L'herbe est encore humide de la nuit et l'air frais de la montagne annonce l'automne sur la Lenzerheide (GR). Le tintement des cloches des vaches se mêle au murmure du ruisseau à côté du pâturage. Tatja Murghuev, 19 ans, s'approche du troupeau de vaches doucement, mais d'un pas décidé. Quelques animaux s'éloignent en bondissant, trois s'arrêtent. Tatja lève le bras et caresse le ventre d'une vache. Elle parle calmement à l'animal et s'agenouille. Puis, elle prend un trayon de la mamelle dans sa main et le comprime comme pour la traite. «Les tissus sont souples au toucher», dit-elle. Un durcissement pourrait être le signe d'une inflammation et la vache aurait besoin de médicaments.
Tatja est originaire de Géorgie. Elle a grandi à Chalisopeli, un village situé dans l'une des régions montagneuses les plus reculées du nord-est du pays. Le village s'est éteint, car la plupart des habitants partent pour la ville au moment de la retraite. La vallée est nichée dans des collines verdoyantes et entourée de hautes montagnes. Sa famille possède une ferme avec des vaches, des chèvres, des chevaux et des poules. Ils pratiquent l'agriculture et produisent du fromage pour leur propre consommation. Avec leurs machines, ils ne peuvent pas produire de grandes quantités. Bien que la moitié de la population géorgienne soit active dans l'agriculture, la plupart des paysans ne gèrent que de petites exploitations qui servent à l'autosuffisance. Ils manquent de savoir-faire et de matériels de qualité. C'est pourquoi Tatja est venue en Suisse.
«J'espère apprendre le plus possible»
Dans la ferme grisonne, elle apprend ce qu'il faut pour qu'une exploitation soit économiquement rentable. Elle séjourne pendant une semaine chez Domenico et Rebeca Margreth, qui ont tous deux 31 ans. Le couple dirige une exploitation avec 20 vaches laitières, dix veaux ainsi que 600 poules pondeuses et trois chevaux. «J'espère apprendre le plus possible chez eux pour pouvoir le mettre en pratique à la maison», dit Tatja.
Le traitement des vaches est différent, remarque déjà la jeune fille de 19 ans: «En Géorgie, les paysans traitent très mal leurs animaux, ils se soucient peu de leur santé.» Chez Domenico et Rebeca, elle a tout de suite senti qu'il en allait tout autrement.
Le savoir suisse en Géorgie
Les collègues de Tatja, Shotiko, Lela, Sandro et quatre autres jeunes, âgés de 18 à 30 ans, sont répartis dans d'autres fermes des Grisons. Chez eux, ils fréquentent la Swiss Agricultural School Caucasus pour devenir paysans et paysannes. L'école a ouvert ses portes l'année dernière à Sarkineti, un village du sud de la Géorgie. Son objectif: apprendre aux jeunes Géorgiens le métier de l'agriculture et leur offrir une formation.
L'école Caucasus dispose d'un bâtiment avec des salles de classe où les jeunes reçoivent des cours théoriques. L'étable, la station de traite, le champ pour les cultures ainsi que la fromagerie et les machines basées sur la technologie suisse sont presque plus importants. Un troupeau de 30 vaches de la race Brune, originaire de Suisse, paît dans le pâturage qui fait également partie de l'école. En novembre 2021, Tatja et ses camarades de classe ont été la première promotion à commencer leur formation de deux ans. Elle ne peut pas s'imaginer une vie sans animaux: «Mon rêve est d'avoir un jour ma propre ferme et peut-être plus tard de faire une formation de vétérinaire.»
Si le secteur agricole du pays du Caucase progresse, c'est grâce à un homme: Mikho Svimonishvili, l'ancien ministre de l'Agriculture de Géorgie. Il a étudié en Suisse et a ensuite fréquenté, lors d'un séjour professionnel, l'école d'agriculture Plantahof à Landquart (GR) - l'une des plus grandes écoles professionnelles pour agriculteurs de Suisse, qui forme et perfectionne chaque année plusieurs centaines d'agriculteurs.
Le ministre a été impressionnée. «Lorsque j'ai vu cette école, il m'a tout de suite semblé évident que mon pays avait pareillement besoin d'un tel centre de formation», dit-il. Cette vision ne l'a plus quitté. Après sa carrière politique, il s'est engagé pendant des années en faveur du projet. Lorsque son idée a reçu le soutien financier de la fondation Gebert-Rüf, qui promeut des projets au profit de l'économie et de la société suisses, ainsi que de la Direction du développement et de la coopération, l'école d'agriculture a pu être construite sur le modèle du Plantahof.
«Les animaux nous donnent beaucoup en retour»
Sur Lenzerheide, le soleil se déplace de plus en au zénit, surplombant les sommets. Sa chaleur chasse l'air frais de la matinée. Après avoir contrôlé les mamelles des vaches au pâturage, Tatja retourne à l'étable pour s'occuper des poules pondeuses. Elle frappe prudemment à la porte pour ne pas effrayer les poules. Aussitôt, elles se mettent à caqueter bruyamment. Lentement, Tatja entre dans le poulailler.
En un instant, elle est entourée d'une mer de plumes. Elle prend une poule dans ses bras et blottit sa tête contre son cou. Après la séance de câlins, Tatja répand du foin sur le sol pour qu'il reste sec. «Si on traite bien les animaux, ils nous rendent beaucoup», dit-elle. Quand on lui demande ce qu'elle trouve fatigant à la ferme, elle réagit en riant et dit: «Rien.» Se lever tôt chaque jour est également une évidence pour elle. «Je ne pourrais jamais faire la grasse matinée si je sais que les vaches ou les poules ont faim.»
En Géorgie, tous les jeunes n'ont pas un lien aussi fort que Tatja avec les animaux et l'agriculture. Selon Svimonishvili, environ 80% des garçons font des études, la formation professionnelle étant considérée comme secondaire. Selon lui, cette attitude date de l'époque où la Géorgie faisait partie de l'Union soviétique. «L'École du Caucase a le potentiel de révolutionner l'attitude des jeunes», affirme-t-il.
Je veux montrer qu'une formation professionnelle offre également de bonnes possibilités de carrière.» Son objectif est de former une centaine de personnes à l'école d'agriculture au cours des dix prochaines années. Parmi elles, certaines pourraient devenir maîtres d'apprentissage et transmettre leur savoir à la prochaine génération.
«C'est bien d'être utile»
La Géorgie a besoin du soutien de la Suisse, explique l'ex-politicien. «Les jeunes paysans doivent comprendre l'importance d'une production hygiénique et de qualité du lait et du fromage.» Ils doivent en outre apprendre de la culture du travail suisse. Dans ce contexte, l'ancien directeur adjoint de l'école, Carl Brandenburger, joue un rôle important. Il a longtemps travaillé comme enseignant à la Plantahof. Aujourd'hui à la retraite, il participe à l'élaboration des programmes scolaires pour l'école Caucasus.
Selon lui, il est agréable d'être utile: «La première fois que je suis allé en Géorgie et que j'ai vu la chaleur des gens, je n'ai pas pu faire autrement que de m'engager dans ce projet.» Il se rend à Sarkineti tous les deux mois. Comme les professeurs de l'école d'agriculture viennent généralement de l'université, il les aide à transmettre leur savoir aux élèves de manière pratique et compréhensible. Dans l'étable, il contrôle si les machines sont en bon état, et dans les champs, il montre aux apprentis comment clôturer le pâturage.
En novembre dernier, à la première rentrée, il a donné les premiers cours de l'école. «Sur une table, j'ai placé de la nourriture et, à côté, un tas de déchets, explique-t-il. J'ai ensuite expliqué aux élèves que les canettes en aluminium et les emballages en plastique qui traînent partout ici rendent les animaux malades.» En allant voir les animaux après les cours, certains élèves ont commencé à ramasser les déchets. «En l'espace d'une semaine, tout était propre», explique l'ancien professeur. Bien que ce ne soient pas les élèves, mais les travailleurs qui ont laissé les déchets derrière eux, il est important, selon lui, d'apprendre aux jeunes ce que signifie un environnement sain pour les animaux de la ferme. Ce n'est qu'ensuite qu'il pourra leur montrer comment fonctionne une machine à traire.