictoires. En apprenant une nouvelle langue, en travaillant ici et en élargissant leurs connaissances, les Ukrainiens renforcent leurs capacités. Cela aide notre économie, réduit les coûts de l'aide sociale et offre un avenir aux personnes qui ont fui leur pays, peu importe où elles se trouvent.
Le retour des Ukrainiens ne dépend-il pas de l'évolution de la guerre?
Oui, mais aussi du fait de savoir si la Suisse leur offre une perspective. Rester les bras croisés et laisser les Ukrainiens en plan serait la pire des choses. Il faut les soutenir, notamment pour qu'ils puissent un jour contribuer à la reconstruction de leur pays.
Le principal problème de l'intégration sur le marché du travail reste toutefois l'incertitude liée au retour. Une étude de l'Université de Neuchâtel affirme que c'est principalement pour cette raison que les employeurs n'engagent pas d'Ukrainiens.
Le Conseil fédéral a prolongé le statut de protection S jusqu'en mars 2026. Il a également décidé que les Ukrainiens exerçant une activité lucrative pourraient travailler en Suisse pendant douze mois supplémentaires, après la levée du statut S. A l'heure actuelle, il existe donc une perspective jusqu'au printemps 2027. Le Conseil fédéral a ainsi créé une sécurité de planification à moyen terme. C'est maintenant aux entreprises de prendre leurs responsabilités.
Que conseillez-vous à une personne ukrainienne qui ne reçoit que des réponses négatives, malgré de nombreuses candidatures?
Persévérer! L'intégration est un processus de longue haleine qu'il faut appréhender pas à pas. Pour mettre un pied sur le marché du travail, il faut tout d'abord commencer quelque part. Même si c'est de façon temporaire ou à temps partiel. La plupart du temps, le premier emploi est en dessous de ses propres qualifications. Il faut faire des concessions. C'est en s'accrochant qu'on peut progresser par la suite.
Les Ukrainiens devraient donc postuler chez McDonald's, par exemple?
Mais oui, pourquoi pas? L'important est d'acquérir une première expérience, de montrer son potentiel et de gravir ensuite les échelons. Récemment, j'ai parlé avec un Ukrainien qualifié qui a d'abord accepté un emploi dans le domaine de l'agriculture, avant de pouvoir retourner à nouveau dans sa branche, dans l'industrie financière. Pas à pas, c'est ainsi que fonctionne l'intégration.