Les hausses de loyer: soit on n'y comprend rien, et ça rend fou, soit on maîtrise, et ça désespère. D'ici à 2026, les locataires pourraient se retrouver confrontés à des augmentations de 10 à 15%. Le double bond du taux hypothécaire de référence est en grande partie responsable des maux des locataires.
Loyers hors de prix qui ne cessent d'augmenter, système complexe et peu accessible, boom général des coûts… Mercredi 10 avril, le Conseil fédéral a adopté un paquet de mesures pour, d'une part, modérer les loyers et, d'autre part, accroître la transparence des prix.
Traiter ce dernier point, c'est mettre le doigt sur le nœud du problème, pour des milliers de locataires. Malgré le calculateur en ligne mis à disposition par l'Association de défense des locataires (Asloca), bon nombre de Suisses ignorent leur droit. Ou ont tout bonnement peur de refuser une hausse de loyer, par peur d'être virés manu militari par la régie ou le proprio.
À lire aussi
Pourtant, un habitant de Prilly (VD) a gagné, fin mars, au Tribunal fédéral (TF). Aidé par l'Asloca, il avait notamment remarqué que son loyer était surfacturé d'environ 200 francs mensuels, pour… Une «vue dégagée sur le lac»!
La conseillère nationale socialiste Jessica Jaccoud est membre de l'Asloca Vaud. L'avocate commente pour Blick ce jugement du TF, et l'espoir qu'il représente pour les locataires étranglés. Interview.
Jessica Jaccoud, le jugement du locataire de Prilly va-t-il tout changer pour les 60% de locataires suisses?
Pour moi, ce jugement ne fait que confirmer ce qu'on sait déjà. D'une part, quand les locataires contestent leur loyer initial beaucoup trop élevé, ils ont de grandes chances de succès, et peuvent obtenir des sommes importantes de rétrocession.
Et d'autre part?
Que les bailleurs ont une capacité d'imagination sans faille pour contrer les droits des locataires. Il n'y a pas de limite à leur imagination, sauf le Tribunal fédéral.
Faire payer pour la vue, c'est illégal?
Pour calculer le prix d'un loyer, les critères prioritaires sont les coûts liés à l'immeuble et le niveau de rendement admissible pour le bailleur. La jurisprudence dit que les facteurs spéculatifs, «du marché», n'ont pas leur place dans ce calcul. Les coûts sont répartis parmi les logements, en fonction de leur taille. Être proche du métro, avoir une jolie vue ou être bien situé ne sont pas des critères qui entrent dans ce calcul.
Pourtant, tous les bailleurs utilisent ces critères, non?
Oui, c'est notamment pour cela qu'en 2023, les locataires ont payé 10 milliards de francs de loyer en trop! Les milieux immobiliers veulent changer cette méthode de calculs avec les deux initiatives «Egloff» (ndlr: du nom de l'ex-conseiller national de l'Union démocratique du centre Hans Egloff, président de l’Association des propriétaires fonciers). Elles visent à introduire des critères purement spéculatifs pour fixer les loyers, et sont actuellement en traitement par la Chambre basse.
Systématiquement, c'est au locataire de saisir la justice. Le législateur va-t-il agir pour simplifier ce processus? Peut-on imaginer un «Monsieur Loyer», comme «Monsieur Prix»?
Toutes les tentatives qui ont été portées au Parlement ont échoué. Toutes les propositions en matière de droit du bail, en faveur des locataires, sont refusées par 135 voix contre 65. Ça donne une idée du rapport de force! Les parlementaires de gauche ont essayé d'agir, mais cela ne passe pas face au lobby de l'immobilier qui est majoritaire.
Nous sommes donc fichus?
La seule solution, c'est l'initiative fédérale, et donc le vote du peuple.
L'Asloca est-elle proactive dans le lancement d'une telle initiative?
Nous sommes en phase de réflexion pour déterminer le contenu et lancer, justement, une initiative fédérale pour introduire un mécanisme de surveillance et/ou de contrôle des loyers. L'assemblée des délégués a donné ce mandat à l'Asloca Suisse.
D'ici à ce que l'on vote, les locataires ont peur de contester leur loyer, d'être mis sur des listes grises… Cela existe? C'est légal?
Cela fait des années que circule cette légende de listes noires qui empêcheraient un locataire de retrouver un logement s'il conteste son loyer une fois. Les gérances s'occupent de milliers d'appartements et de personnes. Ces entreprises se rachètent entre elles, il y a beaucoup de tournus parmi les gérants. Il me semble hautement improbable qu'il existe une liste secrète que personne n'aurait jamais vue.
Mais pourquoi cette crainte, alors?
Une pression folle repose sur les locataires qui souhaitent trouver un autre appartement. Les demandes des gérances pour correspondre aux critères de solvabilité sont toujours plus exigeantes. Il règne un vrai climat de psychose, que les régies ne font qu'alimenter. À titre personnel, j'ai contesté les loyers initiaux de plusieurs de mes logements et je n'ai jamais eu de soucis à déménager. Je veux vraiment faire passer un message rassurant.
Ne faudrait-il pas, justement, que les gens contestent en masse pour que les lignes bougent?
Évidemment! Regardez ce qu'il s'est passé quand les premières hausses de loyer ont commencé à pleuvoir, l'année passée. Les commissions de conciliation étaient débordées, elles ont dû engager du monde. Une vague massive de contestations engorgerait le système et aiderait à remuer les lignes.
La responsabilité revient encore aux locataires.
Les majorités qui nous gouvernent, le Conseil fédéral et le Parlement, ne font rien. Activement rien! Elles font des choix particulièrement propices aux bailleurs, au détriment des locataires qui ne sont pas entendus par les élites du pays.
En tant que parlementaire, membre de l'Asloca, socialiste… Quelles sont vos idées pour qu'on s'en sorte? Va-t-on louer des 3-pièces à 10'000 francs par mois?
La clé de toute cette histoire est dans les mains du peuple. Comme pour la rente AVS. Il faut que le peuple renverse la vapeur, dise «stop» aux élues et élus complètement déconnectés et vote contre les projets de loi que le milieu de l'immobilier veut nous proposer, et vote oui à la future initiative de l'Asloca. Seul un vote du peuple peut changer la donne. Il faut que les 60% de locataires se fassent entendre.