Le géant américain Vail Resorts et d'autres investisseurs étrangers sont en train de faire leurs emplettes en Suisse. Et les grands domaines skiables, dans lesquels une ou quelques personnes font la loi, sont particulièrement dans leur viseur. Après la révélation de Blick selon laquelle les Américains s'intéressent à Laax (GR) et Verbier (VS), le patron d'une autre station des 4 vallées, Jean-Marie Fournier, prend la parole. Celui qui dirige la station de Nendaz-Veysonnaz. Il ne veut pas laisser les Américains entrer dans son royaume. Interview.
Monsieur Fournier, Vail Resorts vous a-t-il récemment contacté pour vous proposer d'acheter votre domaine skiable de Nendaz-Veysonnaz?
Pas directement. Mais je sais que Verbier a été contacté à plusieurs reprises par le passé et au sein du groupement des 4 Vallées, j'ai toujours eu vent de négociations.
L'offensive de Vail en Suisse a-t-elle pris son origine lors de la reprise des remontées mécaniques d'Andermatt-Sedrun en 2022?
Vail Resorts a depuis longtemps des visées sur la région. Il y a plus de dix ans, j'ai assisté à un dîner au cours duquel un premier échange a eu lieu. Ils se sont informés sur nos pratiques commerciales.
Verbier s'oppose jusqu'à présent à une vente. Qu'en est-il pour vous?
Je suis clairement opposé à la vente de nos domaines skiables à des investisseurs étrangers. Je regretterais que nous perdions le contrôle d'infrastructures qui sont essentielles au développement économique et touristique de nos régions.
En quoi sont-elles essentielles?
Le tourisme offre aux habitants de la montagne la possibilité de vivre chez eux, il fait vivre les Alpes. Pour cela, il doit rester en mains locales. De plus, en Suisse, nous avons déjà perdu beaucoup trop de contrôle sur des secteurs économiques importants, surtout en Valais!
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Pourtant, on pourrait se dire que des investisseurs étrangers peuvent aider à préserver des domaines skiables en difficulté financière et donc des emplois...
Peut-être. Mais les nouveaux propriétaires ont-ils la capacité de répondre à des besoins qui ne sont pas intéressants pour eux, mais qui sont importants pour le domaine skiable et la région? L'argent gagné ira-t-il aux dividendes ou aux investissements en faveur de l'économie régionale? À l'époque, je me suis opposé avec succès à une grande expansion de la Compagnie des Alpes (CdA) française en Suisse. Aujourd'hui, ils ne sont plus là. Et à Nendaz comme à Verbier, où la CdA était impliquée, nous nous portons toujours bien.
Tous les grands domaines skiables fonctionnent pourtant en fonction du rendement. Les grandes stations sont-elles particulièrement visées?
J'ai entendu dire que Vail Resorts cherchait aussi des domaines skiables plus petits et qu'il cherchait à discuter non seulement avec de gros actionnaires, mais aussi avec des communes, qui sont souvent représentées dans l'actionnariat.
Pouvez-vous citer des noms?
De nombreux grands groupes, et pas seulement Vail, lorgnent sur les petites stations de ski. C'est de notoriété publique, comme le montre l'exemple de Grächen et Belalp en Valais. Un groupe d'investisseurs franco-suisse veut y exploiter l'ensemble du domaine skiable.
Imaginons que Verbier soit vendue à Vail Resorts. Que se passera-t-il alors avec Nendaz-Veysonnaz?
Je peux décider moi-même. De mon côté, je ne vendrai pas. Nendaz-Veysonnaz peut très bien survivre seule. En revanche, nous pouvons aussi nous imaginer coopérer avec Vail Resorts, comme nous le faisons actuellement avec d'autres.
Tout n'est donc pas qu'une question de prix? On dit que les caisses de Vail Resorts sont bien remplies et que le groupe sait se montrer généreux...
Il est certain que certains vendront si le prix est correct. Mais ce n'est pas le seul critère. Depuis quelques années, les sports d'hiver sont sur-réglementés par les autorités. La politique nous rend la vie vraiment difficile, avec d'innombrables obligations et des lois qui empêchent les décisions dynamiques des entrepreneurs. Certains en ont assez. Cela pourrait stimuler les ventes. Et déclencher ainsi un effet domino.
Le poids des mesures que vous évoquez pourrait-il vous faire changer d'avis sur une vente à terme?
Non. Il s'agit de préserver notre patrimoine culturel. L'évolution actuelle m'attriste, ou plutôt m'inquiète. Pour ma part, je me battrai avec acharnement pour rester indépendant. Nous avons suffisamment de moyens pour cela. Mon attachement à l'entreprise et à la région va au-delà de l'aspect purement économique.