Darijo P.* est au chômage depuis trois mois. À la suite de sa perte d'emploi liée à un licenciement collectif, il entend dire que l'entreprise NNA-Bau GmbH chercherait du monde. Effectivement: quelques jours plus tard, Darijo P. reçoit un contrat de travail et une perspective de salaire: 36,10 francs bruts par heure. Il n'hésite pas et signe.
Mais quatre mois plus tard, la NNA le licencie sans préavis. Problème: Darijo P. n'aurait pas reçu son dernier salaire mensuel et les salaires précédents ne lui auraient été que partiellement versés: «Mon patron me doit plus de 14'000 francs», se plaint Darijo.
Le patron en question, un certain Luan S.*, embauche 12 à 14 personnes, exclusivement des Européens de l'Est sans connaissances linguistiques: «Notre patron nous envoyait sur différents chantiers pour l'aider. Nous ne le voyions pratiquement jamais», se souvient Darijo.
Des salariés «prêtés» à d'autres entreprises
Les employés de Luan S. donnaient généralement un coup de main à d'autres entreprises. Plusieurs de ces chantiers appartenaient à une entreprise spécialisée dans les façades, dans le canton de Zoug: «J'étais déstabilisé parce que nous ne travaillions que pour d'autres entreprises», explique Darijo P, qui précise que lors de son embauche et dans son contrat de travail, rien de tout ça n'avait pas été mentionné.
Le spécialiste des façades explique aujourd'hui à Blick que NNA agissait en tant que sous-traitant. Une pratique apparemment courante, car les entreprises de construction sous-traitent certaines tâches à d'autres entreprises. Ces sous-traitants sont donc engagés pour un travail précis.
Ueli Greub, chef du secteur Placement et location de services au Secrétariat d'Etat à l'économie (Seco), explique: «L'entreprise sous-traitante exécute la mission définie de manière autonome. Elle donne des instructions concrètes à ses collaborateurs, met du matériel à disposition et contrôle les heures de travail.»
Le patron de NNA n'est presque jamais sur le lieu de l'intervention: «C'est le chef de chantier de l'entreprise spécialisée dans les façades qui me donnaient les instructions» précise Darijo.
Un de ses collègues, Gergo V.*, a également travaillé pour NNA et montre à Blick ses décomptes d'heures: tous ont été signés par un collaborateur de l'entreprise ayant mandaté NNA.
Pas de présence, pas d'instructions, pas de contrôle... La NNA est-elle vraiment une sous-traitante? Ueli Greub du Seco explique que, de manière générale, «si le droit de donner des instructions revient à l'entreprise cliente, on peut considérer qu'il y a location de services. Cela est soumis à autorisation».
Le patron a lui-même près de... 200'000 francs de dettes
Contrairement à un sous-traitant, une entreprise de location de services doit donc demander une autorisation au canton. Le patron de l'entreprise doit, en outre, ne pas avoir de casier judiciaire ni de poursuites.
Or selon le registre du Seco, Luan S. ne dispose pas d'une telle autorisation. Et pour cause: il est endetté. Blick dispose en effet d'un extrait de son registre des poursuites datant de 2021, ainsi que le détail de ses dettes fiscales et de ses factures d'assurance-maladie impayées. Soit plus de 200'000 francs au total!
«Il ne me payait mon salaire que lorsque je passais personnellement à son bureau pour le lui demander» se souvient Darijo P. Et dans tout ça, les cotisations lui semblaient arbitraires.
Blick dispose d'un versement effectué par Luan S. à Darijo P. Selon ce document, Darijo P. a reçu un salaire net de 30 francs par heure. Or dans son contrat de travail, un salaire brut de 36,18 francs par heure était convenu. Le mystère reste donc entier concernant les 30 francs perçus par Luan.
Sur demande insistante, Luan S. a fini par remettre à Darijo P. une fiche de paie. C'est là que l'employé a constaté que les 30 francs qui lui avaient été versés étaient inscrits en salaire brut. Les cotisations pour les assurances sociales étaient également déduites. Par conséquent, Darijo P. n'avait plus droit qu'à 26,56 francs nets, au lieu de 30: «J'étais complètement perdu» répond l'ouvrier.
«Je vais me battre pour mon droit»
Pire: le numéro de sécurité sociale de Darijo P. n'était pas indiqué sur le décompte. Les cotisations que Luan S. a déduites sur le papier ne peuvent donc même pas être versées.
C'est d'ailleurs le souci rencontré par Gergo V.*, un autre employé de NNA: «Je n'avais même pas de contrat de travail !» Gergo V. réclame lui aussi une fiche de paie. Celle-ci montre que Luan S. lui verse un salaire horaire de 23,57 francs bruts. Or, le salaire minimum fixé par la convention collective de travail est de 26,90 francs.
Le patron de NNA n'a pas souhaité s'exprimer. De son côté, l'entreprise spécialisée dans les façades indique: «Nos sous-traitants sont tenus par contrat de respecter le droit en vigueur, les conditions de travail et les salaires minimaux sans exception». Aucune autre infraction n'a toutefois été relevée.
Fin novembre 2023, NNA a fini par licencier Gergo V., après six semaines de travail sans contrat.
Darijo P., lui, a été licencié sans préavis, par oral, début novembre 2023. Sur la base de son contrat de travail et du décompte de ses heures, il aurait droit à un total de 26'628 francs. Il a reçu à peine 12'400 francs, comme le prouvent ses fiches de paie: «Je vais me battre pour mon droit», dit l'ex-salarié, qui va maintenant porter l'affaire devant les Prud'hommes. Une démarche qu'il dit faire «pour les autres aussi, qui ne peuvent pas se défendre».
*Les noms ont été modifiés