«Je me sentais comme un morceau de viande»
Une femme doit subir 113 opérations pour échapper à la mort

Une adolescente souffre d'une forte surcharge pondérale. Après une réduction de l'estomac, elle manque de mourir et passe neuf mois à l'hôpital. Par moments, elle est opérée chaque deux jours.
Publié: 24.10.2024 à 14:45 heures
La veille de son 18e anniversaire, Vlata Gashi se réveille à l'hôpital après presque quatre semaines de coma.
Photo: Illustration Lucy Kägi
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Birthe Homann

«Lift me up, Hold me down, Keep me close, Safe and sound»: «une chanson de Rihanna passait à chaque opération», raconte Vlata Gashi. Cette jeune femme est une grande fan de la chanteuse de R'n'B. Plusieurs paroles de ses chansons sont encadrées, et placardées dans sa chambre, chez ses parents. «J'aimerais tellement assister à l'un de ses concerts», confie Vlata, aujourd'hui âgée de 20 ans. Malheureusement, Rihanna ne se produit pas en Suisse.

«Lift Me Up» est sa chanson préférée, une chanson qui lui donne de la force. Et elle en avait bien besoin pour surmonter tout ce qui lui est arrivé. Car le fait que Vlata Gashi soit encore en vie relève d'un miracle: il y a deux ans, elle a dû subir 113 opérations à cause de graves complications survenues après une réduction de l'estomac. Le «Beobachter» dispose des dossiers médicaux complets ainsi que d'autres documents.

Retour en 2022: Vlata Gashi a un IMC de 36,2. Selon la définition de l'Organisation mondiale de la santé, à partir d'un indice de masse corporelle (IMC) de 25, on est en surpoids, à partir de 30, on est obèse. La jeune fille, 17 ans à l'époque, est suivie depuis longtemps pour sa forte surcharge pondérale.

Stigmatisation des personnes grosses et en surpoids

Vlata Gashi souhaitait perdre du poids car elle en avait assez des remarques culpabilisantes, telles que «c'est de ta faute», ou «mange moins». Dans notre société, les personnes en surpoids sont souvent considérées à tort comme paresseuses. Et elles sont traitées en conséquence. Pour la protéger, nous ne mentionnons par ailleurs pas sa véritable identité.

Vlata Gashi raconte avec ses propres mots: à l'âge de dix ans, elle commence son premier régime. Sans succès. En l'espace de quelques années, elle prend de plus en plus de poids. Elle dit manger de grandes quantités de nourriture, la plupart du temps uniquement à la maison, parce qu'elle a honte et ne veut pas que les autres la voient. Elle n'arrive pas à s'arrêter.

Plus d'un milliard de personnes dans le monde est obèse: cela représente une femme sur cinq et un homme sur sept. En Suisse, le taux d'obésité a plus que doublé au cours des 30 dernières années et un huitième de la population est désormais concerné.

Elle a un «joli visage», mais «un sale corps», lui disent plusieurs femmes de sa famille au Kosovo, en la comparant souvent à sa sœur qui est mince. Vlata est née en Suisse et retourne souvent dans son pays d'origine durant les vacances. A l'école, elle est calme et discrète. Elle souffre en silence... 

Pour la plupart des patients, le pire est la stigmatisation qui accompagne la maladie, explique Marco Bueter. Ce médecin est directeur chirurgical du centre de l'obésité à l'Hôpital universitaire de Zurich et à l'hôpital de Männedorf. Marco Bueter est également président de la Société suisse pour l'étude de l'obésité et des maladies métaboliques (SMOB). Selon lui, cette maladie chronique ne peut pas être guérie, mais elle peut être traitée.

Pour Vlata Gashi, la chirurgie gastrique est la solution. 

Une opération suivie de complications

Son grand-père, son cousin et sa tante se sont tous fait opérer pour réduire leur estomac. Avec succès. Vlata souhaite elle aussi passer par là; elle sera opérée par le médecin qui a déjà traité ses proches. 

En Suisse, des directives strictes s'appliquent au traitement chirurgical de l'obésité. Les coûts d'environ 15'000 à 18'000 francs par intervention ne sont par exemple pris en charge par la caisse maladie que si l'IMC des patients est supérieur à 35. Et seulement si une thérapie de deux ans n'a pas permis au patient de perdre du poids.

Vlata Gashi remplit les critères. Sa mère signe le consentement à l'opération, car Vlata est encore mineure à ce moment-là. Comparés à d'autres opérations abdominales, les risques liés à la réduction de l'estomac sont relativement faibles. La fréquence des complications graves se situe entre 1 et 3%. 

Son opération de l'estomac a été suivie de 113 autres opérations. (image symbolique)
Photo: Shutterstock

Le 11 janvier 2022, la jeune fille subira une opération de pontage gastrique dans un hôpital agréé à cet effet. L'estomac est coupé juste en dessous de l'œsophage, ce qui permet de créer un petit pré-estomac et de transporter les aliments via une anse d'intestin grêle reliée à celui-ci. Les patients ressentent alors une sensation de satiété, même après avoir mangé de petites quantités, et perdent ainsi du poids. 

Une opération de pontage gastrique dure en général environ deux heures. Le séjour à l'hôpital dure en principe deux à trois jours. Mais dans le cas de Vlata Gashi, il durera neuf mois. Car chez elle, des complications se sont manifestées. Des complications qui ont mis sa vie en danger.

Un mois de coma

Peu après l'opération, Vlata se plaint déjà de fortes douleurs. Elle vomit à plusieurs reprises un liquide rose et visqueux, comme l'indique son dossier médical. «Cela dégoulinait sur ma chemise d'hôpital, sur le sol, j'avais tellement la nausée», se souvient-elle. Les douleurs étaient insupportables.

Le spécialiste qui l'a opérée n'est pas présent, ce qui est considéré comme une infraction présumée aux prescriptions en vigueur. L'assurance responsabilité civile de l'hôpital est en contact avec l'avocate de Vlata Gashi à ce sujet. Contacté par le «Beobachter», le médecin concerné ne souhaite pas s'exprimer sur le cas.

Vlata reçoit des anti-douleurs. «On ne m'a tout simplement pas prise au sérieux», estime-t-elle rétrospectivement. Un scanner n'est effectué que le surlendemain. Celui-ci révèle une occlusion intestinale, soit un blocage partiel ou complet de l'intestin grêle ou du colon. C'est une complication qui ne survient que rarement lors d'une opération du ventre, mais elle est dangereuse car elle met la vie en péril. «Intervention immédiate nécessaire», est-il noté dans le dossier.

«
J'ai remarqué que les médecins discutaient de mon cas, ils ne savaient pas si j'allais survivre.
Vlata Gashi
»

Vlata Gashi est rapidement transférée par la Rega à l'hôpital universitaire le plus proche. Durant le vol, elle est victime d'un syndrome de détresse respiratoire aiguë, car des vomissures pénètrent dans ses poumons. Là aussi, le pronostic vital est engagé. Une fois arrivée à l'hôpital universitaire, elle est immédiatement opérée. Vlata est dans le coma.

Le 7 février 2022, la veille de son 18e anniversaire, elle se réveille. Après presque quatre semaines. Des ballons multicolores pendent au bas de son lit dans l'unité de soins intensifs, tandis qu'un 18 argenté flotte légèrement dans les airs. La jeune fille pense pouvoir se souvenir du temps passé dans le coma. Elle a entendu comment on parlait d'elle: un médecin l'aurait sauvée, mais il ne travaille plus à la clinique et ne souhaite pas nous parler. 

L'adolescente aurait vécu des expériences de mort imminente. «C'était traumatisant». Elle écrit plus tard dans son journal intime: «J'ai remarqué que les médecins discutaient de mon cas, ils ne savaient pas si j'allais survivre. J'ai rêvé que j'étais dans une pièce blanche avec une porte noire. Je voulais tout le temps aller vers la porte noire, mais quelqu'un la tenait fermée. Je suis sûre que c'était mon grand-père qui ne voulait pas que je parte si jeune.»

Une opération chaque deux jours

Au réveil, le visage de Vlada Gashi est gonflé, tandis que son ventre est un «champ de bataille ouvert». Elle devient dépendante des opioïdes, de puissants analgésiques, et est nourrie par perfusion. «Je me sentais comme un morceau de viande», confie-t-elle. Tous les deux jours, elle doit être opérée, les éponges et les pansements sur la plaie ouverte de son ventre doivent être renouvelés, à chaque fois sous anesthésie générale. Une épreuve infernale, aussi pour ses proches.

«C'est à l'hôpital que ma sœur a rencontré son mari actuel. Mon frère est devenu mon meilleur ami pendant cette période», raconte Vlada en remontant les manches de son pull Nike noir. Les seules choses positives de son séjour. 

C'est une battante. Avec une stomie, une ouverture chirurgicale créée dans le côlon ou l'intestin grêle pour évacuer les selles , elle peut enfin quitter l'hôpital en octobre 2022. Après 40 longues semaines. Elle devra garder la stomie pendant un an, les soins et l'entretien seront assurés par sa mère.

Envisager l'avenir avec optimisme

En février 2023, après cette «pause forcée» d'un an, elle poursuit son apprentissage de gestionnaire en intendance. Elle réussit son examen final en été 2024. Aujourd'hui, elle travaille trois jours par semaine comme employée dans son entreprise formatrice, un EMS.

«
Je ne referais pas cette opération. Le prix était tout simplement trop élevé.
»

A l'école professionnelle, elle se lie d'une profonde amitié avec deux autres apprentis. Ils la soutiennent et l'aident à reprendre pied dans la vie quotidienne. «J'ai changé. Aujourd'hui, je dis ce qui ne me convient pas. Je n'ai plus peur d'exprimer mon opinion», raconte Vlada. Un changement de caractère qui lui fait du bien, sa «chance dans le malheur». Elle a augmenté sa confiance en elle et va bien. Mais aussi parce qu'elle se sent mieux dans son corps. 

Cette opération en valait-elle la peine? «Non», affirme Vlada Gashi. «Je ne le referais pas. Le prix était tout simplement trop élevé». Elle envisage néanmoins l'avenir de manière positive. «Je veux aller de l'avant et enfin tourner la page.» Quatre piercings brillent dans ses oreilles et un dans son nez. Ses cils sont recourbés, plusieurs bracelets colorés pendent à ses poignets.

Une somme à cinq chiffres pour un abandon de plainte

Une avocate spécialisée en responsabilité civile et en droit des assurances l'assiste sur le plan juridique. L'hôpital dans lequel le bypass gastrique a été effectué a refusé d'assumer sa responsabilité. L'assurance de l'hôpital ne reconnaît aucune faute. En raison de la gravité de la situation et du destin de Vlada Gashi, elle propose une somme à cinq chiffres pour que la jeune femme abandonne sa plainte, explique l'avocate. Elle se demande si elle souhaite accepter cette proposition. 

Vlada Gashi s'est récemment fait tatouer «amour», «bonheur» et «paix» en caractères japonais pour recouvrir une cicatrice du bras droit. Le gauche est orné d'un cœur avec une ancre, le même tatouage que son grand-père. En mémoire de ce dernier, décédé en 2017. Il était dans la marine. Vlata était sa petite-fille préférée. Et il l'a sauvée de la «porte noire» alors qu'elle était dans le coma. 

Elle en est toujours convaincue. Elle fredonne le refrain de la chanson de Rihanna «Lift Me Up»: «Keep me close, safe and sound». Tiens-moi bien, saine et sauve. 

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